Pascal MIGLIORE : ostréiculteur

PAR FABIEN NÈGRE
Calme sétois indomptable, funambule vigneron de la mer depuis 2000 sur le Bassin de Thau, au Lieu-dit «Saint-Félix», ostréiculteur rêveur aux gryphées naturelles inhabituelles issu d'une lignée de pêcheurs oranais de Mers el-Kébir, paysan marin méditerranéen, occitan loupianais, Pascal MIGLIORE cultive ses huîtres de haute gastronomie en sybarite accompli, amateur tempéré de vins organiques du Languedoc-Roussillon.

Au sein de la quatrième génération d'un microcosme de marins se dévoile un beau gaillard, le 4 novembre 1972, à Sète. Les ancêtres, depuis longtemps, pêchent simplement les poissons du Golfe d'Oran. En 1962, poussés à l'exil, ils pratiquent la pêche à l'anguille, sur le Bassin de Thau, jusqu'en 1972. Les parcs à huîtres viendront après. Le robuste caboteur sort du système scolaire à 17 ans, sans aucun diplôme. La famille de pieds noirs aisée ne laisse rien transparaître. A Balaruc-les-Bains, le clan honore sa réputation tout en discrétion.

Même avec son accent prononcé à couper au couteau de français d'Algérie, Monsieur MIGLIORE nuance toujours son propos, réfléchit aux questions de son temps. La mère appartient à une famille argentée de maraichers oranais qui exportent leurs légumes vers Marseille.

Tout s'engage pourtant très mal pour l'apprenti marin à l'Ecole Paul BOUSQUET. «Je détestai ce métier, ce n'était pas pour moi. A 11 ans, on veut jouer et s'amuser, les parcs représentaient le bagne avec mon père. Rien ne me plaisait, ni l'huître, ni le paysage».

Une passion fulgurante traverse, pourtant toute la maisonnée : le goût. «La cuisine comptait extrêmement pour ma mère et mon père. L'élément central». Les plus grands souvenirs prennent source dans les fumets du four de la grand-mère maternelle. En parfaite maîtresse de maison d'un homme politique local, elle faisait tout bon. «J'ai encore tout en bouche, une blanquette suave, un délicieux couscous, des plats italiens typiques, une choucroute, avec une maîtrise phénoménale et un savoir-faire unique».

Quand il quitte son métier, le père devient même un «homme de maison exemplaire». Il concocte «une superbe soupe de poissons», une «sublime bourride de lotte». A 10 ans, tous les samedis, l'artiste de l'huître arpente les Halles sétoises.

La viande se savoure uniquement au repos dominical tandis que l'exacte macaronade, plat de pauvre, se compose de boulettes de porc amarrées aux restes de viande de la semaine mijotés tendrement avec des pâtes.
A 14 ans, le moussaillon prête main forte à ses oncles dans leur poissonnerie. «Le facteur déclencheur fut les responsabilités confiées par mon père têtu». A la fin des années 80, son pater familias lui ordonne, in extremis, une commande cruciale, la force de la preuve. «A peine adolescent, je voyage en mer pour tirer la marchandise, la réceptionner sur l'eau. 600 kilos. Des poches de 20-25 kilos».

Entre 1987 et 1988, «le métier rentre». Dans ces années glorieuses, la plaisanterie fuse, accompagnée de sa nuée de fous rires enfantins. Le viking de l'étang de Thau évoque ces instants en malicieux presque nostalgique : «Les rires fusaient tous les vendredis matin, vers neuf heures, casse-croûte autour d'un barbecue avec les voisins, saucisses, huîtres, charcuterie». Serein enjoué, le conchyliculteur artisan de son horizon maritime, conserve la tête bien ancrée sur les épaules.

Dans cette famille soudée autour du bassin de Thau, l'élevage des huitres s'effectue par l'achat des meilleurs naissains sur la côte atlantique notamment Arcachon. Aujourd'hui, les bébés huîtres ne s'acquièrent plus au kilo mais à la bête. Le joaillier des écaillers dispose ensuite ses minuscules huîtres sur des brancards formés de tôles ondulées en respectant des espacements de séparation de quatre doigts, son secret afin de faciliter la pousse du coquillage à la fois en termes de croissance, d'alimentation et de forme. Sur une corde de quatre mètres, il positionne cent vingt huîtres.

