Vibrion perpignanais, agrégé par la dive bouteille sustenté, polyglotte fondateur de SlowFood France, Jean LHERITIER, orchestre, depuis 2014, « Be Ranci ! » (Soyez Rancio !), unique salon des rencontres européennes des vins oxydatifs secs, manifeste d’un nouveau continent du suc de la treille.
Le 3 août 1952, à Perpignan, s’origine un destin animé. Pitchoun, le fils de pharmacien amateur de Bordeaux, dont la grand-mère maternelle catalane naquit à Fitou, ausculte les Moulin-à-vent de la cave paternelle. A huit ans, le turbulent porte du rouge à ses lèvres. A dix, l’agité descend et remonte les quilles du cellier familial. A onze, la mère propulse sans préambule le pétulant poulain dans un prytanée biterrois. Embrasé de grimper dans un omnibus avec sa tante pour la première fois, l’incontrôlable ne se soucie guère de l’univers pondéreux qui l’attend du collège au lycée.
Une tragédie rebrousse soudain le fleuve impassible des premières années, la perte accidentelle de son créateur à 14 ans : « Quand mon père m’a quitté, je me suis mis à aimer le vin ». Nonobstant ce parcours scolaire heurté de galopin qui escalade les murs en nocturne, l’ultérieur enseignant à l’Ecole Supérieure du Vin coule une enfance heureuse dans sa maison de village de montagne à Formiguères. Le second de la classe par nonchalance, chahuteur à ses heures, qui parle haut et fort, obtient tout de même son Baccalauréat Série C en 1970 avec une petite mention.
L’indécis se dirige dès lors vers Toulouse pour des études de mathématiques faute de récupérer la pharmacie domestique. Influencée par un cousin postérieur écrivain d’une dizaine de romans déjantés, sa mère l’oriente vers une préparation intégrée aux écoles supérieures de commerce. L’insolent « marxiste-léniniste » échoue au grand oral, englué dans une thèse farfelue. Les sciences économiques lui sourient mais ne suffisent pas à son avidité de savoir et son inclination pour les langues. Le perfectionniste de l’approfondissement se déchaîne, enchaîne les titres de noblesse.
Afin d’outrepasser le dialecte roussillonnais, le bouillonnant licencié en anglais en 1976 engrange un diplôme de Catalan en 1978. L’amoureux du belcanto composera même sa maîtrise d’italien en 1990 sur Lorenzo da Ponte, illustre librettiste vénitien, auteur des trois grands opéras mozartiens. Ancré dans sa « catalanité », le titulaire d’une maîtrise ès sciences économiques amorce, en 1975, sa vie réelle en vendeur aux Dames de France de Perpignan. L’inextinguible curieux attaché à son amarrage cite, toute lippe en giration, le proverbe mélanésien : « La pirogue est faite avec le bois de l’arbre de l’île mais elle permet d’aller voir ailleurs ».
Au bout de six mois, le directeur de l’établissement estomaqué le convoque sur-le-champ dans son étroit bureau : « Avec une licence d’économie, je vous propose une carrière dans notre groupe ». Entre temps, la même année, le vingtenaire attisé par l’érudition inassouvie des cultures catalanes saisit, par annonce et un heureux concours de circonstances, un poste de professeur de sciences économiques maître auxiliaire au lycée Bonsecours : « Quand je rentre dans une discipline, je cherche à tout comprendre ».
Agrégé de sciences sociales en 1986, le professeur d’économie, de sociologie et d’histoire économique en classe préparatoire aux grandes écoles de Management concevra sa propre entité pour ne pas abandonner sa contrée. Dès son entrée dans le monde estudiantin, à 23 ans, il se passionne avec fougue pour le vin : « J’achète six Mouton Rothschild 1973 à un prix très abordable. Jacques Chirac venait de le classer en premier grand cru ». L’enfiévré continue d’acquérir des « petites bouteilles » à sa portée, s’amourache de Cahors, essaie de mieux comprendre la Bourgogne, grande oubliée de son père.
