Perpignanaise catalane, restauratrice bi-étoilée, échanson consacré, ex-Directrice de LAVINIA Barcelone, grande dame du rancio, l’éclatante Marie-Louise BANYOLS, auteur des « 5 du Vin » (Wine Blog Trophy 2010 et 2012) érige dans l’allégresse de sa solarité son « BE RANCI ! » 2023, unique Festival mondial des vins oxydatifs secs.
Peu après le prélude des trente vertueuses paraît dans un Perpignan en ébullition, une petite fille unique d’une vertigineuse vivacité. Ses valeureux aïeux pilotent « Le Café des expéditeurs », un établissement renommé au cœur de la ville. Le restaurant et le vin composent d’emblée l’enfance au beau mitan des joyeux maraîchers, maîtres des primeurs du premier marché de gros sur le globe. Le désir du beau jus n’advient pas sui generis mais par sensation tactile : « Mon père se levait aux aurores, il y avait énormément de monde, on recevait le vin en tonneau, on le roulait à travers la salle jusque dans la cave ».
A 8 ans, la petite hypnotisée par la robe des Sauternes extrait les bouteilles du fût. Au gouter, elle a droit à une tartine trempée de vin et de sucre, un fortifiant fortement préconisé par sa grand-mère. L’autre élément sensoriel se révèle dans la prégnance des flaveurs : « Avant de se coucher, mon père alignait des dizaines de tasses de café sur le comptoir dans lesquelles il versait délicatement du rhum. J’ai le souvenir de ce puissant parfum de l’eau de vie de canne à sucre ». Dans les halles florissantes des années 60, les palettes de blanquette de Limoux, cet immortel crémant audois, exhalent un singulier parfum, ces notes de fruits et de fleurs printanières mâtinées d’arômes de pomme verte et de miel.
L’adolescente, aussi vive d’esprit que véloce en acte, observe son paternel, ses bras pleins de plats : langouste à l’américaine, tripes, tête de veau, escargots et pieds de porc. Sa solitude se peuple de clients toulousains de passage dans l’hôtel familial ou d’ogres ariégeois avec lesquels elle s’attable. « Je vivais dans une salle de restaurant, j’essuyais les couverts, je tirais le vin à la cave par invisibilité ». L’élève chez les bonnes sœurs se morfond ferme, collectionne les redoublements. En 1964, son père, furieux, veut la placer dans une école de secrétariat.
Une lucide professeur de français la sauve séance tenante : « Votre fille a des capacités incroyables ». A 15 ans, Marie-Louise MONS, au Lycée Jean Lurçat, n’a pas de coup de foudre pour les flacons mais pour Didier BANYOLS. Le fort en thèmes l’initie à l’élégance des solutions mathématiques. A peine majeure, elle obtient son baccalauréat philosophie avec mention très bien. L’amour propulse et souvent catapulte. Solex au vent, ils se marient à 18 ans en 1968. Le captivant Monsieur MONS accueille les jeunes mariés dans sa prospère entreprise.
L’humble reine du priorat ne rêve que de poursuivre ses humanités : « Je m’ennuyais tellement dans une affaire qui marchait trop bien, en face du Palais de justice. C’était trop facile, des avocats, des juges, la queue du tonnerre de dieu ». Entre 1968 et 1987, Madame MONS, la mère catalane, « fabuleuse cuisinière », joue des pianos au « DRINK-HALL » : lapin à l’aïoli, tripes sudistes, cassoulet grand-maternel de Castelnaudary, paella. Après la naissance de ses deux enfants, l’ambitieuse valide sa maîtrise de droit privé à la Faculté de Perpignan. Elle majorera toutes ses promotions.
Au moment de passer son CAPA, son père la rattrape par la manche. Elle languit de nouveau « à mourir » dans la plus belle brasserie de la ville où les huiles se hâtent. Un jour, un client notoire, le Docteur André PARCE, Maire de Banyuls-sur-Mer, vigneron, créateur du Club prisé « Gastronomie en Roussillon », co-fondateur de l'Académie Internationale du Vin, la satellise sur son chemin de vie : « Tu devrais t’intéresser à ta carte des vins pour développer ton outil ». Son ami Georges-Albert AOUST, courtier à Beaune, enseigne le vin aux femmes de restaurateurs étoilés dans sa fondation « Wine School ».
