Par Fabien Nègre
Sous la direction de Pierre GUIGUI
VIN ET BIODYNAMIE,
Une philosophie de vie
Rencontre avec des vignerons engagés
Collection « Le Savoir boire »
2020
Editions APOGEE
2 septembre 2020
Pierre GUIGUI, directeur de la collection « Le savoir boire », journaliste, auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur le vin, co-fondateur de l’association pour la reconnaissance des vins bretons, directeur du Concours international des vins biologiques et du Salon Buvons Terroirs, chronique les vins à Invino sur Sud radio. Nous voudrions mettre en avant le remarquable travail de vulgarisation et de popularisation de la collection « Le Savoir Boire » sur le vin, les vins biodynamiques, les effervescents et la gastronomie en tant qu’art de vivre à la française.
Rudolf STEINER, initiateur de la biodynamie, déchaine les passions. Il est tour à tour adulé et diabolisé. Mais connaît-on vraiment son histoire, le contexte idéologique et philosophique de son époque ? Quelles étaient ses sources d’inspiration et quels étaient les fondements de sa pensée ? Véritable père de l’agriculture biologique, il propose une vision holistique des modes de production agricoles qui s’oppose à l’exploitation intensive et à l’industrialisation de nos ressources. Il replace l’homme au cœur de la connaissance du vivant en tant que paysan penseur, posant ses gestes en pleine conscience et qui a conscience des conséquences de ses gestes.
Cet ouvrage, qui laisse la part belle aux témoignages de vignerons talentueux ayant choisi la biodynamie, explique pourquoi ces derniers produisent des vins qui ont un supplément d’âme que tous les professionnels reconnaissent. Avant d’être une méthode, la biodynamie incarne une philosophie de vie, et au-delà des idéologies et des dogmes, le constat est que cela fonctionne.
EFFERVESCENCE
Balade au gré des vins à bulles
Essai de Pierre GUIGUI et Aymone VIGIERE D’ANVAL
Les bulles, champagne en tête, font pétiller la vie. On festoie, célèbre, on « s’apérote », sacre, libertine même avec. Mais il y a bulles et bulles. Pas aisé de s’y retrouver dans cette large palette si différente et difficilement comparable entre pet’nat, crémant, champagne, prosecco. Les auteurs proposent un voyage au pays des effervescents ou sont abordés notamment l’histoire, les modes de production et d’élaboration, ainsi qu’un carnet de recommandations et coups de cœur. Ce livre se veut non pas une synthèse de l’abondante littérature sur le sujet mais plutôt une entrée décomplexée, permettant aux lecteurs d’y voir plus clair, de développer leur sens critique et d’avancer dans leurs expériences de plaisirs de dégustations.
Aymone VIGIERE D’ANVAL, journaliste spécialisée dans le vin, collabore à de nombreux magazines tels que SAVEURS mais également aux MOOKS 12,5° et 180°C. Elle fait partie du Collectif d’auteurs qui a publié « M, le Grand Livre du Michelin », aux éditions Guide MICHELIN/LA MARTINIÈRE.
Jean-Michel FLORIN, dans son avant-propos à « VIN ET BIODYNAMIE », argue qu’il ne s’agit pas d’un livre en plus ou de plus sur le vin. Il cherche à expliquer plutôt qu’à convaincre tout en laissant le lecteur libre de se forger son propre avis (p.7). L’ouvrage laisse d’ailleurs parler les viticulteurs eux-mêmes. La biodynamie ne se subsume pas à une voie étroite et dogmatique mais définit « une approche qui encourage d’observation attentive des phénomènes, favorisant ainsi l’innovation ». Par ailleurs, cette approche salutogénique du vivant renforce la santé au lieu de combattre la maladie.
A une époque où la situation toxique de notre planète montre les dégâts des herbicides, des insecticides et autres fongicides, un changement d’approche radical semble indispensable. Ce chemin vers l’autonomie et vers l’individualisation des viticulteurs et des domaines viticoles, exprime des pratiques individualisées qui produisent des vins de terroir, miroir de l’accord unique en chaque lieu entre terroir, sol et « cosmoir » selon François BOUCHET. Les influences du microclimat étant qualifiées de millésime. L’ouvrage de Pierre GUIGUI s’applique tout du long à démystifier la biodynamie tout en montrant qu’elle fonctionne y compris pour les plus grands vins.
