Doux villemomblois, discret à l’âme d’esthète, cœur d’artisan, entrepreneur solidaire des Maisons MULOT, Fabien ROUILLARD renouvelle la pâtisserie salée et le traiteur haut de gamme.
Le 25 décembre 1972, dans le 93, à Villemomble, au sein d’une gracieuse cité pavillonnaire, la nativité se dédouble d’un créatif timide au sourire éclairé d’emblée par la friandise. Le père normand, charcutier tripier, s’épanouit dans le traiteur, à la Ferté-sous-Jouarre. La mère, nancéenne, s’emploie à la sécurité sociale. La première affaire se cache à la Villa Orléans, avenue du Général Leclerc. « Tout gosse, j’y étais tout le temps fourré ». Puis, la famille ouvre dans le 77. « Les mariages, les baptêmes fascinent avec leur bonne ambiance familiale en cuisine, avec ma grand-mère ». Le père confie son croquembouche au pâtissier du village.
La scolarité dérape pour le turbulent galapiat. Le chenapan rêveur, entre 1980 et 1985, multiplie les sottises, à vélo, en mobylette. La vitesse le cogne. En troisième, l’explosif adolescent demande à abandonner l’école, un impensable. Le stagiaire de la prestigieuse Auberge de Condé du Chef triple étoilé Pascal TINGAUD, favorise d’abord la cuisine pour acquérir la vélocité. A 15 ans, les heures s’assombrissent dans les cris et les hurlements, les mains engourdies par l’eau glacée. « Très militaire pas comme chez mon père bon enfant ». La vérité de la lumière percera pourtant très vite au bout du couloir.
Le chef pâtissier, tout en calme et douceur, le tire du garde-manger pour l’attirer dans sa crèche de rêves. La féerie d’une crème pâtissière, les odeurs d’une costarde, la majesté des cloches en sucre au caramel, le silence du laboratoire l’enchantent. Pour l’anniversaire de sa mère, le mitron présente son premier gâteau dominical. « La révélation de la pâtisserie vient du service, du plaisir procuré dans les réceptions ». En 1988, le polisson, malgré son jeune âge, intègre l’Institut Vatel, rue Nollet 17ème. Il obtient son BEP en deux ans.
L’impétueux recherche un cadre tout autant que des cadrages. Le pâtissier de l’EPMT (Ecole de Paris des Métiers de la Table) réalise son apprentissage à l’Hôtel Concorde Lafayette sous l’autorité d’Yves MICHOU. Il y découvre la beauté des feuilletages et la volupté des pâtes à chou. En 1990, le Chef de la mythique Tour d’Argent faillit pourtant l’écœurer du métier. Las, il regagne Londres pendant cinq ans pour œuvrer dans un magnifique établissement, la Maison des Sorbets, dirigé par l’excellent Guy LAPLACE.
En 1992, à 20 ans, il se frotte aux chasseurs alpins durant ses classes sous les drapeaux. En août 1993, il aborde l’outremer en volontaire dans les Armées. En Somalie, sous l’égide de l’ONU, il s’engage trois mois, y demeure cinq et veut resigner pour la Yougoslavie. Avide de « se sentir utile », honorer de servir, d’aider autrui, de protéger les humains, de les rapatrier du Kenya, le sergent possède une profonde fibre humaine et sociale. « L’armée m’a calmé, j’ai vu tellement de choses dures, j’ai relativisé par rapport à la vie mais mon père a stoppé l’élan ».
En 1994, il atterrit dans la vie civile en vrai pâtissier chez RAINIER-MARCHETTI Traiteur aux côtés de Jean-Christophe JEANSON. Ce manager hors pair ultra mature aime produire plein de gâteaux, des macarons notamment, mais surtout emmener des équipes jour et nuit, emporter avec douceur à un objectif. En 1995, il découvre Michel BLANCHET, un redoutable restaurateur double étoilé, au TASTEVIN, à Maisons-Laffitte. Un style propre, une cuisine singulière. Le désir de pâtisserie affleure : « Je me souviens du sanciaux, une spécialité berrichonne, des pommes revenues dans le beurre et le sucre, flambées au calvados dans un appareil à crêpes ».