Son premier stage beaunois affole les vumètres : « Je me retrouve avec Ginette BRAS, Maryse TOULOUZY, Simone FERRIÉ dont les seuls sujets tournaient autour du haut niveau, de la rentabilité, du remplissage, du Guide Michelin. Je n’avais aucun de ces soucis ». L’héritière qui pêche souvent par excès de modestie apprend vite par la profondeur humaine des rencontres avec les vignerons notamment Léonard ZIND-HUMBRECHT, Colette FALLER, La Famille PERRIN. En 1982, l’hallucinante enjouée dont le seul problème consiste à gouverner la prospérité s’inscrit alors à Tours, chez le pape du goût poitevin, le biologiste œnologue Jacques PUISAIS.
Un océan céruléen couronne ses yeux éblouis : « Je côtoyais Alain CHAPEL, Marcel LAPIERRE, Jules CHAUVET, Jean LENOIR ». Elle embrasse tout : la sensibilité aux tannins, la perception des jus, la ferveur des vignerons, la finesse des atmosphères, l’ambiance des dégustations. Plusieurs chemins trottent dans sa tête. En 1984, la femme du vin crée son premier livre de cave avec des appellations régionales. Son courageux mari prend les rênes de la cuisine. Le stagiaire chez Alain SENDERENS au LUCAS CARTON puis Georges BLANC à Vonnas, vise la gastronomie. En 1987, le couple ouvre le calme « Relais Saint-Jean » dont les portes se confient à la cathédrale éponyme.
La sommelière déjà aguerrie baptise sa carte des vins unique en France : « Les vins que j’aime ». Ceux qui rit le font sous cape mais plus personne ne rigole. Elle réunit 400 crus riverains qui la font entrer notamment dans la consécration Gault & Millau. Dans le vin jour et nuit, la déterminée au caractère affirmé prépare tous les concours. En 1990, elle remporte le titre de Meilleur Sommelier du Languedoc-Roussillon et monte sur le podium de la finale France, à la troisième place, devant deux solides, Éric BEAUMARD (1er) et Olivier POUSSIER (2ème).
Un client, bouchonnier gourmand, quelques mois plus tard, les emmène à s’installer dans une bâtisse familiale de la Belle époque catalane, à Céret. A l’ombre des gigantesques platanes où se danse la sardane, l’aventure des « Feuillants » voit le jour. En 1991, la bouleversante première étoile survient. La goûteuse hors-pair intègre, seule femme, le Comité de dégustation de la RVF (Revue du Vin de France) aux côtés de personnalités éminentes du journalisme telles que Michel BETTANE, Michel DOVAZ, Pierre CASAMAYOR, Bernard BURTSCHY, Thierry DESSEAUVE.
Elle perfectionne son art avec Alain RAZUNGLES, Directeur du Centre d’Œnologie de l’Institut des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin de Montpellier, sur plusieurs points : l’étude des arômes et de leurs précurseurs, l’analyse sensorielle, la technologie. Elle approfondit les accords et obtient, en 1992, le prestigieux titre de Maître Sommelier de l’UDSF (Union De la Sommellerie Française). Entre 1992 et 1999, elle vit un autre épisode inouï. Henry-Frédéric ROCH, co-propriétaire du Domaine de la Romanée-Conti, client habitué de sa maison, lui propose le poste tant convoité d’Agent pour le Languedoc-Roussillon.
« Il aimait la vie, la table, la fête, on échangeait tard dans la nuit. Je suis tombée des nues à sa proposition. Un monde extraordinaire, un rêve, si fermé, si inaccessible. Avant de vendre une bouteille, il fallait que le Domaine accepte le client dans la hantise du parallèle ». Une fois par an, durant sept ans, Marie-Louise BANYOLS atteindra le Cantique des Cantiques bourguignon. Aux côtés d’Aubert DE VILLAINE et d’André NOBLET, elle a l’immense privilège de franchir les grilles de la propriété en 1993 : « Mes premières impressions furent la sobriété, l’austérité. Je descendais dans la cave et ça prend aux tripes, une angoisse de ne pas être à la hauteur, une sensation étrange de peur de la déception. Ensuite, on commence par goûter le millésime de l’année sans mise en scène. Les sensations de dégustation se multiplient. On ne peut s’abstraire du contexte, des lieux historiques, du maître de chai merveilleux, des personnages charismatiques de ce temple. Il existe une éternité du vin à la Romanée-Conti, une atmosphère éternitaire. Quand on déguste, on voit le terroir. La noblesse de ce vin nous traverse, c’est une énigme, la structure, le velouté, la persistance qu’on ne trouvera jamais ailleurs. Le mystère demeure sur fût et en bouteille. On est saisi par la grandeur, l’élégance, l’humilité et la grande intelligence d’Aubert DE VILLAINE, sa générosité lors du repas, sa conscience aiguë de son immense responsabilité. En aristocrate, il émane de lui une aura unique. Chez lui, avec sa femme, dans son nid perché de la Napa Valley, ce fut un grand privilège de connaître cet homme extraordinaire ».
