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Nihonshu le saké japonais

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Gautier ROUSSILLE
NIHONSHU le saké japonais
De la production à l’art de la dégustation
DUNOD
2019
 

Gautier ROUSSILLE, ingénieur agronome, œnologue, diplômé d’HEC, juge pour la catégorie Saké à l’International Wine Challenge, a travaillé pour le prestigieux producteur de saké Sohomare. Il propose ici la deuxième édition, revue, corrigée et augmentée de ce qu’il faut, dès l’abord, considérer comme le livre technique de référence en langue française sur le Saké. On connaissait déjà la remarquable thèse de Nicolas BAUMERT, « Le Saké une exception japonaise », aux Presses Universitaires de Rennes (2011).

Le présent ouvrage a pour objet de faire connaître à tous, amateurs comme professionnels, les méthodes de production du saké japonais. Il aborde tous les sujets, de la culture du riz jusqu’à sa dégustation, dans un langage clair, accessible à tous mais rigoureux. Essayer d’organiser et de traiter dans un ordre établi un sujet dont toutes les parties s’imbriquent constitue un défi intellectuel majeur que l’auteur accomplit excellemment. Des encarts fort utiles apportant une contextualisation technique, historique ou culturelle agrémentent la lecture sur des terrains arides.

Loin des alcools de riz chinois avec lesquels on le confond souvent à tort, le saké japonais ou nihonshu, se présente sous la forme d’une boisson délicate et riche en arômes dont la fabrication et la dégustation rappellent celles du vin. Cette somme de chevet explicite en détail les méthodes de production. Fruit d’années d’expérience et de recherches de son auteur, il décrit l’ensemble des techniques nécessaires à l’élaboration d’un saké qualitatif : les matières premières (culture et polissage du riz, eau), la fermentation (levures, types de fermentation, arômes), l’affinage (levures, types de fermentation, arômes), l’affinage (addition, pasteurisation, élevage, assemblage).

Les différents aspects de la dégustation font l’objet de points précis : choix et service, accords, conservation. En fin d’ouvrage, un lexique fort bien construit récapitule les principaux termes techniques rencontrés et un guide suggère une sélection des sakés emblématiques disponibles en France.     
 
Dès la première page, Gautier ROUSSILLE lève de nombreuses ambiguïtés concernant la définition du saké. Pour les Japonais, « saké » équivaut à un terme générique recouvrant toutes les boissons (p.1). Les Japonais nomment le saké japonais « nihonshu » ou administrativement « seishu ». Le saké se définit donc comme « une boisson alcoolisée traditionnellement japonaise, généralement translucide, incolore et titrant 15-17%, issue de la fermentation du riz ». En cela, il diffère du baijiu ou meikueilu, alcools distillés titrant 40% et souvent présentés dans des verres aux dessins suggestifs dans de nombreux restaurants asiatiques.

Dans sa dense introduction, Gautier ROUSSILLE fait preuve d’une clarté et d’une rigueur rares. Une sorte de double fiche synoptique permet d’avoir toujours en tête à la fois le schéma exhaustif de la production du saké (p.4) qui comprend toutes les étapes mais également tous les termes japonais qui délimitent autant de concepts (p.5). Ainsi, on saisit très vite que les ginjo, sakés produits à base de riz dont plus de 40% de la masse a été retirée durant le polissage appartiennent à la catégorie des meilleurs sakés.

Un saké produit sans ajout d’alcool se nomme « junmai ». Tous les termes techniques se déclinent de manière limpide et logique : le « kojimai » (partie du riz après trempage et cuisson à la vapeur), « koji » (champignon inoculé au kojimai), « kome-koji » (riz sur lequel se développe le koji). Le champignon transforme l’amidon du riz en sucre, étape nécessaire à la fermentation. Un mélange de kome-koji, de riz cuit nommé kakemai et d’eau constitue le shubo ou moto ensemencé par des levures. Quand la population de levures atteint son apogée, on ajoute au shubo un nouveau mélange de kome-koji, de riz cuit et d’eau.

Cette étape cruciale se nomme « san-dan shikomi » et donne le moromi. Après une période de fermentation à basse température, entre 6 et 20°C, qui prend fin lors du pressurage, le saké brut obtenu subit une filtration puis une pasteurisation avant commercialisation. Toutes ces opérations se déroulent au sein d’une « sakagura » (cellier à saké) ou kura, sous la direction d’un toji, le maître de chai.     

Cette scientificité de l’ingénieur agronome introduit une lumineuse lecture de la complexité de toute la concaténation de fabrication. Cette description simplifiée de la production posée, Gautier ROUSSILLE nous convie à une brève histoire du Saké (pp.7-16) dans laquelle nous apprenons à chaque page, du saké rituel des origines au saké de cour de l’Antiquité, en passant par le saké élitaire du 12ème siècle, jusqu’au saké du peuple au XXème siècle.