Dans sa préface, Laure ZIGLIARA, psychologue et ethnologue, revient sur le Cours aux agriculteurs de Rudolf STEINER, en 1924, dans lequel il démontre qu’une agriculture et une viticulture sous influences s’éloigne de son rôle essentiel à savoir « produire une alimentation saine en harmonie avec son écosystème pour nourrir l’humanité » (p.9). La vie résulte d’une symbiose harmonieuse entre le ciel, la terre et le vivant c’est-à-dire un « terroir ». L’être humain doit revenir à sa connexion à une totalité qui l’englobe avec la nature et le cosmos. La nature ne fait qu’un avec la culture et l’homme vit en parenté avec la nature.
Rudolf STEINER offre une vision holistique du vivant dans sa dimension spirituelle. Il rejoint la pensée du monde des peuples traditionnels qui se rapportent à une Terre mère dont il faut prendre soin pour soi et pour les générations futures. Cette relation sensée et arrimée au vivant permet de ne pas rendre le « bœuf fou » (p.11). Un siècle après la naissance de STEINER, en 1924, la biodynamie est pratiquée par 7000 agriculteurs à travers le monde dans près de 60 pays (p.13) mais elle continue d’interpeller, d’intriguer et de déchainer les passions.
Loin de la sorcellerie, elle fonde une contribution majeure à la première agriculture biodynamique. Modèle face aux dérives de l’agriculture conventionnelle, la biodynamie instaure une autre façon de penser, plus holiste. Elle ouvre une compréhension philosophique, ésotérique, pratique et technique basée sur des préparations, un travail sur les rythmes cosmiques (p.14). C’est une méthode culturale qui produit des vins d’exception. Elle préserve les sols en bonne santé, nourriture de qualité pour les plantes, les animaux et les hommes, apporte des vins plus purs, plus vrais, plus salins.
L’excellent Chapitre 1 (pp.15-27) présente le père de la biodynamie, Rudolf STEINER, son histoire et sa pensée y compris dans ses aspects les plus méconnus des érudits vinophiles. Fascinant personnage, lecteur de Kant à 16 ans, jardinier, relieur, élève à l’Ecole supérieure polytechnique de Vienne, passionné par l’œuvre de Goethe, docteur en philosophie, auteur de « Vérité et Science » (1892) et « La Philosophie de la liberté », il rencontre NIETZSCHE en 1894, dispense plus de 6000 conférences au cours du soir de l’école de formation des ouvriers à l’Université populaire de Berlin par souci de démocratisation de son enseignement à toutes les classes sociales (p.16).
Cette pluralité des points de vue et des approches court de l’ésotérisme au mysticisme en transitant par une expérience empirique de la simple observation et compréhension du vivant (p.17). L’observation du visible et l’intuition de l’invisible structurent les deux piliers de l’agriculteur dans la vision globale de son travail (p.18). Notons une erreur totale souvent commise. Même si ses fulgurances déconcertent parfois, il n’a jamais été pronazi car tous les anthropologues furent persécutés et interdits par les nazis (p.19).
Il prône un respect intégral des équilibres naturels dans une agriculture globale anticipant en cela la maladie de la vache folle par exemple dans une célèbre conférence du 11 novembre 1923. C’est par l’équilibre des éléments que le végétal résiste aux maladies. Le travail en biodynamie ne consistera pas à soigner une plante mais à rééquilibrer son environnement (p.19). Le parallèle avec la médecine chinoise accompagnera toute l’œuvre steinerienne. Dès les années 1920, Rudolf STEINER préconise le compost naturel afin de développer l’humidification.
« Le compost nourrit le sol qui nourrit la plante, engrais naturel formé par le mélange fermenté de débris organiques. L’objectif est de maintenir ou de développer la matière organique (microbe, lombric, végétaux en décomposition), ce qui favorise les interactions directes indispensables avec les racines (mycorhizes, incoculums) » (p.20). Cette philosophie replace le cycle au centre des enjeux. Passage par la mort, retour à la vie. Dionysos naît deux fois. C’est le serpent qui se mord la queue (ouroboros). L’homme appartient à un processus qui le dépasse (p.21).
L’inventeur de l’anthroposophie (sagesse appliquée à l’homme) en 1912 introduit la notion d’entité qui bouleverse notre regard sur le monde en montrant les interrelations entre le minéral, le végétal, l’animal et l’humain. Une ferme se transforme en individualité en soi, une forme d’autarcie. Seule une entité autonome dans son fonctionnement ne peut tomber malade. En maintenant les équilibres, activant, réveillant les forces de résistance, elle décuple les réactions aux agressions (p.25). Concilier les contraires assure paix et harmonie pour un geste juste.
