Gérard MUNIER, DG du Paysan Urbain Grand Paris

FABIEN NÈGRE
Enfant de ferme nancéen diplômé de Sciences Po, auditeur international en Afrique, entrepreneur social en Argentine, Gérard MUNIER, cocréateur et directeur général du Paysan Urbain Grand Paris depuis 2021, une exploitation sise au cœur du 20ème, soigne ses micro-pousse ultra-fraîches pour cultiver les valeurs de l’agroécologie citadine.    
 
D’une métairie étendue mais isolée de Dommartin-sous-Amance, charmant petit village de 300 âmes tout rond, non loin de Nancy, en 1961, s’éveille un enfant dans son paysage agreste : « Quand je sortais de chez moi, tout le panorama m’appartenait. J’ai eu un rapport physique, heureux avec la nature. C’est une chance de grandir à la campagne, entouré de ses sœurs. Le goût de l’expérience, le contact avec les animaux évacue les peurs ». L’exploitation agricole en polyculture se déploie sur 130 hectares. Les parents y sarclent des céréales, des plantes fourragères, élèvent des vaches laitières, des bovins et, spécialité rare dans la région meurthoise, de la viande chevaline.
 
A 6 ans, le garçonnet rêve d’un ailleurs en écoutant religieusement son oncle paternel, missionnaire dans différents pays asiatiques, Chine, Japon, Singapour : « C’était magique, il revenait tous les cinq ans et nous racontait ses voyages ». Dans cet environnement, l’alimentation enthousiasme davantage l’adolescent que la ruralité. La saveur des bonnes choses et la manière dont sa mère, excellente cuisinière, les apprête, prime : « un poulet fermier, des fraises fraichement cueillies, des mirabelles, des quetsches et ces petites cerises aigres, en tartes ou clafoutis, d’une délicieuse puissance ».   
    
A 50 ans révolus, jadis brillant élève amputé de son cursus scolaire par une reprise prématurée du domaine, le père songe déjà à ses vieux jours. A 62 ans, il cède sa terre. A 12 ans, le préadolescent se voit transbahuté en banlieue nancéenne. Au lycée, l’élève dissipé n’étincelle pas, sans doute par paresse intellectuelle mais il se pique de curiosité pour la géographie, l’histoire et last but not least les mathématiques. Le majeur arbore son baccalauréat Série C. Il engage, illico presto, en parallèle, une faculté de sciences économiques, de droit et le CUEP (Centre Universitaire d'Etudes Politiques) de Nancy, préparation aux concours d’entrée à Sciences Po.
 
A 20 ans, l’excellent élève intègre la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume, Paris 7ème : « J’étais un privilégié, je voyageai, je m’intéressai à la vie du monde librement ». Au sortir de la section économie et finances, il se lance dans une nouvelle profession alors en vogue, auditeur, afin d’arpenter des pays et des mondes. Ses missions chez feu Arthur Andersen couvrent trois domaines : les fusions et acquisitions, les entreprises en difficulté, les filières textile et télécoms en Afrique-Asie.  
         
Au début des années 1990, l’ambitieux baroudeur accède à un cabinet en forte croissance : BMA (Bellot Mullenbach et Associés). Ses voyages de conseil l’emportent autant dans l’industrie cotonnière d’Afrique de l’Ouest que dans les champs de thé rwandais ou bien à Madagascar : « Ces aventures humaines extraordinaires permettent d’aborder un pays et une culture ».  En 2004, désappointé par « les dégâts colossaux provoqués par les grands groupes et les fonds d’investissement au niveau économique, social et surtout environnemental", il décide de revendre ses parts à ses associés.
 
Il part en villégiature de loisirs à Buenos Aires, tombe amoureux « de cette ville, sa beauté, la richesse de sa culture, ses habitants, son architecture ». En 2005, avec son compagnon, il acquiert une magnifique maison dans le quartier historique central de San Telmo. Anticipant la renaissance argentine, durant cinq ans, le bâtisseur transforme la CASABOLIVAR, édifiée en 1900, en un « bel hôtel boutique » destiné à une clientèle internationale dont les acteurs de la version brésilienne de « Desperate Housewives ». 
L’Appart hôtel cédé, au bout d’un long périple en Amérique du Sud, il s’installe à Bogota pour ouvrir un restaurant, attiré par « un peuple colombien extraordinaire, travailleur et doté d’un grand sens de la fête ». En 2012, le retour en France forme un point de bascule qui bouscule. En 2015, le créateur de « projets un peu fous qui fédèrent des publics variés » monte, avec Benoît LYOTARD, rencontré par le réseau Cocagne, Le Paysan Urbain, à Romainville, un projet qui vise la dimension sociale de l’insertion dans le cadre de l’occupation éphémère d’une ancienne friche industrielle.
 