En 1997, Didier et Marie-Louise BANYOLS, en osmose prodigieuse, affichent deux étoiles Michelin : « le plus grand moment de ma vie professionnelle, inoubliable ». En 1998, la Famille CATHIARD, propriétaire des « Sources de Caudalie », un important complexe de luxe, les sollicite. En un an, ils reprennent une étoile. En 2000, Jean-Luc COLOMBO, star du Rhône Nord, offre la direction commerciale de son domaine à l’ultrasensible carapacée : « Un an à Cornas, chez un homme généreux et talentueux, œnologue épicurien et emblématique vigneron, m’a apporté une très belle expérience, commercialisation, distribution et socialisation ».
En juillet 2001, après un entretien au peigne fin, elle entre dans le bureau de Thierry SERVANT, propriétaire de LAVINIA. Elle en sortira directrice pour Barcelone. La puissante travailleuse avide de tout savoir inaugure le magasin barcelonais, apprend tous les vins ibériques en quelques mois. L’intransigeante relax profondément humaine forme une équipe qui ne l’oubliera jamais. La femme de projets, d’horizons et de défis qui mire toujours l’intensité de la nouveauté se voit comblée : pays différent, vignerons neufs, journalistes inconnus, autre approche de la cuisine et de la culture vitivinicole.
En 2005, LAVINIA grandit. La directrice des achats du Groupe (Ukraine, Espagne, France, Suisse) sélectionne également tous les vins internationaux pour la filiale « Vins du Monde ». La globetrotteuse du vignoble dirige, forme mais tisse surtout « l’amitié vigneronne » : « Quand on déguste, on éprouve des sensations uniques, on partage des bouteilles, des paroles transmises, des moments d’intimité qui n’existent pas avec un Chef. C’est pourquoi, il est pratiquement impossible d’abandonner le monde du vin ». En juin 2016, la défenseuse des domaines et des vignerons se retire pour mieux cultiver son sentiment intact pour le vin, ce désir de verticalité, cette fête en tête.
Auteur pour « LES 5 DU VIN », blog créé en 2010 par quatre autres passionnés et primé du Wine Blog Trophy, l’impeccable professionnelle, tous les deux ans, participe activement aux « Rencontres européennes des vins oxydatifs secs » intitulées BE RANCI ! et prépare un Festival mondial pour juin 2023. Cette gaîté du rancio lui vient de René BARBIER, vigneron dans le priorat, qui, en 2004, lui fit déguster un vin perdu et oublié, léger, aérien. Ces vins d’arrels (racine en catalan) émeuvent l’écrivain de « La nouvelle épopée des vins oxydatifs secs » (Editions Trabucaire, 2021). Le tonneau éternel la galvanise. « Il a une mémoire, de la géographie, de l’histoire, un goût d’éternité ».
Les touchers de bouche nouent des textures et des architectures, la petite porte d’entrée d’un grand labyrinthe, un passage dans la forêt des cépages, des sols et du soleil : « Les vins bouleversent au fur et à mesure du cheminement de la vie comme un être, un homme, une femme. On ne recherche pas les mêmes choses à certains moments de la vie. Jeune, on veut la puissance, la structure, la sucrosité. Ensuite, le boisé intelligent. Des vins submergent, dominent. J’ai aimé le fruité, la légèreté, la salinité. Aujourd’hui, je recherche l’harmonie, la texture. Le velouté, en fonction des moments. Je suis attiré par la subtilité, la délicatesse. Le « tout fruit » m’épuise. Jouir d’un vin, c’est aimer sa complexité, comprendre son aboutissement. Un grand vin donne envie de se resservir. Chacun a sa musique du vin. L’émotion ne vient pas que du vin, elle vient de la personne avec laquelle on le partage. Une grande bouteille peut se boire seul mais l’autre paramètre c’est la personne avec laquelle elle se partage, le désir de partager, le désir d’ouvrir la bouteille. Ne pas trop préparer le moment, si on est bien, on est en phase. J’ai toujours des bouteilles de vin prêtes au cas où ».
Aujourd’hui, de sa fenêtre, la grande figure féminine du vigneronnage regarde avec une sérénité amusée son premier restaurant, « Le Relais Saint-Jean », niché au pied de la Cathédrale, dans une venelle de Perpignan. Une existence ex cathedra.