Étonnamment, sous la pression de la forte augmentation des taxes sur le saké à la fin du 19ème siècle, le nombre de kura passe de 30 000 à 11 000 en 1912 puis 8000 au début de la Seconde Guerre Mondiale. L’époque contemporaine, depuis les années 90, verra un certain regain d’intérêt mais également des restructurations avec une concentration des grandes kuras et, par ailleurs, des petites kuras plus qualitatives. Sous l’influence des tendances slowfood, de la consommation locale et du bio, « Les années 2020 pourraient bien être celles du jizake (saké local), des junmai, des variétés de riz locales et des faibles polissages » (p.16).

Contre toute attente, le saké revient de loin. La première partie de ce livre captivant pour qui veut tout comprendre et savoir du Saké traite des matières premières (pp.19-109). Rien n’échappe à la sagacité du jeune co-gérant du Domaine Guillemot-Michel, au cœur de l’appellation Viré-Clessé. On reste ébloui par la précision et le luxe de détails dans la description de la typologie des riz (environ 270 de type Japonica) qu’ils soient de bouche ou à saké, la taille des grains, leur épaisseur, le shinpaku (cœur d’amyloplastes) essentiel pour obtenir un cœur gélatineux à la cuisson qui développe le koji au centre du grain, condition sine qua non à la production de sakés haut de gamme.
 
Les formes du shinpaku (p.23), l’histoire de la riziculture japonaise (pp.25-32) avec ses méthodes de culture notamment la méthode Aigamo (p.29) qui utilise des canards qui mangent les mauvaises herbes, les insectes et nourrissent les plans de leurs déjections ou des poissons et des algues, la typologie commentée des variétés de riz (pp.33-64), autant d’éléments qui montrent, à chaque pas, les qualités de maturité de ce travail monumental. Tout au long du texte, on appréciera les analogies souvent effectuées, dans de petits encarts, entre vin et saké (« vin de riz ») tout en précisant les différences parfois notables : « Gardons en tête que si le vin se fait à la vigne, le saké se fait sans conteste en cave » (p.33).

Dans ce cadre, la comparaison entre variété de riz et cépage ne tient pas car le riz contient peu de composés aromatiques et les différences variétales semblent infimes. Une autre analogie trompeuse (p.64) réside dans les stratégies publicitaires de quelques kura de la région de Nada qui mentionnent « premier grand cru classé A » sur leurs étiquettes en référence au riz yamadanishiki de la catégorie Toku-A et au classement des vins de Saint-Emilion (!). La partie sur la transformation du riz nous plonge dans le polissage, le rinçage, le trempage et la cuisson.

L’étude fouillée de la structure du grain de riz paddy (p.65) obtenu après récolte nous conduit à l’histoire des techniques de polissage. Il faudra attendre 1896 pour que la société Satake commercialise la première machine électrique à polir le riz. Elle fournira le premier riz poli à 75% (p.67). Les polissages plats et ultraplats apparaitront respectivement en 1998 et 2017 (p.69). Les acides aminés libérés (alanine, glutamique, aspartique, arginine) par le polissage « participent au goût umami (savoureux), cinquième saveur de base » (p.73).

Un polissage poussé assure l’obtention d’un saké « fin, élégant, aromatique, caractéristiques principales d’un ginjo ». On notera, pour demeurer dans l’homologie avec le vin, que les cura impliquées dans une démarche naturelle ou biologique produisent des sakés issus de riz faiblement polis (p.74). L’art de la cuisson du riz (mushimai) dans koshiki un consiste ensuite à « obtenir un riz tendre à l’intérieur (gélatinisé) et ferme à l’extérieur, d’aspect homogène et exempt de granules d’amidon non cuits (blanchâtres et opaques) » (p.80).

Le chapitre 2 (p.85) sur le koji (champignon) et l’eau nous instruit, par analogie avec la bière, que le saké résulte de la fermentation d’une céréale. Sur ce point précis, l’analogie avec le vin s’avère inadéquate puisque seule la fermentation alcoolique (levurienne) compte pour le saké. Le champignon se nomme « aspergillus oryzae » (p.86). Son utilisation daterait de 300 avant J.-C. en Chine (p.87). Au VIIIème, au Japon, on retrouve les traces d’un saké produit à partir de moisissure retrouvée après la pluie sur le riz offert aux kamis (dieux) d’un temple shinto.

Gautier ROUSSILLE détaille la domestication du champignon progressive depuis le Xème siècle et les étapes de préparation traditionnelle et moderne du kome-koji, ces fameux grains de riz couverts d’un duvet blanc, le mycélium (pp.89-95). A noter qu’afin d’éviter de gâcher le saké final, les consignes sanitaires s’avèrent drastiques pour écarter toutes contaminations par des bacilles, bactéries et autres levures indigènes ubiquitaires (p.92).

La page 96 nous éclaire sur la différence entre le shochu qui utilise un koji blanc, l’awamorishu (alcool distillé issu de riz produit dans la région d’Okinawa) qui nécessite un koji noir et les baijiu (alcool de céréales distillés) ou les huangjiu (alcool de riz fermenté) qui requièrent un rhizopus. Les composés aromatiques présents dans le kome-koji vont du champignon à la pomme de terre, en transitant par l’agrume, le géranium et les épices ou un côté plus terreux (p.100).

