Manceau charismatique, imperceptible virtuose soucieux du moindre détail,
Christophe LEBOURSIER n’aura jamais rien négligé depuis 28 ans.
Le 24 août 1961, un enfant s’arrime à la beauté mancelle. Les deux parents, investis dans le secteur hospitalier, ne rêvent pas du monde de bouche. Pourtant, les deux grands-mères cuisinent les spécialités sarthoises : poulardes du Mans, pâté aux pommes reinettes, rillettes. Contrairement à ses deux sœurs qui épouseront la carrière médicale, le garçon curieux, après le sévère lycée catholique Saint-Michel des Perrais, intègre l’Ecole Hôtelière de Saint-Nazaire. Son BTH décroché, l’adolescent passe deux années merveilleuses, à Genève, à l’Hôtel des Bergues.
Tous les grands de ce monde descendent au restaurant l'Amphitryon. «
Je me souviens de Christina ONASSIS, la servir relevait du fabuleux ». La brigade à l’ancienne, composée d’une centaine de personnes tintinnabule tel un orchestre symphonique. En 1978, le Régiment d’Infanterie Marine l’appelle sous les drapeaux. «
L’armée me plaisait alors que j’y allais à reculons. J’y appris la discipline, la rigueur, la précision, l’effort sur soi ». Le désir des maisons parisiennes ne tarde pas à se matérialiser.
En 1983, le fin monacal rejoint l’Hôtel Westminster, rue de la Paix. Là, un élève de Joël ROBUCHON, Jean-Claude L’HONNEUR, ouvre le monde gastronomique au futur directeur de la
Maison Guy SAVOY décorée par
Jean-Michel WILMOTTE. Durant quatre ans, avec ce chef rare bien oublié, deux macarons au « CELADON », Christophe LEBOURSIER explore les miroitements du métier. L’esprit familial des deux frères, l’un chef, l’autre pâtissier, le séduit. L’âme précieuse d’un temps qui s’enveloppe ou se déroule. Le parfum de l’atmosphère loyale qui se déploie dans la félicité de l’ouvrage, d’un jour l’autre.
En 1988, le sarthois du quai de Conti parvient au Grand Véfour. Dans ce décor transmué en décorum, Monsieur COURTOIS arbitre les élégances de l’ancien Café de Chartres. Les esprits habitent l’esprit de ce haut-lieu. Une émanation fraie sa lumière au cœur des jardins du Palais Royal. En 1990, le discret maître d’hôtel qui cultive ses secrets signe avec
Guy SAVOY. Aujourd’hui, à la Monnaie de Paris, les filiations fondatrices de son style de direction perdurent, à leur cime.
Aucun détail n’échappe à cet invisible incarné dont la seule ambition réside, lors de chaque représentation, à passer inaperçu. L’élégance ne se remarque pas pour paraphraser George Bryan Brummell. Il s’agit, au vrai, de «
résoudre des questions techniques toute la journée » sans s’embarrasser d’un titre ni d’un terme. Trois exigences éclairent les cent pas de l’amateur de cravates :
gentillesse, humilité et discrétion.
Dans un lieu où la forme des guéridons dépend de l’espace des salons, la courtoisie engendre la quiétude du déroulement des actions pour les convives et le personnel de salle sans altérer les identités personnelles de chacun. «
Le service possède une âme ». Dans un restaurant qui propose un couteau pour gaucher ou pour femme, des verres différents pour l’eau plate ou gazeuse, les invités ressentent du bien-être. «
Nous opérons une prise en main psychologique, presque psychanalytique. S’attabler nous fait tout oublier, pour passer un moment de joie et de bonheur ».
Le directeur des 25 tables toutes distinctes sait qu’accueillir ne signifie pas cueillir. L’accueil, chez Guy SAVOY, chasse tout écueil. Le Chef prend bien soin de saluer tout le monde au tout début du repas. Personne ne pose des assiettes sur une nappe mais chaque maître d’hôtel s’adapte, comprend le versant psychologie d’un environnement spécifique. «
On observe, on regarde. Je veux que mon équipe sorte la tête du guidon, qu’ils prennent du recul. On va jusqu’au secret, c’est un métier de secrets ». Les détails où le diable joue à cache-cache se règlent en silence.
Une miette sur un fauteuil ou dans un pli de la moquette détruirait la vérité de la scène et la vue sur la Seine. Une carafe qui présente des traces de doigts n’a pas droit de cité à la Monnaie. Maintenir une bouteille de vin blanc à égale température dans un sceau d’eau fraîche confine à un art de l’observation. «
Je laisse l’expression, la personnalité du client vit sans étouffement ». Les principes de l’aisance se définissent d’entrée de jeu, au seuil.
Le plan de table oriente la philosophie d’ensemble. «
Dans le restaurant, tout le monde importe au plus haut point, du plongeur au directeur. Tous sont concernés par tout. Tout rentre en relation en permanence comme une chaîne d’ADN. On ne fait rien seul, les belles idées se transmettent ». Christophe LEBOURSIER n’apprécie aucune latence, n’établit aucune frontière entre les petits appartements de l’ancien intendant royal de la Monnaie et les lumineux pianos spacieux du monument historique.
En harmonie, aucune chimère ne séjourne en suspens. «
S’il y a un problème, ce n’en est pas un. Il y aura toujours une solution. Technique, cuisson, maladresse d’une personne. Matin et soir, lors des briefings, l’équipe dirigée par Guy SAVOY s’y apprête ». La renaissance du service impose un sérieux travail de préparation devant la clientèle : le saumon figé sur la glace, le saint-pierre en papillote de coquillages, les jus à la minute. Ces minutieuses manipulations participent à la mise en scène des plats.
«
Faire rêver devant l’assiette lors de la prise de commande, essentielle à la découverte des plaisirs culinaires d’un gourmet, aiguiller, parler, anticiper ». Loin du protocole guindé, le gastronome monte sur «
un tapis volant » pour reprendre l’exacte formulation de Guy SAVOY, élu meilleur restaurant du monde en 2017 et 2018, au sommet de son art. «
Les gens viennent pour souffler, pour être bien ». Le service se métamorphose sans cesse en prouesses virevoltantes durant son cours, jamais identique, toujours unique. Il varie constamment d’une table à l’autre car les personnalités culinaires se repèrent, les accents et les accentuations se distinguent.
Servir revient à une manière d’arbitrer une «
somme infinie de détails » jusque dans la façon de raccompagner, des premiers pas sur le perron au voiturier. L’art de la faveur incline à la pudeur, l’humilité en tous sens, de la distance empathique qui évite toute accointance au savoir ne rien divulguer. «
Etre humble n’est pas s’abaisser devant quelqu’un mais comprendre que chacun occupe une place ».
Dans un lieu habité par l’histoire, Christophe LEBOURSIER invente des gestuelles singulières qui ne théâtralisent pas les gestes, fidèle au clairvoyant Guy SAVOY, «
aller à l’essentiel », «
savourer la vie », «
placer la barre très haut ».
Photos Laurence Mouton : 1 : Christophe Le Boursier - 2 : Soupe d'artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes - 3 : Thon sur ton, en préparation crue, des algues - 4 : Saint Pierre au four, le sac éphémère de coquillages - 5 : L’abricot jasmin, calisson glacé.
Design de la vaisselle par Bruno Moretti.
Restaurant Guy Savoy
11, quai de Conti - 75006 Paris - Tel : 01 43 80 40 61