Sa véritable intronisation dans le vin surviendra, en 1976, lors du retour dans sa maison familiale de Rivesaltes. Jean LHERITIER creuse son propre cellier en écopant pendant une semaine. Il aménage son paradis souterrain. En cette fin des années 80, les cavistes fleurissent dans la capitale du Roussillon. L’un d’entre eux nommé MAGNUM, tenu par un frais émoulu d’un BTS Viticulture-œnologie, organise des dégustations hebdomadaires, par exemple, avec son ami André OSTERTAG. En 1992, il rejoint le Club de dégustation de Paul SCHRAMM avec Gérard GAUBY durant dix ans après avoir fondé le sien bien nommé « Le verre est dans le fruit ».
A 40 ans, en amateur suractif sérieux qui déguste en silence, le militant change d’échelle. Le précurseur rencontre Carlo PETRINI, Président de Slow Food, à Vinexpo Italie. En 1997, le créateur du premier « convivium » Slow Food en France, à Perpignan, accélère. L’engagé Président de Slow Food France (2003-2011) initie les journées internationales du Grenache (2000) pour sauvegarder ce cépage arraché par les producteurs régionaux de vins doux naturels alors même qu’il fait merveille sur l’appellation castel-papale et dans le Priorat. « J’ai un besoin vital de boire du vin, c’est un aliment, mon corps aime le vin. Je sais que le vin forme une réalité économique mais j’ai l’approche d’un dandy qui recherche la diversité, loin du marché ».
En 2004, avec un groupe d’amis, dans le même esprit, l’énergique adamantin lance l’Association de défense des rancios secs du Roussillon : « Le Rancio n’est pas du glouglou. Les rancios secs étaient des vins en situation fragile, classés ni en AOC ni en IGP. J’ai réuni des producteurs pour éviter sa disparition ». En gastronome, le président de Slow Food Pays Catalan (1998-2023) se démultiplie pour passer des messages : « pour soutenir la bonne agriculture, il faut savoir ce que l’on mange; pour soutenir la bonne viticulture, il faut savoir ce que l’on boit ».
Le Membre du Conseil International de Slow Food, représentant de la France (1998-2012), sillonne le monde, de l’île de Santorin aux Samis, de l’Italie au Mexique. En 2006, la tornade rivesaltaise crée deux structures qui feront florès : le « Jardin Ecole de Slow Food Roussillon » pour des cours de culture alimentaire dans les écoles primaires et l’Association pour la défense et promotion des races locales en Pays catalan. En 2011, l’IGP VDP des Côtes Catalanes Mention Rancio Sec voit le jour.
Le joyeux boulimique, voulant réintroduire un mot catalan dans son projet, pense à l’interjection « BE RANCI ! », pour l’association qu’il avait créée avec le Domaine du Ranci, les frères Danjou-Bannessy et Jacques SIRE du Domaine des Schistes. En 2014, épaulé par l’immense Josep ROCA, le Salon des Rancios Secs éclot avec son fameux tee-shirt où figure l’injonction dynamique. La quatrième édition invitera toute l’Europe -Alsace, Madère, Marsala, Gaillac- à dévoiler un nouveau continent inconnu du vin : « Les Sardes veulent faire BE RANCI ! à New-York mais nous demeurons attachés à un lieu, le Centre d’Art Contemporain de Perpignan : acentmètresducentredumonde ».
En 2017, le fondateur d’INDIGENES, allusion directe aux levures éponymes, salon perpignanais de vins naturels au succès retentissant revendique encore deux de ses mantras : la carte et le territoire, le local et l’attache. Il s’agissait de montrer le travail des vignerons nature des Catalognes et de l’Occitanie pour défendre une identité territoriale. Aujourd’hui, Jean LHERITIER se réjouit de l’enracinement du Salon perpignanais à taille humaine, de sa « catalanité » même si l’affiche de BE RANCI ! ambitionne de réunir tous les vins oxydatifs secs du Nord et du Sud de la planète.
Ce festival des vins, attachant, singulier en son genre, sans enjeux commerciaux, composé presque exclusivement de professionnels, diffère de tous les autres : « Je veux qu’on mette les oxydatifs secs sur les cartes des restaurants, les rancios secs appartiennent à notre culture, notre histoire ». Le professeur émérite d’ajouter, toujours soucieux de la biodiversité : « Dans mon jardin, je ne vois plus de limaces, de scorpions, d’insectes, de hérissons, de salamandres et de vers de terre, la vie disparaît ».