Hliza AYUN assortit la pure tradition de la pâtisserie française au fruité acidulé de son Vietnam natal.
Sur les hauts plateaux apothéotiques du centre du Vietnam, dans un village de la province de Đắk Lắk, apparaît une petite fille édé, le 18 mai 1988. Dans cette ethnie minoritaire, les enfants portent le nom de la mère. Toute la vie agricole s’organise dans la plantation. Les champs, café, poivre, maïs, gingembre, haricots verts, pommes de terre bordent l’horizon. Dans ces paysages proches du Cambodge, le père couturier manque. L’amour de la cuisine traverse la maman institutrice dans le moindre détail de sa gestuelle. La vie dans la verdure rassérène, la ferme affermit.
Le beau souvenir de la nourriture saine affleure : « Je garde toujours en mémoire le goût du djam trong, ce plat traditionnel typique, avec ses petites aubergines vertes et rondes, comme en Thaïlande, cuit comme un pot au feu de poulet et poisson mijoté longtemps, doucement, servi avec du riz parfumé ». A 11 ans, les valises atterrissent à Paris. La fratrie s’installe dans un minuscule appartement, à Bastille. La langue ne pardonne rien. « Je ne savais même pas dire bonjour ».
Dans un foyer vietnamien du Kremlin-Bicêtre, la jeune fille ambitieuse apprivoise le français. « Dans ma sixième non francophone, j’étais la seule vietnamienne avec des chinois et des africains, je ne parlais même pas ma langue officielle mais un vietnamien ethnique ». La créatrice du Baba Yuzu rêve de médecine. A la fin du collège, le paternel au palais aiguisé qui trime dans des hôtels parisiens, l’oriente vers la restauration. En deux ans, en 2006, le BEP (Lycée Jean Quarré) et le Baccalauréat professionnel (Lycée Guillaume Tirel) tombent dans l’escarcelle de la passionnée de VTT et escalade.
Un professeur clairvoyant la remarque et encourage ses facilités. Elle effectue son premier stage de gâteaux au Lutetia. L’atmosphère des petits-déjeuners l’émeut. Elle découvre la joie pâtissière de la clarté du tourage technique de la pâte feuilletée, la précision du versant ordonné de la force, la sensualité ludique de la viennoiserie dans le roulage des croissants et des pains au chocolat, les techniques de fabrication du pain. L’odeur du four la trouble. « Ce mélange de beurre, de farine, d’œufs est tellement magique que la chaleur ne se ressent plus, on est pris par et dans le boulot. L’odeur entêtante nous donne sans cesse envie de manger ».
En un mois, elle obtient son premier poste de commis pâtissière au Restaurant Senderens** en 2008. « Il y avait peu de femmes ». Alliant un sens du management et un style fruité, la cinéphile s’initie à la liberté du dessert du jour. « Ma première création : gelée de whisky, pomme verte citronnée, lait de coco ». A 22 ans, celle qui fuit la routine comme la peste, monte la carte des desserts du restaurant du SPEAKEASY, dans le 16ème, aux côtés du chef Baptiste PIALOT. En 2012, Gilles EPIE lui offre sa chance en lui confiant toute la pâtisserie de son établissement.
« J’apprends le pain aux olives, au sarrasin et à la bière, je change les soufflés toutes les semaines, fruits de mon enfance, alcools ». Deux ans plus tard, l’ennemie du sucre nommée « finaliste 2013 pour le titre de « meilleur chef pâtissier au trophée Le Chef » qui rafraichit le cheese-cake prend le poste de responsable de la pâtisserie chez Hélène DARROZE. Elle confectionne des macarons cannelle gelée de framboise, un chou Paris-Brest, une tarte fraise citron revisitée.
Ses démonstrations en Suisse et en Angleterre accordent une dimension internationale à la reconnaissance de son style fondé sur une connaissance des classiques associée à un jeu de textures sur des notes fruitées acidulées -corossol, goyave, papaye, fruit du dragon, mangue- dans un contexte de recherche de la pureté et de la perfection des produits. Les chocolats noirs poussent dans les extrêmes. « Je cherche le goût d’où je viens, le Vietnam me ressource ».
La trentenaire de SAVARIN LA TABLE auparavant en association avec l’attachant et excellent Chef Mehdi KEBBOUL, de juillet 2017 à juillet 2019, apprit la gestion d’une entreprise, le service en salle et l’accueil des clients. Dans un mouvement léger de créativité instantanée, elle poursuit ses idées respectueuses des grandes maisons traversées mais ancrées dans sa génération : « Tarte aux fraises et à la rhubarbe, wasabi, sorbet yaourt à la grecque », « cristalline de cerises, crème whisky, amande amère », « Chocolat, glace tonka-piment d’Espelette, feuille de brick », « Macaron framboise pistache, sorbet framboise », « Orange pochée aux trois épices, sorbet cacao », « Citrus agrumes superposée à la meringue vanille », « Billes de melon nappées de gelée d’hibiscus sur sablé breton accompagnées d’un sorbet à la fraise », « Crémeux au chocolat extra bitter entouré d’une sauce chocolat, tuiles cacao surélevée sur une glace au chocolat suisse », « Macarons pistache et chou craquant ».