Meilleur Ouvrier de France à 26 ans, élu des étoilés, ancien directeur de production de LENOTRE, énergique artiste, indépendant flérien, professeur des farines AOP de la plaine de Limagne, Frédéric LALOS, seul maître-boulanger Membre du Collège Culinaire de France, depuis 1999, percute la capitale si bien garnie des Boulangers, par ses six boutiques « Quartiers du Pain » et son développement international haut de gamme, avec Pierre-Marie GAGNEUX, sous la marque «LALOS».
Le 2 décembre 1970, à Flers, dans l'Orne, éclot un beau bébé. Dans le pétrin, pas de flérien. « Personne n'est boulanger dans la fratrie ». Ni le père, chauffeur routier, ni la mère, éducatrice en école maternelle, ne rêvent d'alvéoles. Pourtant, à 6 ans, le gamin qui vénère le beurre proclame : « Je serai boulanger ». Le héraut du pain français s'étonne encore des sources énigmatiques de cette ambition : doux souvenirs d'enfance des sensations boulangères, oeuvre d'orfèvre des mains. « Le pain fonde l'humanité et son histoire ».
En 1984, en fin de 3ème, à 14 ans et demi, l'amoureux de la matière vivante des levains et des mystérieuses bactéries « veut savoir ». Ses parents, atterrés, lui interdisent la direction CAP. Il lutte, poursuit, bon élève, sa seconde, sa première S. Les fameux sinus et cosinus lui prennent la tête. Avant d'entrer en terminale D, il contrattaque, entêté, devant ses aïeux : « J'arrête tout ». A 16 ans, il plaque tout pour un métier qu'il ne connait pas du tout. « Même si toute ma famille voulait absolument que je passe mon Bac D, la discussion se termine en ferraillant ».
A l'Ecole de Boulangerie réputée de Caen, il fait merveille dans son audacieux pari pendant deux années magnifiques. Le fou de la torsade, pâte à croissant et petites pépites de chocolat, veut en découdre avec la vie, se prouver quelque chose. « Au démarrage, j'avais du mal avec la matière, car, sur 20 élèves, il y avait 18 fils de boulangers, je n'avais pas travaillé beaucoup de kilos de farine. En théorie, je m'ennuyais ». Concentré sur son effort d'apprentissage des pratiques, l'inventeur du « carré longuet » finit dans le trio de tête.
Le titulaire d'un CAP Boulangerie et d'un Brevet de Maîtrise Boulangerie-Pâtisserie y fréquente des formateurs exceptionnels : Alain MARIE, le Directeur, MOF Boulangerie; Mr BACOS, professeur de pâtisserie. « Je suivais les deux matières de front, j'étais attiré par la farine ». En 1990, le futur maître des maturations « monte » dans le Groupe LENOTRE et ses 1000 salariés. « Paris, un choc énorme ». A Plaisir, dans les Yvelines, au Laboratoire, le jeune homme de 20 ans, tente tout pour son métier en ne connaissant personne. « Dans la vie, des trains passent, des opportunités, soit on monte dedans soit on reste à quai ».
Avec Philippe BOIVIN, l'exigeant responsable de production, le patient du four ne crane pas. « Le premier jour, je ne fais pas le malin, je ne savais même pas par où rentrer ni sortir. Pendant deux ans, j'ai travaillé très dur. Je prenais ma journée à 2h, 8h de boulangerie, ensuite, j'allais bénévolement dans les autres postes, décors sucre et chocolat, viennoiserie. On ne fait jamais le tour d'un métier. Je rentrai à 17h pour dormir puis repartir. Il n'y a aucun mystère, il faut travailler violemment pour réussir ».
En 1994, après le four, Frédéric LALOS rentre au moulin afin de mieux appréhender les mille facettes de la farine. « Pas une simple poudre blanche mais un ingrédient naturel, travaillé, vivant ». Pendant deux ans, aux Grands Moulins de Paris, au prestigieux département « Recherche et développement », en relation avec une équipe d'ingénieurs agronomes, le rêveur des moments de pain travaille « les réactions chimiques dans tous les sens, bricole des petits pétrins de deux kilos ».
Ensuite, Frédéric LALOS participe aux sélections régionales du MOF. « Je passais tous les concours : Arpajon, Romorantin. Je ne dissocie pas la boulangerie de la pâtisserie ». Fin 1996, LENOTRE le rappelle pour le nommer « responsable de production » du site de Plaisir. Le retour s'avère exceptionnel. « Six ans auparavant, une personne me tenait la main pour trouver mon casier. Là, je dirige toute cette belle maison, le gamin sérieux devient chef ». Le minot connait maintenant la minoterie. A 25 ans, sa légitimité professionnelle gouverne « vingt bonhommes ». « Du management brutal ».
Le carré Frédéric LALOS en redemande, dort trois heures par nuit, contrôle les animations clients. Le patron boulanger au grand coeur prévient Patrick SCICARD, à l'époque grand directeur général du groupe : « ne m'embauchez pas pour dix ans car je ne resterai pas ». LENOTRE ne représente pas une référence boulangère mais fabrique des pains référents : « J'avais vingt boulangers, des grands cocktails, nous envoyions 5000 petits pains par jour et le pain des 16 boutiques. Tout m'intéressait ».
