Xavier THUIZAT, Chef Sommelier, Hôtel de CRILLON

FABIEN NÈGRE
 
Discret miroitant rare double MSF et MOF 2022, allègre athlète secret des lieux et des visages du vignoble, le charismatique beaunois Xavier THUIZAT, grand d’aujourd’hui et de demain, éclaire, partout sur la terre, le glorieux livre de cave de l’Hôtel de CRILLON édifié de sa main d’artiste : 38 000 flacons, 2200 révérences, 35 pays.
 
La destinée s’orne tôt des élytres du désir dans la diaphanéité pourtant ambigüe du destin. En cette fin d’année 1985, le 28 décembre exactement, dans une aile des Hospices de Beaune, maternité encore gouvernée par des sœurs, se dévoile un faramineux : « J’ai été accueilli à bras ouverts ». Le grand-père paternel cycliste, officie dans le textile. Le père, dans les assurances, cycliste professionnel qui remporta le Tour de France avec l’équipe Lejeune-BP emmenée par Bernard Thévenet, architecture son cellier étagé aussi de Bordeaux.
 
La maman, dernière d’une fratrie de neuf enfants, enseigne le sport mais personne ne fait profession du vin. Seul le grand-père maternel, chef de gare à Chagny, rescapé de la guerre, rompît, en désespoir de cause, le fil nobiliaire. Propriétaire de vignes à Puligny-Montrachet, bâtards, premiers crus La Pucelle, rue rousseau, il céda pour une bouchée de pain ce qui se valorise aujourd’hui un tas d’or. Le blé surpassait la viticulture. « Sans cela, je n’aurais jamais été sommelier mais vigneron ».
 
Dans la charmante capitale fleurie des vins bourguignons aux tuiles vernissées, le Saké Samouraï traverse brillamment son parcours scolaire, de la maternelle des Darçins à Cusset, au collège Saint-Joseph puis Monge, jusqu’au lycée professionnel E. J. Marey. L’adolescent, tenace compétiteur toutes les fins de semaine, n’absorbe, pour l’instant, que de l’eau minérale même pas ferrugineuse. Un seul grand rêve le hante jusqu’à ce jour : « commenter le Tour de France ». Le sociétaire de l’ASPTT Dijon, spécialiste du contre-la-montre et du sprint, s’imagine journaliste loin de la symbolique de jus de raisin fermenté : « Le vélo coulait dans mes veines, instinctif ».
 
Toutefois, à l’adolescence, lors d’un déjeuner dominical familial, autour d’une belle volaille, entouré de ses oncles et tantes, son père l’apostrophe pour piquer sa sapide révélation : « Tu devrais goûter au moins une fois Pommard Domaine Germain 1985, à Meursault et Côte-Rôtie Edmond Duclaux 1995 ». Le futur Président de Kura Master sent la terre se dérober sous ses pas, ressent, à fleur de peau, la nuance, la « magie qui ne sortira plus jamais de sa tête, le transport dans un lieu. Aucune boisson ne restitue le génie du lieu comme le vin. Le paysage, l’atmosphère, l’air, le vent, la poésie, la compréhension de l’origine à partir d’un fruit ».
 
Envoûté par la nature, le titulaire d’un baccalauréat littéraire mention bien pratique, avec appétit, le « versant féroce de la joie » selon la magnifique formule d’Olivier HARALAMBON. « Un énorme concours de circonstances » le ramènera au vin. Le directeur de l’école de Beaune, un ami de ses parents, président du Club de Vélo, ouvre une section « commerce des vins et spiritueux » en 2002 et l’encourage vivement à s’y inscrire. Emerveillé par un monde qui le fascine, il revient à l’étonnement aristotélicien de son enfance à la Maison Familiale Rurale de Grandchamp, la seule à dispenser ce diplôme reconnu par le Ministère de l’Agriculture : « ce raisin qui se change en vin, dans les chais, avec ses amis ».
 
Ébloui par l’émission « Envoyé spécial », sur France 2, consacrée à Enrico BERNARDO, Meilleur Sommelier du Monde 2004, il n’en démord plus : « à partir de ce jour, je veux être sommelier dans un grand palace parisien ». Il intègre tout de go l’Ecole Hôtelière de Tain l’Hermitage afin de compléter sa formation par une Mention Sommellerie. Là, un professeur le marque à jamais : Pascal BOUCHET. L’homme impressionne d’abord par son physique : 1m95, 110 kilos. Ce fumeur de gitanes force, ensuite, l’admiration par sa prodigieuse prestance, sa manière unique de raconter des lieux avec sa voix qui porte : « je voyais l’église, les vignes, le vigneron ».
 
Celui qui examine sa cravate, fièrement arborée, à l’effigie de tous les crus bourguignons mise en pièces au ciseau par son mentor sus évoqué pour l’éloigner d’un emballement attendu se voit propulser, par le même maître, en 2005, sur ses propres terres, chez Bernard LOISEAU***, pour structurer sa fougue un brin rêveuse. Dans cette maison « très dure », le commis se forme sous les auspices d’un autre intraitable : Éric GOTTELMANN. Le jeune homme à peine majeur se lance sans filet face au client : « au pas de charge et militaire, enrégimenté, je découvre la rigueur de l’armée de terre, je goûte tout, les Chambertins Grand Cru de Denis Mortet, les Richebourgs et autres cols prestigieux ».   
 