La correspondance entre le macrocosme et le microcosme replace l’homme entre le Ciel et la Terre dans des vecteurs de pleine conscience. Un modèle pour la biodiversité et l’écosystème agricole autonome (p.27). Pierre GUIGUI insère judicieusement des témoignages variés de vigneronnes et de vignerons précurseurs devenus réputés, tantôt philosophiques, poétiques, pragmatiques : Chantal et Jean-Pierre FRICK, Véronique COCHRAN, Olivier HUMBRECHT, Michel CHAPOUTIER, Alain MOUEIX, Bérénice LURTON, Hélène THIBON, Thierry GERMAIN, Thierry VALETTE, Emmanuel CAZES, Michèle AUBERY, Catherine et Philippe DELESVAUX, Cédric LECAREUX, Nicolas JOLY. Autant de preuves d’intention et surtout d’intentionnalité dans le rapport à la vigne et au vin.
On l’aura bien compris. Un ouvrage essentiel, indispensable et très complet pour tous ceux qui souhaiteraient saisir les exercices spirituels et les principes fondamentaux de cette homéopathie de la vigne qui crée aujourd’hui des vins épurés aussi précis dans l’expression de fraîcheur du fruit, la structure cristalline ciselée, le toucher soyeux de bouche, la verticalité de la salinité que d’autres qualifient de minéralité ou bien encore ce vieillissement harmonieux qui par la culture du goût aboutit à une ivresse qui nous élève. Témoin l’émouvante page 95 où Lalou BIZE-LEROY évoque admirablement le clos-vougeot à l’image de son château : « sévère et grandiose ». Pierre GUIGUI de conclure : « La biodynamie, si elle répond bien aux exigences de notre conscience du parfait, sera presque toujours un triomphe » (p.128).
Dans la même collection, Pierre GUIGUI et Aymone VIGIÈRE D’AVAL proposent une fort belle balade au gré des vins à bulles. La préface originale d’Arnaud LALLEMENT nous conte ses promenades à vélo dans les crayères. Cette plongée dans l’univers contemporain complexe des effervescents traite aussi bien du cava ou du prosecco que des vins de champagne, des crémants et même du cerdon du Bugey, de la clairette de Die et de la blanquette de Limoux. Au-delà du sérieux de l’érudition historique jamais pesante, des anecdotes bienvenues, des conseils pratiques pour déjouer les pièges de la dégustation, les auteurs terminent judicieusement par des coups de cœurs, un carnet d’adresses parisiennes et régionales. Une très utile synthèse au cœur de l’effervescence ornée de regards de grands professionnels.
Dans cette collection de bonne tenue intitulée « le Savoir boire » qui aborde tous les savoirs de la libation dans le monde liquide, on retiendra également d’autres ouvrages. Pierre GUIGUI et son acolyte Sophie BRISSAUD signent une étonnante « contre-histoire » du vin préfacée par deux personnalités exceptionnelles, Eric BEAUMARD (Vice-Meilleur Sommelier du monde 1998, Chef sommelier du George V) et Laure GASPAROTTO (Journaliste au Monde) nommée « Une autre histoire du vin (2018).
Des mêmes, nous avons également apprécié le décomplexé « Tout le monde sait déguster. Le goût du vin et ses secrets » (2019) préfacé par le talentueux Jonathan BAUER-MONNERET (Meilleur Jeune Sommelier de France 2014) qui officie aujourd’hui à Toronto chez Pompette. On signalera, last but not least pour reprendre la belle expression de nos amis anglais, le très utile « Les accords mets et vins » (2019) de Laurie MATHESON et Luc DABADIE. Ces deux experts en vins jamais pédants qui font autorité, spécialisés dans les ventes aux enchères chez ARTCURIAL depuis l’origine, membres de la RVF (Revue du Vin de France), rompus aux subtilités de l’exercice toujours délicat de l’accord, se mettent à la portée de tous.
Par Fabien Nègre
Pierre GUIGUI et Sophie BRISSAUD
Le vin nature au-delà des modes
Editions Apogée, Rennes
Date de sortie en librairie : 5 mai 2021
Pierre GUIGUI, né le 22 juin 1959, diplômé en viti-œnologie du CFPP de Beaune, directeur de la collection « Le savoir boire », journaliste, auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur le vin dont l’excellent Guide GaultMillau, co-fondateur de l’association de renouveau des vins bretons, directeur d’AMPHORE, Concours international des vins biologiques et en conversion, du Salon Buvons TerroirS, chronique les vins dans l’émission Invino sur Sud Radio.
Sophie BRISSAUD, écrivain, journaliste spécialisée dans la cuisine et les vins, auteure de Grands Crus classés, Grands Chefs étoilés (La Martinière), a écrit la série documentaire Le Bonheur est dans l’assiette (Arte/Petit Dragon 2012).