L’ancien stagiaire chez Sohomare nous révèle aussi un phénomène fondamental peu connu et souvent négligé des européens, l’importance de l’eau : « une bouteille de saké contient en moyenne 80% d’eau. Si l’on intègre les besoins en eau pour le rinçage du riz et des instruments, la cuisson, ce sont 30 à 40 litres d’eau qui sont nécessaires pour produire un litre de saké » (p.101). Il y a plus, l’eau modifie le caractère du saké produit. Une eau dure apporte texture et mâche alors qu’une eau douce amène finesse et fraîcheur (p.103).

La deuxième partie de ce traité de référence jamais jargonneux et limpide traite de la fermentation au sens large (pp.111-165) : une « variété de réactions biochimiques, effectuées par un écosystème complexe de micro-organismes » (p.111). L’art de la fermentation du saké se définit donc comme « la création d’un milieu favorable au développement des micro-organismes « souhaités » à l’exclusion de tous les autres » (p.114). On retrouve ici la distinction entre levures sélectionnées et levures indigènes, ces dernières créant une plus grande diversité qui offre davantage de complexité au saké (p.134).

Une typologie utile des levures datant de 1906 favorise la compréhension des junmai daiginjo. Tous les aspects de l’art du toji (maître de chai) soulignent la singularité du saké, boisson alcoolisée obtenue par fermentation dont le degré alcoolique demeure le plus élevé (p.147). Les 300 composés aromatiques issus de ce procédé se résument en cinq catégories : fruité, épicé, végétal et floral, lactiques, moisis/terreux (p.164). Les opérations d’affinage, de pressurage, de centrifugation, de collage, de clarification, de pasteurisation et d’élevage font enfin l’objet d’une présentation fouillée (pp.167-199).
 
Pour les leçons de dégustation et d’acquisition (Chapitre 6 : sakés à boire en France), on se reportera volontiers aux dernières pages précises de ce volume scientifique, élégant, fin, puissant qui s’adresse finalement à tous les publics, du novice à l’émérite, tel un grand saké (p.227). 

La Cuisine des Ecrivains

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Elsa DELACHAIR, Johan FAERBER
 LA CUISINE DES ECRIVAINS.
Quand la littérature passe à table.
 EKHO DUNOD
Date de sortie : 27 janvier 2021

 
Elsa DELACHAIR, éditrice au Seuil et Johan FAERBER, rédacteur en chef du magazine culturel DIACRITIK, nous convient à une promenade littéraire en hommage à la gastronomie dans toutes ses merveilles. Cette anthologie pratique revisite les grands textes canoniques de Brillat-Savarin mais aussi d’auteurs moins attendus tels que Baudelaire, Perec ou Duras. Le sommaire bien nommé « Plan de table » respecte le déroulé d’un repas, des mises en bouche aux issues parfois fatales sans oublier les nectars et autres spiritueux qui agrémentent les différents services pour lesquels les deux auteurs convoquent de grands écrivains : Proust, Allais ou Vian et son célèbre « pianocktail » croisé dans l’écume des jours. Un livre vraiment succulent et utile à lire sans modération.

On remarquera la brillante préface du docteur en littérature française intitulée « Quand la cuisine entre en littérature. Petite histoire des littérateurs gastronomes », spécialiste du 20ème siècle, Johan FAERBER, qui commence par un pertinent commentaire savant sur la fameuse phrase souvent écornée de Jean Anthelme BRILLAT-SAVARIN dans sa Physiologie du goût, en 1834, page 12 : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es ». L’histoire des littérateurs gastronomes prend souvent la forme, bien au-delà de l’expression de soi, d’une poétique du sensible où littérature et gastronomie ne cesseront de s’embrasser.

Des huîtres nervaliennes aux banquets de mariages flaubertiens ou aux festins plus dispendieux des réceptions proustiennes, en passant par les « roqueforts sous cloches de cristal » du Ventre de Paris décrits par Zola, la cuisine relève de la science mais aussi de l’art (p.15). Chimie transcendantale, éthos des hommes, portrait moral de chacun, le haut goût, prosopopée d’une époque, dévoile aussi son éthopée (p.19), une mythologie barthesienne du lisible. Cette luisance en bouche (p.23) clôt, dans l’incandescence d’un silence, ce moment de réconciliation avec nous-mêmes et le monde où il s’agit de se taire pour méditer la littérature à l’estomac. Ce florilège de textes agrémentera allégrement vos soirées festives.  
    
 

Petit éloge de la gourmandise

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Nicolas D’ESTIENNE D’ORVES
PETIT ELOGE DE LA GOURMANDISE
Editions François BOURIN
Date de sortie : 4 février 2021

 
Né en 1974, Nicolas D’Estienne d’Orves, écrivain, critique d’opéra, a publié une trentaine d’ouvrages. Féru de Paris, il lui a consacré un Dictionnaire amoureux. Le présent livre traite de toutes les saisons de gourmandise, été et hiver, antan et du jour, passionnée et irritée. La verve littéraire, au gré des pages, nous entraine dans une déambulation poétique et sensorielle au pays du goût et de ce que d’aucuns nomment « la bonne bouffe ».