Un travail qualitatif et non intensif. Il cimente alors ces coquilles et ses bouts, cordages tel un pâtissier qui créerait un saint-honoré. Après vingt-quatre heures de séchage, les cordes seront détachées du brancard et jetées à l'eau, dans les parcs. Un parc compte environ mille cordes. Là encore, contrairement aux années 90, tout le travail, sensé et non systématique, réside dans l'obtention des conditions de production d'une belle huître. Si le parc ou terrain s'avère trop chargé, l'ostréidé en pâtit. «L'ostréiculture est une forme d'agriculture».
Sur un terrain bien préparé, l'huître loupianaise grandit durant dix mois. Elle passe d'une taille de deux centimètres au calibre N°2. En l'absence de marée, le temps de croissance se réduit. L'océan impose environ quatre ans pour obtenir une huître commercialisable. Dans la région sétoise, les «claires» ou grands bassins charentais naturels d'affinage où se mêlent eaux salées et eaux douces, n'existent pas. Face au manque de créativité de ses collègues, l'amoureux des petits ports de pêche souhaiterait introduire une réflexion sur les stratégies d'affinage.

Contre les mentalités encore extensives par analogie à la viticulture, le sétois désire impulser une révolution de l'huître au sens strictement qualitatif quasi oénologique. «Chaque bassin a son cru, chaque région ostréicole possède sa spécificité gustative». La «Leucate» présente une salinité supérieure à la «Thau» même si elles appartiennent à la qualité BOUZIGUES.

Selon la diversité des lieux, les eaux douces des rivières qui «tapent» dans les parcs, le goût change. A l'automne, avec la douceur de la pluie, l'huitre se transforme, plus charnue.

En 2006, suite au décès de son père, le fils du pays saisit les rennes de la propriété. Avec le système de la marée artificielle qui se substitue à l'affinage, les huitres prennent le calibre «spéciales». La double zéro pèse 250 grammes. Collées puis suspendues à des cordes attachées sur des barres de fer immergées, cet élevage vertical diffère de celui des autres régions (Normandie, Arcachon, Charentes, Bretagne). Selon les saisons, l'ostréiculteur exonde ses huîtres pendant 24h au printemps ou à l'automne et 48h l'hiver.
Les algues, les éléments marins, empêchent l'épanouissement de l'animal poétique par excellence, cher à Francis PONGE. Lors de la replongée à une profondeur de 60 cm à un mètre où la concentration de nourriture, plancton essentiellement, demeure importante, elles se lestent de gras et de matière.

Nues comme au premier jour, elles repartent, vivifiées, dans leur cycle. «Les anciens le faisaient une fois par trimestre, on le fait toutes les semaines». Une forme d'affinage consiste, également, dans la réduction du nombre d'huîtres dans une poche, 70-80 unités environ.

Intarissable fervent sur les prédateurs, soudain envahi par toute une existence consacrée au mollusque marin bivalve, le doux barbu parfois impétueux de poursuivre : «Le seul prédateur sérieux est la daurade. Nous entourons les parcs de filets. En 2005, elles ravagèrent tout l'étang».

L'ouvrier de la mer à la production confidentielle, 20 tonnes par an, qui travaille en solitaire, avoue également une dent contre la triploïde, cette huitre stérile des quatre saisons qui représente 75% du marché, croisement entre la diploïde et la tétraploïde, qui développe un goût caractéristique sucré de noisette.
«Elle vient trop vite, impossible à maitriser». L'huitre naturelle, a contrario, croît avec le temps, tout doucement, tout simplement avec une exemplaire régularité. «Plus on va sur un calibre fort, plus l'huître est parfaite avec un taux de chair élevé. Seuls les grands chefs étoilés cuisinent souvent les forts calibres».

L'agriculteur de la mer entretient ses perles, élève ses oeuvres à un niveau d'exigence absolue.

«On sème, on plante, on ensemence nos parcs. On laisse les huîtres pousser, on travaille tous les jours, on retourne les poches. On soulève des cordes, on met les poches au sec. Sur le bassin, seuls 10% des confrères affinent. Nous réalisons un réel travail de recherche pour une meilleure qualité et pour nous différencier de nos confrères».

Héritière de l'ancestral savoir gustatif de BOUZIGUES, l'huître MIGLIORE diffère par la tension de sa salinité, l'équilibre radical de son art nacré. Elle avance sa digne longueur en bouche spiralée en posture de cygne. Le terroir énonce sa mâche chamarrée, la rondeur de son croquant. Après un tour de poivre, mâchez bien, regardez encore une fois le ciel puis fermez les yeux.

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