Les habitudes de consommation ont depuis quelques années détrôné le vin « à la papa », standard des appellations normalisées, au profit d’une boisson de plaisir, libre dans son expression. Entre vinaigre et ambroisie, entre picrate et nectar, le vin nature reflète aussi bien l’image d’un vin pur jus que celle d’un vulgaire jaja déviant. Entre les deux, certains vignerons, dans une quête de vin sans fard ni paillettes, cherchent à préserver la vérité du terroir et refusent de faire du vin nature une boisson de soif sans identité.
Dans ce paysage, le consommateur se perd entre bio, biodynamie (certifiés ou non), nature, avec un peu d’intrants, presque rien ou rien du tout dans une cacophonie qui frise par endroits la pose ou le dogmatisme. Ce livre donne des clefs pour mieux comprendre les vins nature, ce qu’ils sont et ce qu’ils ne sont pas : méthodes viticoles, méthodes au chai, sulfites et autres intrants, les questions de la conservation, de la consommation, mais aussi les défauts et les prix de ces vins qui peuvent emmener nos papilles au paradis ou en enfer. Enfin, une sélection de deux cents cuvées aidera à trouver son bonheur.
La forme entretien entre les deux auteurs fluidifie d’emblée la lecture de l’essai. Pierre GUIGUI file la métaphore de la pomme pour imager la distinction entre le bon sens paysan, « le savoir-faire, des années et des années d’observation, d’essai, d’empirisme, de consultation des calendriers, des nuages et des vents » (p.5) et le « gars de la ville qui s’installe et qui vient de quitter la direction de sa boîte de com ou pub ». Cette vraie dichotomie des profils omet deux versants du monde viti-vinicole contemporain : tous les vignerons conventionnels n’ont pas hérité d’un savoir paysan et les successions difficiles accueillent des « super-néopaysans » improvisés non dépourvus de ressources.
Nous nous nous accordons plus loin sur la starisation excessive et souvent fulgurante des néovignerons via les réseaux sociaux au moyen d’un discours formaté, provocateur et rebelle destiné à complaire à un public majoritairement urbain gentrifié (p.6). La juste différenciation en matière de postérité inclinerait davantage vers une réputation du domaine, du terroir voire même de l’appellation qui produit un jus de sol qui possède le « goût de ses origines » dans la lignée des Marcel Lapierre, Philippe Pacalet et Jules Chauvet (p.6) laquelle s’opposerait aux « name dropping » actuel.
A preuve, la pensée profondément philosophique à l’humilité exemplaire d’Aubert DE VILLAINE, cogérant du Domaine de La Romanée-Conti : « Qui se souvient de la personne qui faisait le vin il y a cent ans ? Par contre, la réputation du domaine, elle, ne s’oublie pas et traverse l’histoire » (citée p.6). Pierre GUIGUI, subtil et féroce, avance qu’à talent égal de vignerons, c’est le terroir qui tranche. Les pères fondateurs du vin vivant n’ont jamais préconisé de faire du vin « nature » mais de produire un vin « miroir de son terroir » quitte à intervenir a minima. « L’appellation d’origine Souris n’existe pas » (p.7).
Les auteurs évitent le débat piégé entre une prétendue standardisation de certains vins nature et la supposée tendance à la standardisation de certaines appellations pour affirmer que les vins issus d’une viticulture respectueuse faits avec art, respect de leurs origines traduisent au plus juste la pureté du fruit et la nature de leur terroir. Il n’agit plus de faire du vrai vin mais un vin vrai par-delà les dogmes et les méthodes.
Dans sa belle introduction, Sophie BRISSAUD explique pourquoi l’administration quotidienne de très grands pauillacs, hauts-médocs, Saint-Estèphe, saint-julien et autres margaux, transmet une énergie hors-normes (p.8). Le vin tel une thérapeutique. Elle narre également sa découverte, en 2003, de ces vins qu’on n’appelait pas encore nature ou naturels. Ces « vins d’auteur » mis en avant par les frères Marc et Philippe DELACOURCELLE tout près de la Sorbonne dans leur restaurant « LE PRE VERRE ». Elle plante le décor parisien et évoque des personnages bien connus du microcosme tels que Pierre JANCOU, véritable avant-gardiste des vins « more than organic », « plus que bio » (p.9).
Elle découvre des saveurs inédites, une nouvelle vibration, une « lumière autre à la structure complexe, en éventail, multidirectionnelle » (p.9). Généalogie faisant, elle reconnait que passées une dizaine d’années d’effets de mode, objets de provocation et « communication sectaire, arrogante et égocentrée » (p.10), le vin nature renoue avec ses modèles historiques vertueux : Chauvet, Lapierre, Overnoy, la Géorgie et ses sublimes vins de qvevri (p.10). De plus en plus installé, le vin nature se normalise pour le goût, le plaisir et la santé.