Souvenirs d’enfance, rages du moment, visites dans des établissements fameux ou oubliés, ode à l’andouillette, le sablé à la confiture, la figue, les vins du Rhône, la tête de veau dans des confréries aussi secrètes que savoureuses, l’auteur n’oublie pas ses confrères plus ou moins fréquentables, les ogres, les poètes ou les cannibales. Cette arborescence mémorielle et gourmande parsemée de coups de colère et de coups de sang, d’images lointaines et d’amours sincères, fait les joies de gueule.
 
On regrettera, malgré la défense indéfectible et bienvenue des abats, la joie de s’attabler et la nostalgie fervente des bonnes adresses parisiennes aujourd’hui disparues ou les salutations admiratives aux amis illustres du microcosme, une absence de vision herméneutique et heuristique.

Thierry MARX Celui qui ne combat pas a déjà perdu

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Thierry MARX
Celui qui ne combat pas a déjà perdu
Flammarion
11 novembre 2020
 

Thierry MARX, personnage charismatique de la gastronomie internationale, chef doublement étoilé du restaurant nommé « SUR MESURE » sis au Mandarin Oriental depuis 2011, cofondateur avec Raphaël HAUMONT du CFIC (Centre Français d’Innovation Culinaire), Chaire universitaire Cuisine du futur à Orsay, engagé dans des programmes de développement sociaux et de réinsertion professionnelle dans la restauration, nous confie son agonistique de vie dans un souffle de liberté. L’ex-cuisinier de Cordeillan-Bages, « transfuge de classe » écriraient les sociologues d’aujourd’hui, expose des pistes réellement politiques au sens noble, professionnel et personnel.

Figure de grand singulier hors du sérail dans le paysage culinaire hexagonal, l’auteur, avec la collaboration de Romain JUBERT, analyse son chemin hors-norme et sa personnalité avec une rare lucidité. Une grande intelligence en actes montre une exemplarité investie dans de nombreuses causes. Cet itinéraire romanesque d’une sincérité lumineuse revêt les formes d’un arrachement pour la dignité. En ces temps d’une complexité labyrinthique, ce gamin chamailleur de Ménilmontant nous administre une potion de confiance, une leçon de vie et d’humanité. Bien plus encore, il nous rappelle la traversée philosophique d’une existence où rien ne se perdra jamais pour celui qui tient un dessein : « Roger NIMIER écrivait : un homme sans projet est l’ennemi du genre humain » (p.162).

Dans une introduction perspicace sur notre présent viral, le vrai combattant rompu à la malice et à la métis de celui qui présente une morphologie de trajectoire anomique, ceux qui partirent de rien pour arriver à tout, s’interroge sur « nos vies entre parenthèses » (p.9). Notre ontologie du présent requiert plus que jamais, un sens, en effet, dans une partition bifide, à savoir une orientation et une signification. A juste titre, ce miraculé social note d’entrée de jeu : « Ce que la vie m’a appris, c’est que pour s’en sortir il faut être solitaire et solidaire » (p.10; p.86)).

Silence de la radicale solitude peuplée ou méditative (p. 110 : la morale est que nous sommes seuls) et lien profond de la solidarité effective ou affective se nouent en miroir dans une métaphore limpide : « Une vie réussie est à angle droit. Solitaire est la ligne verticale, le sens de l’engagement, le sens de l’honneur ET solidaire, le souci des autres, l’altruisme, c’est l’horizontalité » (p.10). Nous voici dans une leçon de sagesse bouddhiste bien davantage que dans une injonction paradoxale qui tourbillonne au-dessus de sa propre peur. Il nous faudra faire le deuil, prendre sa perte, accepter de lâcher « la main du passé » (p.11).

Le boxeur flexitarien attentif à l’impact social et environnemental questionne le paradigme systémique : « Le capitalisme est efficace mais il n’est pas juste » (p.11). Toute crise, au sens chinois, comporte un danger et une opportunité. « La terre est un village » (p.12). Conscient de ses fragilités, de ses interdépendances, l’être humain, dorénavant, distanciera trois failles fatales : « imprévoyance, arrogance, cupidité » selon Gilles BOEUF (p.13).

La première partie de cet ouvrage intime et profond raconte logiquement les années de jeunesse d’un homme de 61 ans au faîte de sa maîtrise d’âme et de sa sérénité gagnée qui n’élide ni ses origines ni n’élude ses commencements : « Dans cette enclave d’immeubles de briques rouges sur les hauteurs de Ménilmontant. Je n’ai manqué ni d’amour ni d’attention » (p.17). La pudeur, la quête d’autonomie, la conscience des formes plurielles d’adversité parcourent toute l’enfance et la jeunesse : « Mon père était soldat en Algérie et je vivais seul avec ma mère dans un minuscule appartement, un rez-de-chaussée de quinze mètres carrés » (p.17).