Fort de cette expérience ébouriffante, le cador du pain au chocolat, subtil équilibre entre beurre et pâte feuilletée, casse toutes les tables de la loi lors du concours de Meilleur Ouvrier de France 1996. Il arrive avec un 19 tonnes plein qui ne contient rien de moins qu'un meuble de travail à tiroirs, des décors en polystyrène, des préparations. Au pays des 32.000 boulangeries, le perfectionniste remporte le concours.
Le MOF 1996, grâce à cette société planétaire, voyage dans le monde entier entre 1997 et 1999. En août, il s'installe seul.
« Je voulais une petite boulangerie dans le nord-ouest ». En approchant les « Grands Moulins de Paris » pour des farines spécifiques, il rencontre son futur associé, Pierre-Marie GAGNEUX, alors directeur commercial, pour fonder « QUARTIERS DU PAIN ». Juste des morceaux de pain dans une boulangerie de quartier. « Nous partons là-dessus à fond les ballons ».
Jean-François ROUQUETTE, alors à "la Cantine des Gourmets" (75007), premier client, lui ouvre le monde des grands chefs, le "Scribe" puis le "Meurice". « Nous n'avons jamais rien planifié ».
En 2011, le boulanger aux vingt clients étoilés, vise le haut niveau de dimension internationale. « A l'étranger, on recrée une variante contemporaine, moderne, intitulée LALOS. On adapte les épices, les fruits mais la pâte boulangère demeure. Taiwan compte trois boutiques aujourd'hui ». Le premier boulanger parisien à rentrer dans le «Collège Culinaire de France» sait que « le pain est une affaire complexe ». Avec honneur et fierté, le pain exige une lenteur des maturations, une sélection drastique et quasi oenologique des farines.
« A 20 ans, des amis me clamaient : le pain, c'est basique, tu mélanges de l'eau et de la farine. Je sautais au plafond ». Frédéric LALOS, poli dithyrambique, soutient : « La boulangerie est l'un des plus beaux métiers du monde, une oeuvre vivante. La pâte mange, respire, se développe. Si vous y mettez de l'attention et de la passion, votre pain sera beau. Nous sommes en plein dans l'humain, nous créons des vies. De là vient la complexité, le temps, la température, la quantité, les conditions de travail. Tout rentre en jeu ».
La farine, fondatrice, provient des plaines de Limagne, dans le Puits de Dôme. Elle pilote la course, possède son terroir.
Le blé se situe non loin de Murat. A la Margerie, le seigle règne. Pour une matière idéale, la typicité des terroirs équivaut aux « cépages ». Un grand pain exige au moins trois éléments : « une bonne matière première, un bon matériel, un bon personnel ». Cet assemblage triangulaire suppose un rapport temporel. « Pour que le pain soit bon, il faut prendre son temps pour le faire. Tous nos pains ont au minimum 24h de fermentation. La farine contient des ferments qui ne réagissent qu'au bout d'un certain temps ».
En outre, existent plusieurs styles de fermentation : en levain dur, liquide, sur de la pâte fermentée, sur des levains séchés. « Nous changeons d'axe pour chaque pâte. Chaque pâte exprime une personne. Chaque pain, par essence, diffère et doit avoir du goût ». Sans se comparer, Frédéric LALOS annonce dignement : « Nous sommes le pays du pain ». Le « goût de l'authenticité » implique de parvenir à travailler sans levure avec des ferments endogènes.
Ensuite vient la phase du façonnage, la pâte pétrie, « le pain pousse ». Selon que le repos s'effectue avant ou après, deux goûts domineront, acétique ou lactique.
En fonction des consistances, des températures, le goût changera in fine. « Rien n'est palpable, les bactéries se développement de façon invisible. La vraie boulangerie est un art du dosage et de la main. La pâte me parle dans le pétrin ». Entre artisan et artiste, dur et merveilleux, le boulanger, chaque jour, réinvente le monde. « Je ne sais jamais comment le rayonnage sera demain. Un amour, une passion, un métier biblique d'enfantement et de joie ». La viennoiserie dévoile, également, une complexité méconnue.
Le pain aux raisins, composé de pâte et de beurre, relève d'un redoutable équilibre. « Si le beurre rentre dans la pâte, il brioche ». Sans le « tourier », pâtissier qui tourne la pâte, la grande viennoiserie disparaît.
Frédéric LALOS forme pour transmettre, « monte en compétence » les jeunes recrues, des personnes passionnées qui veulent apprendre et comprendre. Le pain français demeure unique au monde par sa texture, son aromatique, sa farine. « La culture pain est française car c'est un vrai aliment de base implanté en France ». Le tonitruant aime à ruminer : « Le produit de luxe qui coûte le moins cher ».
Un soir, en rentrant, « une belle baguette tradition avec une belle tranche de jambon, c'est magnifique ». Chaque pain symbolise un moment. « Tous les mois, nous créons un pain, le longuet aux deux raisins, le céréale, la tourte auvergnate, le levain, les biscuits, les stollens. Nous sommes sans cesse en réflexion, en mouvement sur une tarte, une quiche. Nous ne pouvons pas décevoir des gens qui viennent tous les jours, deux fois par jour ».