Native de Shizuoka, formée auprès de Tateru Yoshino et à la Truffière,
Ayumi SUGIYAMA crée, presque sans sucrosité, par des accentuations singulières, des formes françaises subtiles aux sensibilités japonaises, un origami de douceurs.
A Shizuoka, littéralement «
colline calme », ville côtière face au Mont Fuji, apparaît une petite fille agile de ses mains qui n’aime pas le sucre. La mère, absente, professeur d’éducation physique et sportive, travaille trop. Le père tient sa boutique de chaussures. «
Je ne mangeais pas de sucre, pas de desserts après les repas, seuls les gâteaux se dégustent pour le thé, le plaisir ou pour un invité ». A la maternelle, l’enfant qui abhorre les sucreries veut devenir «
boulangère ou pâtissière ». Les parents achètent tout de même des gâteaux français dans leur ville. L’énergique se lance dans le volley-ball de compétition entre 2 et 16 ans, l’aïkido ou le Babington.
A 17 ans, après le baccalauréat classique, le paternel, bien avisé, sollicite un stage pour sa fille auprès d’un de ses clients boulanger. «
Fascinée, je voulais créer, transformer, faire mais pas manger. Je voulais de la joie, des sourires. J’adorai la vitrine de la pâtisserie ». A sa majorité, la jeune femme du pays des champs de thé à fleur de montagnes, rentre à l’école tokyoïte de pâtisserie TSUJI dans le quartier de Kunitachi. Au sortir de son cursus, elle s’exerce dans une pâtisserie nommée La Lausanne à Shizuoka.
En 2003, sur un conseil maternel accentué, «
si tu rentres sans résultats, cela ne servira à rien », elle débarque à Paris chez Sucré Cacao et Pommier, deux pâtisseries très différentes dans la plus pure tradition française. Cette dernière, dans le Marais, dévoile des classiques savamment tournés : religieuses, tartelettes fraises et framboises, fraisiers mais également opéra à l’ancienne. L’autre établissement réalise des macarons, des créations modernes et originales. La vie parisienne bouscule autant que l’absence de maîtrise de la langue : «
J’habitais rue du Bac, je ne connaissais personne, je ne parlais pas un mot de français, je ne comprenais même pas le mot Bonjour ! ».
A l’Alliance Française, boulevard Raspail, lors même qu’elle étudie la poésie de Shakespeare et la prose de Flaubert, elle rencontre ses premiers amis japonais vivant dans la capitale. En 2006, Tateru YOSHINO, chef du fameux Stella Marris*, maître du pâté en croute au foie gras ou du bar de ligne grillée aux artichauts à la barigoule, dans le 8ème, l’appelle au titre de commis auprès d’une cheffe pâtissière japonaise : «
Premier restaurant et premier gastronomique, une expérience très dure mais lumineuse ». Un an plus tard, elle rentre à la Truffière, dans le 5ème. Dans cet étoilé au livre de cave labyrinthique, elle exerce son art en toute liberté durant quatre ans. La cheffe pâtissière parachève son soufflé à la truffe, manie épices et légumes avec une rare virtuosité.
A Pau, aux Papilles insolites, elle rejoint Jean-Pascal REVOL, chef sommelier remarqué, travaille sans aucun ustensile. Sa créativité tourbillonnante accouche d’un dessert intitulé « Miroir », une mousse au chocolat, épices, glaçage ; une glace topinambour, émulsion à la poire, tuile muscovado, saké. En 2016, elle ouvre ACCENTS* avec son compagnon, Romain MAHI : «
J’ai beaucoup de chance car Romain aime le sucre, utilise des fruits dans sa cuisine. J’écarte d’emblée le sucre. Nous sommes complémentaires, du début à la fin, sur un bon chemin. Je baisse l’intensité du sucre dans les desserts car je veux que le client mange jusqu’au bout ».
Ayumi SUGIYAMA joue à introduire des provenances japonaises dans les desserts hexagonaux. Le monaka, sorte de macaron nippon à la farine de riz soufflé ne contient pas de haricots rouges mais de la datte associée à une crème au fruit de la passion. Un cocktail sans alcool accompagne chaque issue, parfumé et pétillant pour rafraîchir le palais entre deux dégustations. La buveuse de thé matcha tout au long du jour apprécie les accents qui tournent aux accentuations sur le wasabi, pamplemousse, framboise : «
L’accent est une racine que je pose dans mes assiettes, un goût, le poivre par exemple ».
Son style, une pâtisserie légère à la sensitivité nipponne, réduit le grammage mais ne se fixe aucune limite. «
Je peux faire un dessert avec du porc, bien cuit, très fondant, avec une guimauve passion, avec des herbes fraîches et sauvages, des légumes, une échalote, une carotte, de la patate douce ». La gérante cheffe pâtissière flaire les liqueurs pour extraire des goûts concentrés qui collent aux saisons : «
Poire, sucre noir. Cèpes, praliné. Persil/citron/fenouil ».
Dans ce désir de pâtisserie poétique, craquant, mou, froid et chaud se composent avec du sel. Le voyage nous emporte loin avec l’algue umibudô d’Okinawa, l’umami, le goût profond partout présent dans l’horizon du thé vert du Mont Fuji de son enfance. Quand elle retourne chez son père, elle court dans la maison de Thé SASUKI qui produit le meilleur. Avec la feuille, elle façonne une poudre qu’elle monte en mousse.
Dans la symbolique japonaise, la grue blanche en origami porte bonheur, elle fait allusion à une union artistique, culinaire, professionnelle et civile. «
On ne discute pas entre nous, on regarde, on s’inspire. C’est un dialogue silencieux ».
Photos Florian Domergue
Restaurant Accents
24, rue Feydeau - 75002 Paris
Janvier 2023