Les géographies de l’enfance douce se dessinent les yeux clos : « Nous habitions dans la rue du groupe Manouchian » (p.18). Le portrait poignant du grand-père juif polonais communiste rescapé par miracle du camp d’Auschwitz, le Parti comme cadre régulateur du quotidien (p.20, p.204), les silences familiaux (p.21) révèlent toute une époque tout en dévoilant un enfant différent : « Je vivais chez mes grands-parents et j’étais déclaré par mes parents » (p.21). Dans cette famille de taiseux, la dignité prévalait : aucune plainte, point de complainte, aucune monstration des émotions.

Autre noblesse, le choix de l’instant de son effacement : « L’un comme l’autre ont rencontré la mort les yeux ouverts » (p.23). Une ascèse de la vérité exige une abhorration des libations, une haine des addictions. L’enfant de Belleville, attaché à son grand-père sparring-partner, a une phrase qui subsume bien sa pleine détermination : « L’échec n’existe pas » (p.25, p.197). Mieux, il rêve d’or et d’ornementations : « J’avais des rêves de XVIème arrondissement et de beaux appartements… J’étais fasciné par les salles de bains. L’idée qu’une pièce ne serve qu’à se laver m’épatait » (p.26).

Le pain de Bernard GANACHAUD, le caractériel inventeur de la flûte Gana, représentait une autre féérie : « la boulangerie des gens qui ont les moyens… un pain extraordinaire, aux céréales de luxe, un four à bois » (p.27). Les premières sensations gustatives flottent dans l’air : « Mes émotions culinaires venaient des effluves d’autres cuisines du quartier. Ça sentait toujours la bouffe à Ménilmontant… une haleine de poivrons, de boulettes, d’épices…l’arôme de l’huile d’olive » (p.29).

Ce « terrain d’aventure formidable » (p.30) forgeait une multitude de valeurs cardinales et sans doute ordinales -confraternité, entraide, respect, sollicitude- dans un métissage de cultures, « un sang fraternel » (p.31). L’inventeur de la « stratégie de la libellule » se soucie du sentiment de la convivance, de notre manière de « faire peuple ». Les années de banlieue (pp.35-63) furent un « traumatisme » mais on perçoit comment le pré-adolescent de 12 ans, habitant de la Cité du Bois-l’Abbé, à Champigny-sur-Marne, résiste « au milieu des champs de patates » (p.35), dans cet « univers glauque dans lequel le présent n’avait aucun avenir » (p.37).

Le futur casque bleu nous touche à chaque page par des formules qui font mouche sans jamais sombrer dans la caricature de la relégation périphérique, preuve d’une extrême sensibilité sans sensiblerie, d’une épure de virilité féminine. Aux fragrances de pain chaud, de cuir et de térébenthine succèdent « l’urine dans les cages d’escalier, les cafards partout » (p.37). Il fallait aussi apprendre les nouvelles règles pour se faire une place : « Comme dans le règne animal, il y avait des « guerres » de zones » (p.40), « nous avancions en bande, unis par l’envie d’en découdre » (p.43), « la dérouillée était une étape initiatique, presque obligatoire. Les belles histoires d’amitié commençaient bien souvent par une mornifle » (p.46).

Dans ce désœuvrement quasi mélancolique indexé d’une oisiveté mortifère, l’horizon s’éclaircit par le sport (lutte, athlétisme, sport de combat), les copains, le démontage des moteurs de « bécanes » mais aussi des « éducateurs magnifiques » (p.41) qui parvenaient tout de même mal à décourager les « journées à chorégraphier des dérapages au frein à main dans des nuages de poussière » (p.44). Quand le réel cogne, on s’invente des mondes imaginaires enjoués : « l’envie de devenir cascadeurs » (p.45). Tous les terrains vagues abritent bien plus que de vagues terrains. Ils transportent avec eux une symbolique foisonnante.

La « rage de l’injustice » (p.48) dans ce lieu où les « huissiers laissent un goût de terre dans la bouche » (p.47) appelle à se sauver par une « issue héroïque » (p.48). Au fil de ses pages simples et fortes sur l’intimité des vécus souvent invisibilisés par l’Histoire, celui qui composa les 350 plats de l’astronaute Thomas PESQUET en 2016 témoigne de « sa grande rancœur » (p.49) lorsqu’une conseillère d’orientation lui signifia : « Ce n’est pas pour des gens comme vous, l’école hôtelière » (p.48).

« Intouchable de la République » (p.49), révolté par l’injustice de l’assignation, le créateur du projet « Cuisine Mode d’Emploi(s) » qui comprend désormais une dizaine d'écoles permanentes en France ainsi qu'une quinzaine de formations itinérantes, va rencontrer le Japon via le film « La Trilogie du samouraï » de Hiroshi INAGAKI. Cette séance de cinéma bouleversera sa vie : « L’attirance pour le Japon, avant de devenir un coup de foudre, est née d’une approche complètement fantasmée des codes du samouraï, de l’art du combat et de la mort glorieuse » (p.51; pp.86-88). Les belles pages sur les moines du mont Koyasan illustre cette fascination pour l’Empire du soleil levant (pp.109-129).