Ce « jus de terroir » selon la juste formule de Pierre JANCOU présente des perceptions élargies, une sensation précise de la minéralité mais aussi un sentiment d’eau à savoir une fluidité et une buvabilité, une présence vivante du mouvement en bouche si bien explicité par Sophie BRISSAUD. Mieux, le vin naturel nous plonge dans « quelque chose d’enfantin, le bond d’un elfe » (p.11), la profondeur d’une « leçon druidique, la révélation d’arcanes mystérieux ». Les auteurs savants ont judicieusement placé un abécédaire accessible à tous en introduction (pp.13-24). On va de Rudolf STEINER, père de la biodynamie au skin contact (macération pelliculaire) en passant par les fameuses Brettanomyces, levures qui donne au vin une odeur de sueur de cheval, d’écurie, de ferme, de « cul de renard » voire « de poney » pour demeurer rigoureux !
Le premier chapitre expose une brève histoire du vin nature ou « reflet du sol » (p.25) sans jamais ennuyer avec des encarts synthétiques adéquats, mines d’informations pour les néophytes ou les aguerris les plus austères où l’on apprend que Jules CHAUVET, pionnier des vins nature, non seulement correspondait avec le prix Nobel de médecine Otto WARBURG, mais séjourna à Berlin quelques mois chez lui (p.27). L’ouvrage aborde également tous les débats actuels sur le goût du terroir (p.26), le soufre naturel (p.45) et la nocivité du SO2 (p.39), la garde des vins nature (p.66), la fétichisation des déviances, le marketing de l’étiquette.
Le chapitre III fait un point bien utile sur la dégustation pour bien plonger « au cœur de la vérité des vins, des sols et des terroirs » (p.93). Les dernières pages (pp.97-175) présentent une excellente sélection des domaines, des plus classiques aux jeunes pousses. Les plus méticuleux tergiverseront sur quelques coquilles (Marcel Richaux pour Richaud, p.77) ou une inversion d’inadvertance sur la filiation entre Marcel Lapierre et Philippe Pacalet (p. 32 et 46). Il n’en est rien. Un livre à lire toutes affaires cessantes au même titre que « Une autre histoire du vin » (2018, Apogée).
Par Fabien Nègre
Gautier ROUSSILLE
NIHONSHU le saké japonais
De la production à l’art de la dégustation
DUNOD
2019
Gautier ROUSSILLE, ingénieur agronome, œnologue, diplômé d’HEC, juge pour la catégorie Saké à l’International Wine Challenge, a travaillé pour le prestigieux producteur de saké Sohomare. Il propose ici la deuxième édition, revue, corrigée et augmentée de ce qu’il faut, dès l’abord, considérer comme le livre technique de référence en langue française sur le Saké. On connaissait déjà la remarquable thèse de Nicolas BAUMERT, « Le Saké une exception japonaise », aux Presses Universitaires de Rennes (2011).
Le présent ouvrage a pour objet de faire connaître à tous, amateurs comme professionnels, les méthodes de production du saké japonais. Il aborde tous les sujets, de la culture du riz jusqu’à sa dégustation, dans un langage clair, accessible à tous mais rigoureux. Essayer d’organiser et de traiter dans un ordre établi un sujet dont toutes les parties s’imbriquent constitue un défi intellectuel majeur que l’auteur accomplit excellemment. Des encarts fort utiles apportant une contextualisation technique, historique ou culturelle agrémentent la lecture sur des terrains arides.
Loin des alcools de riz chinois avec lesquels on le confond souvent à tort, le saké japonais ou nihonshu, se présente sous la forme d’une boisson délicate et riche en arômes dont la fabrication et la dégustation rappellent celles du vin. Cette somme de chevet explicite en détail les méthodes de production. Fruit d’années d’expérience et de recherches de son auteur, il décrit l’ensemble des techniques nécessaires à l’élaboration d’un saké qualitatif : les matières premières (culture et polissage du riz, eau), la fermentation (levures, types de fermentation, arômes), l’affinage (levures, types de fermentation, arômes), l’affinage (addition, pasteurisation, élevage, assemblage).
Les différents aspects de la dégustation font l’objet de points précis : choix et service, accords, conservation. En fin d’ouvrage, un lexique fort bien construit récapitule les principaux termes techniques rencontrés et un guide suggère une sélection des sakés emblématiques disponibles en France.