En 2006, au Meurice, le sommelier vit « le grand moment ALLENO, craintif et fragile triple étoilé ». Une bouteille de la Romanée Conti bouleverse, pour la première fois, le beaunois qui avait pourtant déjà dégusté 32 des 33 grands crus bourguignons : « Millésime 1995, un verre offert par un client vénézuélien. Je n’oublierai jamais son bouquet. Ma hiérarchie chamboulée, je n’attendais rien mais la nature l’emporta, jambes coupées ». Chez Pierre GAGNAIRE***, rue Balzac, en 2010, le délicat, élégant, ouvert et déjà aristocratique assistant sommelier « apprend à désapprendre », percevant la complexité à placer des vins sur la cuisine baroque d’un génie.
 
Fasciné durant quatre ans par « l’univers impénétrable », l’art astral de l’apinaquois cosmogonique et satellitaire, le Saké Sommelier, en 2014, relève un véritable défi au Peninsula dans son premier poste de Chef Sommelier. Il s’agit ni plus ni moins que d’ouvrir, à 28 ans, le restaurant du Palace et de créer, ex nihilo, la cave de l’établissement : « je n’ai jamais été aussi exténué de ma vie mais c’était un jeu hallucinant totalement inconscient de l’enjeu ».
 
Dans ce mouvement sidérant de précision et de célérité qui dura moins de trois ans se dévoile un style propre : représenter au mieux la France viticole dans un récit classique, remettre l’humain au centre de tout, au cœur de l’actualité des vignobles, raconter un lieu, une culture, une philosophie. L’ambassadeur hors-classe des vignerons l’affirme sans ambages : « Je ne recrute jamais une appellation mais une personne, un homme ou une femme, un savoir-faire. Chaque fois que je visite un grand nom, je lui demande quel est le jeune qu’il me conseille dans le quartier ».   
 
En 2017, le Chef Sommelier à l’Hôtel de Crillon qui met un point d’honneur à désacraliser la dégustation et le vin, rejoue ce tour de force de reconstituer l’entièreté de la cave dans une autre dimension. A L'Écrin*, le restaurant gastronomique dirigé par le chef exécutif Boris Campanella, aux Nonos et Comestibles par Paul Pairet, au Jardin d'hiver, le salon de thé sous la houlette du chef pâtissier Matthieu Carlin, et à La Cave, salle à manger privée, au Bar Les Ambassadeurs dirigé par Kevin Rigault, le discret lumineux se singularise par l’art de la carte vivante qui exprime toute sa pensée du vin : « Les clients, aujourd’hui, ont tout goûté. Je change ma carte trois fois par semaine ».
 
En 2022, au premier essai, deux prestigieux titres consacrent cette noble épaisseur d’expérience : Meilleur Sommelier de France et Meilleur Ouvrier de France Sommellerie. Le trésorier de l’Union de la Sommellerie Française qui appartient désormais à l’élite mondiale marque également l’histoire en intégrant le club fermé des doubles titrés du même millésime : Franck THOMAS (2000), Dominique LAPORTE (2004) et Pascaline LEPELTIER (2018). Une autre lumière de la riche personnalité de ce réservé de première classe tient dans sa passion nipponne : « Quand j’ai rencontré mon épouse japonaise, j’ai épousé une culture. La gastronomie nous a réuni ».
 
Depuis 2010, le passionné de Nihonshu goûte la philosophie de vie japonaise au quotidien. Un des plus grands chocs émotionnels de dégustation de sa vie, à l’instar de la DRC, il l’a vécu dans une Maison de Saké : « A Kyoto, dehors, à genou dans l’herbe, un paysan me fait boire l’eau de fushimi, sept fois plus pure que l’Évian. En larmes, en frissons, ému par le vide, la pureté, l’absolu ». Celui qui se définit comme « un prescripteur de plaisirs », toujours en quête d’élégance, de beauté, et d’apaisement, sait le fondement fragile de la vie, la résistance et la résilience.
 
La profondeur de son humble ambition tient à un fil tenu d’équilibriste. « Pas très serein pour la suite, les jeunes talents, l’évolution du monde du vin », il s’engage dans les institutions françaises pour perpétuer « nos traditions, notre trésor, un sommelier français n’est pas un sommelier comme les autres ». L’intarissable passeur au coruscant regard, affirmatif porte-parole, trait d’union entre le vigneron et le client, conte le vin en « produit bien réel du travail des hommes et de la terre ».
 
Emerveillé par l’origine du goût, transporté par les vieux vins, « seule machine à remonter le temps, papiers buvards du sol dans le verre », le virevoltant du Crillon cultive la mémoire, les souvenirs pour transmettre un héritage aux générations futures, multiplier le savoir, le partager, le diffuser. Dans un souci perpétuel de ne pas « cérébraliser » pour préserver le versant charnel spontané du vin, le pratiquant d’Ironman aime le jeu sur les limites du corps qui canalise la farouche énergie solaire de son alacrité : « Je me souviens d’avoir eu deux points de côté qui m’empêchaient de respirer pendant au moins quinze jours à la suite d’une course d’Ultra-trail ».           
 
Le vin, expérience métaphysique et aventure bien physique, traverse le temps dans un voyage de soi. Le magicien impérial de la Concorde nous le chuchote avant de s’effacer, jovial et enjoué : « j’adore apparaître et disparaître ».          

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