A travers la pratique du judo et de bien d’autres arts martiaux (karaté, kendo, MMA), le champion du Val-de-Marne va adopter une philosophie pratique qui le réparera et sans doute le sauvera : hygiène, rituel, leçons, combats (p.52). Son « chemin de loyauté » s’effectuera par l’ukemi, cette technique de chute japonaise qui apprend à tomber pour mieux rebondir : « On ne gagne pas parce qu’on est meilleur mais parce qu’on ne peut pas perdre. On ne cherche pas la récompense mais l’accomplissement » (p.53).
Après bien des « activités désolantes » (p.55) qui auraient pu vraiment mal tourner, sa mère lui demande de rentrer à Ménilmontant. Sa grand-mère lui rappelle l’évidence de la cuisine : « Tu aimais bien cuisiner avec moi, ça te plaisait et puis tu as toujours été fasciné par notre boulanger Ganachaud et son four à bois » (p.63). Son grand-père lui suggère alors les « Compagnons du devoir » (p.67). L’apprenti aime « la dimension artistique de la pâtisserie » (p.67). Avec cette nouvelle famille, il découvre la France rurale, un « choc de douceur » (p.68).

A 15 ans, une autre découverte le charme tel un nouveau refuge, les églises : « un endroit hors du bruit du monde, beau et sécurisant » (p. 69). La réflexion sur la solitude (p. 114 : il faut accepter l’isolement et la solitude) fait retour souvent dans l’existence de l’ultérieur parachutiste de l’infanterie de marine : « Dans cette vie, personne ne vous apprend à être solitaire » (p.75). Vivre des joies intenses de découvertes et d’approfondissement de soi sans pouvoir les partager ou les communiquer. Conserver par devers soi les mille choses fascinantes d’une vie (p.70). Les Compagnons du Devoir initient aux rites, au goût du secret et de la discrétion, dans la tradition de l’excellence mais ils enseignent également la « fraternité » (p.71), une communauté d’hommes qui s’entraident, tendu vers le seul but d’approximer la perfection.

Tout au long de ce chemin exemplaire en mouvement qui structure la destinée du grand voyageur dans la péninsule asiatique, se détache une puissante axiologie : « noblesse de l’ouvrier et de sa cité ouvrière » (p.71), progression par l’échange, savoir-faire dans l’amitié (p.72), la « critique positive » (p.73). Les Compagnons apprennent que la compétence produit l’essence de la liberté dans la considération. Il s’agit de « créer un chef-d’œuvre au même niveau que celui des anciens. Comme l’une des devises de la Légion étrangère « More Majorum », aussi bien que nos anciens » (p.74).

Ecrit d’une certaine manière par un martial martien, ce livre prouve que, par un rigoureux et joyeux travail sur soi, quiconque joue son amor fati (amour du devenir) au sens d’abord stoïcien puis nietzschéen, créer des valeurs toujours plus affirmatives, déjoue son fatum. A plusieurs reprises, l’ancien juré de Top Chef, engagé volontaire pour cinq ans, convoyeur de fonds, évoque son angoisse et sa rage : « Mon seul combat était de ne pas revenir dans le quartier… la crainte terrible de ne pas pouvoir sortir de mon extraction sociale » (p.77-79).

Comme un tourbillon mental, la phrase de son grand-père le secoue dans le dos : « Il n’y a que la mort qui est irréversible » (p.81). Le sport, l’armée, la Légion étrangère, les Compagnons mais aussi l’étude octroient des cadres, sans cesse appelés par « l’éclopé de la scolarité » (p.83). Se réinventer toujours, se métamorphoser inlassablement, poétiser sa propre vie, ici et maintenant, telle demeure la ligne de forces de celui qui avoue : « j’ai toujours eu besoin de me dépenser pour moins penser » (p.82).

En nous invitant dans tous ses rêves d’enfant, l’ataraxie magistrale de Thierry MARX nous convie à l’art des codes du bushido (p.86) : « l’esprit du samouraï : savoir être un guerrier ultime, regarder la vie en face, assumer ses choix, regarder la mort en face… Ne jamais chercher de bouc émissaire ». Les pages (pp.91-105) sur ses maîtres réels ou imaginés (Chapel, Maximin, Loiseau, Robuchon, Gagnaire, Bocuse (pp.152-153), Guérard, Bras, Passard, Pralus) et les grandes maisons parisiennes notamment son portrait de Claude DELIGNE (p.93), célèbre chef de TAILLEVENT pendant trente ans, indiquent une rare vision du haut goût et une volonté ambitieuse de laisser une trace dans le monde culinaire : « exercer ce métier de cuisinier sans avoir son propre style était une forme d’abandon de poste, un manque de courage » (p.134).

Même s’il ne se sentait pas « légitime » (p.138 : j’ai passé énormément de temps à me dire, ils vont me mettre là d’où je viens) par autodidactie, le président d’Honneur des Rencontres François Rabelais, prend sa chance (p.100), « par effraction » (p.122) dans la haute gastronomie, en vertu des principes du shuhari : « Observe et tais-toi. Apprends et comprends. Comprends et innove » (p.102).   