Dès la première page, Gautier ROUSSILLE lève de nombreuses ambiguïtés concernant la définition du saké. Pour les Japonais, « saké » équivaut à un terme générique recouvrant toutes les boissons (p.1). Les Japonais nomment le saké japonais « nihonshu » ou administrativement « seishu ». Le saké se définit donc comme « une boisson alcoolisée traditionnellement japonaise, généralement translucide, incolore et titrant 15-17%, issue de la fermentation du riz ». En cela, il diffère du baijiu ou meikueilu, alcools distillés titrant 40% et souvent présentés dans des verres aux dessins suggestifs dans de nombreux restaurants asiatiques.
Dans sa dense introduction, Gautier ROUSSILLE fait preuve d’une clarté et d’une rigueur rares. Une sorte de double fiche synoptique permet d’avoir toujours en tête à la fois le schéma exhaustif de la production du saké (p.4) qui comprend toutes les étapes mais également tous les termes japonais qui délimitent autant de concepts (p.5). Ainsi, on saisit très vite que les ginjo, sakés produits à base de riz dont plus de 40% de la masse a été retirée durant le polissage appartiennent à la catégorie des meilleurs sakés.
Un saké produit sans ajout d’alcool se nomme « junmai ». Tous les termes techniques se déclinent de manière limpide et logique : le « kojimai » (partie du riz après trempage et cuisson à la vapeur), « koji » (champignon inoculé au kojimai), « kome-koji » (riz sur lequel se développe le koji). Le champignon transforme l’amidon du riz en sucre, étape nécessaire à la fermentation. Un mélange de kome-koji, de riz cuit nommé kakemai et d’eau constitue le shubo ou moto ensemencé par des levures. Quand la population de levures atteint son apogée, on ajoute au shubo un nouveau mélange de kome-koji, de riz cuit et d’eau.
Cette étape cruciale se nomme « san-dan shikomi » et donne le moromi. Après une période de fermentation à basse température, entre 6 et 20°C, qui prend fin lors du pressurage, le saké brut obtenu subit une filtration puis une pasteurisation avant commercialisation. Toutes ces opérations se déroulent au sein d’une « sakagura » (cellier à saké) ou kura, sous la direction d’un toji, le maître de chai.
Cette scientificité de l’ingénieur agronome introduit une lumineuse lecture de la complexité de toute la concaténation de fabrication. Cette description simplifiée de la production posée, Gautier ROUSSILLE nous convie à une brève histoire du Saké (pp.7-16) dans laquelle nous apprenons à chaque page, du saké rituel des origines au saké de cour de l’Antiquité, en passant par le saké élitaire du 12ème siècle, jusqu’au saké du peuple au XXème siècle.
Étonnamment, sous la pression de la forte augmentation des taxes sur le saké à la fin du 19ème siècle, le nombre de kura passe de 30 000 à 11 000 en 1912 puis 8000 au début de la Seconde Guerre Mondiale. L’époque contemporaine, depuis les années 90, verra un certain regain d’intérêt mais également des restructurations avec une concentration des grandes kuras et, par ailleurs, des petites kuras plus qualitatives. Sous l’influence des tendances slowfood, de la consommation locale et du bio, « Les années 2020 pourraient bien être celles du jizake (saké local), des junmai, des variétés de riz locales et des faibles polissages » (p.16).
Contre toute attente, le saké revient de loin. La première partie de ce livre captivant pour qui veut tout comprendre et savoir du Saké traite des matières premières (pp.19-109). Rien n’échappe à la sagacité du jeune co-gérant du Domaine Guillemot-Michel, au cœur de l’appellation Viré-Clessé. On reste ébloui par la précision et le luxe de détails dans la description de la typologie des riz (environ 270 de type Japonica) qu’ils soient de bouche ou à saké, la taille des grains, leur épaisseur, le shinpaku (cœur d’amyloplastes) essentiel pour obtenir un cœur gélatineux à la cuisson qui développe le koji au centre du grain, condition sine qua non à la production de sakés haut de gamme.
Les formes du shinpaku (p.23), l’histoire de la riziculture japonaise (pp.25-32) avec ses méthodes de culture notamment la méthode Aigamo (p.29) qui utilise des canards qui mangent les mauvaises herbes, les insectes et nourrissent les plans de leurs déjections ou des poissons et des algues, la typologie commentée des variétés de riz (pp.33-64), autant d’éléments qui montrent, à chaque pas, les qualités de maturité de ce travail monumental. Tout au long du texte, on appréciera les analogies souvent effectuées, dans de petits encarts, entre vin et saké (« vin de riz ») tout en précisant les différences parfois notables : « Gardons en tête que si le vin se fait à la vigne, le saké se fait sans conteste en cave » (p.33).