En 1996, l’effervescent vingtenaire, grâce à Sébastien GAUDARD, grand pâtissier mussipontain chez FAUCHON, atteint une montagne : LUCAS CARTON***. Le chef de partie pâtisserie pêche souvent par excès de modestie. Frédéric ROBERT, alors second du maître cérébral, le repère : « C’était des cadences infernales, on faisait tout à la main, le pain, les chocolats sans machine à enrober, les glaces, un vrai trois étoiles. Ma première création a été acceptée au bout d’un an mais mes réussites demeurèrent à la carte des années ».
Premier coup de tonnerre : « granité menthe poivrée, glace à la réglisse, meringues menthe poivrée ». Alain SENDERENS accorde un Meursault puis s’exclame : « C’est pas mal ». La sensation du produit à un niveau hallucinant emplit soudain le fidèle lieutenant d’une joie indescriptible. Autre coup de foudre : la sensibilité au chocolat. L’affranchi du Saint-Honoré, ébloui par les couvertures dominicaines pure plantation, crée le « palais de Samana » : « Un jour, je les goûte comme un vin, des saveurs légèrement fruitées, un peu épicées, une fraîcheur sidérante en bouche, une complexité aromatique folle, beurrée, cacaotée ».
Le propriétaire de la Maison MULOT déborde de créativité : « double millefeuille », « brioche aux épices, amarena et fourme d’Ambert », à l’occasion du centenaire du Guide Michelin. Sa collaboration avec des artistes prend jour pour un plateau de mignardises posées sur une tableau en chocolat entièrement comestible : « Je dormais une heure par nuit, une aventure extraordinaire ». Emballé par ses missions de conseil à travers le monde avec l’éclatant Alain SENDERENS, l’homme à l’âme d’esthète et au cœur d’artisan ouvre sa première société en 2001.
En 2010, chez SKETCH, à Londres, aux côtés de Mourad MAZOUZ, il crée de nouveau un dessert qui marque les esprits : une « tartelette panacotta, gelée de pamplemousse, datte medjoul ». Son style s’affirme et s’affine : cosmopolitisme, pluridisciplinarité, raffinement. L’année suivante, décalant les ingrédients et les produits, il insuffle un autre style chez FAUCHON en remplacement de Christophe ADAM. Dans cette marque d’innovation et de transmission en magasin, le chef hydride à la trajectoire ahurissante se pince : « Je me demandais ce que je pouvais apporter à des bonhommes exceptionnels, Patrick PAILLER, Benoît COUVRAN, Cédric GROLLET. Je transpirais de stress sous ma veste ».
Le successeur impressionné de Pierre HERME, saisit le montage des entremets à bras le corps, franchit les obstacles techniques des boutiques. A la troisième saison, il frappe fort avec la « buche cristal, mure, chocolat blanc, biscuit chocolat ». Une esthétique audacieuse, un succès insensé. En 2015, l’heure du défi arrive. Après vingt mois de négociation, il reprend une institution germanopratine depuis 1973 : Gérard MULOT. En capital risqueur, sur ses fonds propres, il réhabilite la pâtisserie salée et le traiteur haut de gamme avec la complicité de Jérôme DUTOIS, ex-chef exécutif de FAUCHON.
La pâtisserie boulangère salée partait d’une pâte à pain transformée en pâte à quiche. Exemple : le saucisson lyonnais brioché. Aujourd’hui, Fabien ROUILLARD réhausse la qualité : truffe, ris de veau, homard, beaux pâtés en croûte, quiches aux champignons français. Il cultive le palais de ses clients : « On a arrêté le fraisier en décembre ». Il élargit le champ des possibles des fours, pâtissier et boulanger. La réflexion sur la pureté de la source du produit rompt les usages, réveillent les inerties.