Cette pratique de l’humilité conduit à la reconnaissance des traumas et des fragilités d’un parcours : « La vie heureuse est arrivée tardivement, à cinquante balais. Les fruits sont venus après la notoriété… je sais que la lumière passe, repasse et s’éteint de temps en temps…le principal combat est peut-être de ne jamais oublier qu’un jour tout va s’arrêter et qu’il n’est jamais trop tard pour réaliser ses ambitions » (p.127). En sage entraîneur, l’adepte de la cuisine de rue nous délivre quelques secrets de gouvernement des hommes : « il est inutile de mettre une pression excessive sur un collaborateur (p.158) », il n’y a pas de raisons d’être gentil mais il faut être vrai » (p.159).

Les jeux avant les enjeux. Une autre visée de l’entreprise dans laquelle on sait que « les faits ne sont pas négociables mais qu’il faut les regarder ensemble » (p.161). L’altruisme dépasse la bienveillance, faux concept fade « qui n’engage que ceux qui s’en réclament » (p.188). L’humilité réside, de surcroît, dans le travail de son image, dans la gouvernance de sa notoriété : « Elle maintient droit, elle oblige. Elle contraint à être accessible et exemplaire. Et puis elle est arrivée tard dans ma vie. Je prends tout cela avec beaucoup de distance. Je suis bien conscient de ne pas être un grand chirurgien qui sauvent des vies » (p.165).

Un livre à mettre entre toutes les têtes car il met en lumière la transcendance, le « trésor de la transmission » (p.204) qui transforme l’exemplarité en autorité. Par le combat du savoir, la table se tourne vers l’autre. « La cuisine, c’est le geste. Une coupe juste. Le feu, la cuisson. Et le temps » (p.219).   

L'Enfance de Bibendum

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

André MICHELIN
L’ENFANCE DE BIBENDUM ou la fabuleuse histoire des frères Michelin
 Albin Michel
 Date de sortie : 28 octobre 2020

 
André Michelin, producteur et réalisateur de films, dévoile une aventure industrielle et humaine légendaire, initiée par un ingénieur et son frère, artiste peintre, héritiers en 1890, d’une fabrique de machines agricoles en faillite, à Clermont-Ferrand. Cette histoire exemplaire, emplie d’intuitions et d’audaces, commence avec des balles rebondissantes en caoutchouc, mène à Bibendum et ses pneumatiques démontables pour vélocipèdes, fiacres et automobiles. Ce portrait alerte de la France industrielle à la veille de la Grande Guerre contient une iconographie rare ou inédite des archives de la Famille MICHELIN.

André et Edouard MICHELIN, immergés dans les balbutiements de l’automobile et de la compétition, de l’aviation, de la publicité et de la communication, transparaissent au travers d’anecdotes vibrantes, d’illustrations éclatantes, de documents et de photos inédites, qui préfigurent l’ère industrielle contemporaine mais également la modernité de la mobilité que nous connaissons. Où l’on saisit que, dans cette réussite historique d’une marque mondiale existe une complémentarité entre deux frères, complices et visionnaires qui construisent une entreprise multinationale, ancrée dans des valeurs humaines, toujours innovante et intégralement orientée vers le progrès au service de leurs clients.

La capacité à user des meilleures technologies de leur époque, un sens de l’observation acéré, une détermination sans faille, une permanente prise de risques, les poussent à l’innovation décisive afin de rendre la mobilité toujours plus sûre, efficace, confortable et aisée. Aujourd’hui, le groupe Michelin, leader mondial du pneumatique emploie 130 000 personnes, présent dans presque tous les pays du monde, représente une des sociétés françaises les plus connues de la planète. Bibendum incarne l’icône du millénaire. Comprendre les raisons de ce succès relève quasiment de l’énigme. Cette communauté humaine rassemblée autour « de la meilleure façon d’avancer » matérialise une aventure qui se poursuit.

Cet ouvrage nous plonge pour la première fois, grâce à des carnets de notes, des guides détaillés de conversation notamment la méthode des cinq lettres, dans le laboratoire de la fabrique. L’humour et la force de tirer les leçons des échecs à partir de la recherche des faits parcourent toute la vie des fondateurs. Les deux frères se portent toujours au-delà du pneumatique par des innovations dialoguées, des concertations avec les pouvoirs publics notamment la cartographie, le tourisme et l’aviation.

Leur seule ambition, dès le 24 juin 1889, avec un sens merveilleusement aiguisé du slogan publicitaire (« une seule qualité, la meilleure » ; « le meilleur pneu au meilleur prix », loge dans cette phrase : « Tous nos efforts tendront à fabriquer du caoutchouc de qualité excellente » (p.18). Face aux soucis de trésorerie, la banque fait défaut. Débout entre deux portes, l’établissement refuse ces deux jeunes gens qui passent pour des intrus dans la vie industrielle locale. Pour arrêter la bicyclette, surnommée, outre-manche, « la secoueuse d’os », Michelin invente le frein, présenté à l’exposition universelle de 1889.