Dans ce cadre, la comparaison entre variété de riz et cépage ne tient pas car le riz contient peu de composés aromatiques et les différences variétales semblent infimes. Une autre analogie trompeuse (p.64) réside dans les stratégies publicitaires de quelques kura de la région de Nada qui mentionnent « premier grand cru classé A » sur leurs étiquettes en référence au riz yamadanishiki de la catégorie Toku-A et au classement des vins de Saint-Emilion (!). La partie sur la transformation du riz nous plonge dans le polissage, le rinçage, le trempage et la cuisson.
L’étude fouillée de la structure du grain de riz paddy (p.65) obtenu après récolte nous conduit à l’histoire des techniques de polissage. Il faudra attendre 1896 pour que la société Satake commercialise la première machine électrique à polir le riz. Elle fournira le premier riz poli à 75% (p.67). Les polissages plats et ultraplats apparaitront respectivement en 1998 et 2017 (p.69). Les acides aminés libérés (alanine, glutamique, aspartique, arginine) par le polissage « participent au goût umami (savoureux), cinquième saveur de base » (p.73).
Un polissage poussé assure l’obtention d’un saké « fin, élégant, aromatique, caractéristiques principales d’un ginjo ». On notera, pour demeurer dans l’homologie avec le vin, que les cura impliquées dans une démarche naturelle ou biologique produisent des sakés issus de riz faiblement polis (p.74). L’art de la cuisson du riz (mushimai) dans koshiki un consiste ensuite à « obtenir un riz tendre à l’intérieur (gélatinisé) et ferme à l’extérieur, d’aspect homogène et exempt de granules d’amidon non cuits (blanchâtres et opaques) » (p.80).
Le chapitre 2 (p.85) sur le koji (champignon) et l’eau nous instruit, par analogie avec la bière, que le saké résulte de la fermentation d’une céréale. Sur ce point précis, l’analogie avec le vin s’avère inadéquate puisque seule la fermentation alcoolique (levurienne) compte pour le saké. Le champignon se nomme « aspergillus oryzae » (p.86). Son utilisation daterait de 300 avant J.-C. en Chine (p.87). Au VIIIème, au Japon, on retrouve les traces d’un saké produit à partir de moisissure retrouvée après la pluie sur le riz offert aux kamis (dieux) d’un temple shinto.
Gautier ROUSSILLE détaille la domestication du champignon progressive depuis le Xème siècle et les étapes de préparation traditionnelle et moderne du kome-koji, ces fameux grains de riz couverts d’un duvet blanc, le mycélium (pp.89-95). A noter qu’afin d’éviter de gâcher le saké final, les consignes sanitaires s’avèrent drastiques pour écarter toutes contaminations par des bacilles, bactéries et autres levures indigènes ubiquitaires (p.92).
La page 96 nous éclaire sur la différence entre le shochu qui utilise un koji blanc, l’awamorishu (alcool distillé issu de riz produit dans la région d’Okinawa) qui nécessite un koji noir et les baijiu (alcool de céréales distillés) ou les huangjiu (alcool de riz fermenté) qui requièrent un rhizopus. Les composés aromatiques présents dans le kome-koji vont du champignon à la pomme de terre, en transitant par l’agrume, le géranium et les épices ou un côté plus terreux (p.100).
L’ancien stagiaire chez Sohomare nous révèle aussi un phénomène fondamental peu connu et souvent négligé des européens, l’importance de l’eau : « une bouteille de saké contient en moyenne 80% d’eau. Si l’on intègre les besoins en eau pour le rinçage du riz et des instruments, la cuisson, ce sont 30 à 40 litres d’eau qui sont nécessaires pour produire un litre de saké » (p.101). Il y a plus, l’eau modifie le caractère du saké produit. Une eau dure apporte texture et mâche alors qu’une eau douce amène finesse et fraîcheur (p.103).
La deuxième partie de ce traité de référence jamais jargonneux et limpide traite de la fermentation au sens large (pp.111-165) : une « variété de réactions biochimiques, effectuées par un écosystème complexe de micro-organismes » (p.111). L’art de la fermentation du saké se définit donc comme « la création d’un milieu favorable au développement des micro-organismes « souhaités » à l’exclusion de tous les autres » (p.114). On retrouve ici la distinction entre levures sélectionnées et levures indigènes, ces dernières créant une plus grande diversité qui offre davantage de complexité au saké (p.134).