Les pâtés en croûte maison façonnés dans les règles de l’art cuisent très doucement dans un four à sole boulanger. Les artichauts farcis se parent d’une macédoine du matin. Le traiteur haut de gamme renoue avec ses saumons, bars et autres turbots en Bellevue sur commande. Le fin sensible refait le pâté lorrain de sa mère et de sa grand-mère : foie de volailles, chair de porc, champignons de Paris, beaucoup de crème, de la noix de muscade et du poivre. « Tiède avec un petit verre de vin blanc, un délice ».
Animé par une triple volonté de tradition, de création et de saisonnalité, dans un esprit artisanal et familial, il crée en toute liberté. Le Côme, une signature inspirée du reflet du Lac de Côme, se compose d’une crème brûlée, un biscuit amande pistache de Bronte et une mousse légère au citron vert du Brésil. Le processus de création procède par association d’un flash sur un agrume, une pointe de sucre, un support gras et un brin d’acidité. Les couleurs forment une autre source d’inspiration ; le vert rappelle un voyage automnal.
Le pâtissier de la Maison de Victor Hugo, place des Vosges, conçoit le Kouglof en dessert de goûter et non comme une viennoiserie, salé ou en pain perdu avec farine, beurre et raisins macérés. Depuis 2016, le rare professionnel qualifié dans tous les domaines du métier, pâtissier, boulanger, confiseur, traiteur, rejoue la place du marché du village au cœur du 6ème. A l’inverse des professionnels du monoproduit, il aime à regarder le clocher de Saint-Sulpice, la mairie, le boucher et le poissonnier.
Du simple café à la langouste, des voisins modestes aux très aisés, dans un souci d’équité, il s’occupe de tous avec chaleur et générosité. L’art de recevoir à la française perdure partout, dans les maisons bourgeoises, au domicile, au restaurant. Dans cette historicité, l’illuminé du croquembouche éclaire des joyaux, persuadé que l’esthétique sucrée exhausse l’issue d’un beau dîner. En 1995, à la disparition de ses grands-parents meurthois, la famille avait laissé sa maison au vent de la broussaille et du chiendent.
Vingt ans plus tard, l’honnête artisan relié à la mémoire et l’histoire revient sur les petits chemins de son enfance qui ceignent la demeure cachée : « Les mêmes fragrances végétales des sentiers de mes 15 ans ». Le 5 décembre 2016, peu avant la renaissance de l’établissement MULOT, en hommage à son grand-père maternel, ouvrier cheminot, figure de la résistance, il replante groseilles à maquereau, cassis et vigne. Le lorrain du luxuriant jardin laxovien approvisionne, aujourd’hui, ses boutiques avec ses cognassiers, pommiers, quetschiers et autres mirabelliers.
Celui qui affectionne les lieux de mémoire réinterprète la galette de Gérard MULOT à l’orange sanguine bio, dacquoise amande noisette ou enjolivée d’un citron de Sicile. Du respect de la fève de cacao à « l’éthique de la fraise », le missionné social de la transmission, sensibilisé au don, prend son rôle solidaire au sérieux : « Nous organisons une soupe populaire dans le 6ème, c’est notre rôle, nous sommes à parité hommes-femmes, français-étrangers, j’ai la dignité du croissant tous les jours ».
Avec Alain COJEAN, depuis 2012, il a créé une petite biscuiterie à Calcutta. Elle n’utilise que des produits très locaux, se nomme SHUKTARA Cake. Ses huit salariés, sourds et muets, viennent de la rue. Une réussite flamboyante. Le serein vertical de confier : « Mon père, très proche de moi, en confident, m’envoie des mots qui me tirent les larmes presque tous les jours. Il me pousse, n’oublie jamais rien. Je fais le même métier que lui maintenant ».