Les compétiteurs rivalisent pour ce « boudin gonflé d’air » qu’un certain vétérinaire dublinois nommée John B. Dunlop baptisera, en 1888, « pneumatic tyre ». Les Michelin frisent la correctionnelle lors de la « course aux clous » en 1892 (p.29) mais leur avocat n’est autre que Raymond Poincaré, camarade de classe d’Edouard, futur président de la République. Le premier magasin parisien de pneumatiques Michelin ouvre le 31 octobre 1893 au 159, rue de la Roquette : « long, étroit, mal éclairé d’en haut par un lanterneau vitré » (p. 35).

En 1894, le pneu vélo Michelin passe à la voiture (p.41), équipe les fiacres. L’automobile n’existe pas encore. On l’appelle la « voiture sans chevaux » ! (p.49). Un autre argument publicitaire célèbre apparaît : « Le pneu boit l’obstacle ». Les pionniers de l’automobile se bousculent : Amédée Bollée, le comte Jules-Albert De Dion, Léon Serpollet, Armand Peugeot, Louis Panhard et Emile Levassor. Une invention irrésistible attise les mécaniciens tels que Bouton. En 1894, deux cents automobiles circulent en France.

Pour le baron Etienne de Zuylen de Nyevelt, grand mécène, « l’automobile est d’abord un moyen inespéré de soulager les souffrances de la bête de trait ». (p.54). Michelin se place au cœur de cette captivante histoire foisonnante des commencements de la propulsion mécanique. Tous les adeptes de l’Automobile Club, crée le 12 novembre 1895, appartiennent à des milieux aisés et sportifs (p.60) et le premier accident sérieux survient le 28 juin 1896 à Saint-Germain. D’aucuns réclament déjà La limitation de vitesse. Malgré ses tribulations, la firme clermontoise sent l’avenir radieux de la locomotion nouvelle (p.65).

Le pneu, seul après le moteur, accroît la vitesse. En 1898, le « chauffard » naît et Michelin invente le klaxon, veut même vendre de la roue de brouette (p.77). Le concept de Bibendum surgit presque comme une apparition, à Edouard MICHELIN, à la suite de l’installation par un chef de stand, à l’exposition de Lyon, de deux piles de pneus (p.79). En avril 1898, le dessinateur O’Galop, inspiré par un Gambrinus, dessinera un des plus fameux personnages de l’histoire des entreprises (p.82). C’est le coureur Léon THERY, durant la course Paris-Amsterdam, dans une exclamation quasi géniale à la gloire du pavé parisien, qui concevra le terme « Bibendum ».

Patrons soucieux des œuvres sociales, les MICHELIN introduisent la participation aux bénéfices pour les meilleurs ouvriers et le service médical gratuit dans l’usine (p.109). Les constructeurs accélèrent. « Camille Jenatzy, le 29 avril 1899, franchit le cap du 100 à l’heure » (p.87) et la nouvelle firme Renault Frères remporte sa première victoire. En 1900, la création de la coupe Gordon-Bennett par le directeur du New York Herald, internationalise la course automobile. La même année, le premier Guide MICHELIN, leçon de marketing avant l’heure, détaille l’instruction sur l’emploi des pneus, la liste des hôtels et des mécaniciens (p.92).

L’année suivante naît le contrat-constructeur, encore un merveilleux instrument de valorisation du produit. L’innovation technique suit avec le lancement du pneu antidérapant en 1903. La vitesse va de pair avec la hantise du dérapage. L’attention portée à l’acquéreur relève dorénavant du cours de relations publiques : « Le client, c’est le bon Dieu ! » s’exclame André MICHELIN (p.115). La nouvelle maxime s’enseigne, de nos jours, en écoles de commerce : « Le pneu a vaincu le rail » (p.121). Soulignons ici l’essentielle mise en lumière d’archives inédites : affiches illustrées, photos de famille et de coureurs ou de voitures, extraits de carnets de notes, dessins.

L’essor mondial, dès 1905, prend sa source à Londres puis gagne l’Europe. La maison conforte l’un de ses grands principes : ne vendre à sa clientèle que des produits dûment éprouvés (p.141). Le touriste tient désormais son guide qui lui indique une classification hôtelière en cinq catégories mais l’innovation importante réside dans l’insertion d’un atlas en quatre couleurs (p.150) : « Michelin a conçu la carte d’extérieur qu’on consulte sur une route, qu’on n’a pas à déplier ou replier ».

L’historique de cette redoutable organisation commerciale qui battra tous les records de vente dans le domaine cartographique, notamment la campagne conduite pour faire admettre le principe du numérotage des routes (17 mars 1913), justifie, à lui tout seul, l’acquisition de ce livre. Le chapitre 6 nous révèle la contribution moins connue mais tout aussi centrale des Frères MICHELIN à la conquête de l’air (p.173). Trois semaines après le début de la Grande Guerre et jusqu’en 1918, le groupe auvergnat fabriquait 1880 avions dans son usine des Carmes.

97 livres

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