Fort de ses compétences, le directeur général avait vu germer l’idée de la micro-pousse dans sa tête lors d’un séjour en Californie, à Portland. Sans vouloir reproduire en ville ce qui se fait à la campagne, ce modèle semblait possible et pertinent dans un rapport à l’urbanité. Produits à très forte valeur ajoutée, les micro-pousses se consomment ultra-fraîches. Premières feuilles ou cotylédon après germination des graines, elles forment des bombes nutritionnelles riches en vitamines et minéraux, d’une puissante palatabilité.
 
Ces aromates à consommer crus introduisent de la couleur dans tous les plats chauds ou froids, poissons, légumes ou salades, inventent un support unique pour pratiquer l’insertion à plusieurs niveaux : cycle de culture courts, valorisation des personnes, résultats visibles rapidement, consultations régulières du fruit de leur travail. La culture des vingt variétés (coriandre, pois vert, moutarde, folie des 3 radis, saveurs d’orient, méli-mélo, tournesol, roquette, cresson…) a lieu toute l’année avec une grande diversité de métiers, aux parcours riches, qui travaillent en équipe. Avec ces aliments qui grandissent sous serre, à la lumière naturelle sans aucun intrant chimique, seulement avec des graines et du terreau biologiques, les personnes reprennent confiance et estime de soi.  
 
Avec le tissu végétal, chacun retrouve les saveurs envoûtantes de son enfance. Chemin faisant, la production se diversifie aujourd’hui vers des petits comestibles, fleurs ou feuilles. Autres dimensions : transmission, pédagogie, formation avec les enfants, les publics du territoire ou la RSE (Responsabilité Sociale/Sociétale des Entreprises). Les fermes urbaines agroécologiques et citadines du Paysan Urbain incarnent des lieux hors-du-commun de mixité sociale, générationnelle, culturelle et de genres, d’inclusion et de lien social. Inauguré mi-2020, le Paysan Urbain Grand Paris, dirigé par Gérard MUNIER, tisse sa toile. Depuis 2021, son associé, Benoît Liotard, ouvre une deuxième ferme urbaine autour d’un cloître administré par Les Apprentis d’Auteuil, dans le quartier de la Rose, à Marseille. En 2022, de nouveaux partenaires rejoignent le réseau pour créer une ferme à Saint-Priest près de Lyon et sur l’ile de Nantes. Ce réseau ambitionne de se développer dans les principales grandes villes françaises. Chaque ferme présente une spécificité en fonction des contraintes et des atouts des territoires, de son ancrage dans un lieu.
 
L’agriculture urbaine offre des services à la ville en produisant des comestibles de bonne qualité distribués localement, en créant des emplois inclusifs pour des personnes en difficulté, en mettant en place une pédagogie de reconnexion à la nature, en créant du lien social avec le bénévolat, en participant à la protection et l’enrichissement de la biodiversité, en favorisant les urbains dans leur action de végétalisation de la ville. Chaque domaine représente un cadre productif, bucolique et sauvage.
 
Chaque ferme urbaine définit un espace d’usages. Elle existe dans une structure juridique particulière, toujours sous forme d’association ou de coopérative pour rendre le projet plus résilient. En 2023, les nouveaux axes foisonnent à la Ferme de Charonne : finalisation du pavillon d’accueil, développement de la transmission et de la pédagogie, animation pour différents publics, culture de la fleur à couper comestible et des plants.
 
Sous le parrainage cohérent de Thierry MARX, enfant de Ménilmontant, oxalis, tagete et autre capucine, écolos, locales et solidaires, poussent en silence avec beaucoup d’amour. Les entreprises construisent des ateliers de renforcement d’équipes, se reconnectent avec le vivant, la nature et s’ouvrent sur les thématiques du développement durable et de l’écologie. Gérard MUNIER n’a jamais perdu le fil de son enfance en plein air et au beau milieu de la nature : « faire vivre des expériences ».

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