Une typologie utile des levures datant de 1906 favorise la compréhension des junmai daiginjo. Tous les aspects de l’art du toji (maître de chai) soulignent la singularité du saké, boisson alcoolisée obtenue par fermentation dont le degré alcoolique demeure le plus élevé (p.147). Les 300 composés aromatiques issus de ce procédé se résument en cinq catégories : fruité, épicé, végétal et floral, lactiques, moisis/terreux (p.164). Les opérations d’affinage, de pressurage, de centrifugation, de collage, de clarification, de pasteurisation et d’élevage font enfin l’objet d’une présentation fouillée (pp.167-199).
Pour les leçons de dégustation et d’acquisition (Chapitre 6 : sakés à boire en France), on se reportera volontiers aux dernières pages précises de ce volume scientifique, élégant, fin, puissant qui s’adresse finalement à tous les publics, du novice à l’émérite, tel un grand saké (p.227).
Par Fabien Nègre
Elsa DELACHAIR, Johan FAERBER
LA CUISINE DES ECRIVAINS.
Quand la littérature passe à table.
EKHO DUNOD
Date de sortie : 27 janvier 2021
Elsa DELACHAIR, éditrice au Seuil et Johan FAERBER, rédacteur en chef du magazine culturel DIACRITIK, nous convient à une promenade littéraire en hommage à la gastronomie dans toutes ses merveilles. Cette anthologie pratique revisite les grands textes canoniques de Brillat-Savarin mais aussi d’auteurs moins attendus tels que Baudelaire, Perec ou Duras. Le sommaire bien nommé « Plan de table » respecte le déroulé d’un repas, des mises en bouche aux issues parfois fatales sans oublier les nectars et autres spiritueux qui agrémentent les différents services pour lesquels les deux auteurs convoquent de grands écrivains : Proust, Allais ou Vian et son célèbre « pianocktail » croisé dans l’écume des jours. Un livre vraiment succulent et utile à lire sans modération.
On remarquera la brillante préface du docteur en littérature française intitulée « Quand la cuisine entre en littérature. Petite histoire des littérateurs gastronomes », spécialiste du 20ème siècle, Johan FAERBER, qui commence par un pertinent commentaire savant sur la fameuse phrase souvent écornée de Jean Anthelme BRILLAT-SAVARIN dans sa Physiologie du goût, en 1834, page 12 : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es ». L’histoire des littérateurs gastronomes prend souvent la forme, bien au-delà de l’expression de soi, d’une poétique du sensible où littérature et gastronomie ne cesseront de s’embrasser.
Des huîtres nervaliennes aux banquets de mariages flaubertiens ou aux festins plus dispendieux des réceptions proustiennes, en passant par les « roqueforts sous cloches de cristal » du Ventre de Paris décrits par Zola, la cuisine relève de la science mais aussi de l’art (p.15). Chimie transcendantale, éthos des hommes, portrait moral de chacun, le haut goût, prosopopée d’une époque, dévoile aussi son éthopée (p.19), une mythologie barthesienne du lisible. Cette luisance en bouche (p.23) clôt, dans l’incandescence d’un silence, ce moment de réconciliation avec nous-mêmes et le monde où il s’agit de se taire pour méditer la littérature à l’estomac. Ce florilège de textes agrémentera allégrement vos soirées festives.
Par Fabien Nègre
Nicolas D’ESTIENNE D’ORVES
PETIT ELOGE DE LA GOURMANDISE
Editions François BOURIN
Date de sortie : 4 février 2021
Né en 1974, Nicolas D’Estienne d’Orves, écrivain, critique d’opéra, a publié une trentaine d’ouvrages. Féru de Paris, il lui a consacré un Dictionnaire amoureux. Le présent livre traite de toutes les saisons de gourmandise, été et hiver, antan et du jour, passionnée et irritée. La verve littéraire, au gré des pages, nous entraine dans une déambulation poétique et sensorielle au pays du goût et de ce que d’aucuns nomment « la bonne bouffe ».
Souvenirs d’enfance, rages du moment, visites dans des établissements fameux ou oubliés, ode à l’andouillette, le sablé à la confiture, la figue, les vins du Rhône, la tête de veau dans des confréries aussi secrètes que savoureuses, l’auteur n’oublie pas ses confrères plus ou moins fréquentables, les ogres, les poètes ou les cannibales. Cette arborescence mémorielle et gourmande parsemée de coups de colère et de coups de sang, d’images lointaines et d’amours sincères, fait les joies de gueule.
On regrettera, malgré la défense indéfectible et bienvenue des abats, la joie de s’attabler et la nostalgie fervente des bonnes adresses parisiennes aujourd’hui disparues ou les salutations admiratives aux amis illustres du microcosme, une absence de vision herméneutique et heuristique.
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