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Pour l’intersectionnalité

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteures : Eléonore LEPINARD, Sarah MAZOUZ
Titre : Pour l’intersectionnalité
Editeur : ANAMOSA, Paris.
Date de parution : janvier 2022, 3ème édition.

 
Dans ce petit ouvrage par sa pagination, 66 pages seulement, mais fort par sa puissance heuristique et son aspect dépassionné structurant, les deux chercheuses montrent que « l’intersectionnalité possède un souffle critique à même d’animer les sciences sociales. A rebours d’une sociologie d’expertises surspécialisée et courant le risque d’être socialement hors sujet, elle donne à voir et à comprendre des expériences de marginalisation et d’oppression ; elle permet d’analyser comment les forces qui structurent nos sociétés de façon hiérarchique -capitalisme, patriarcat, hétéronationalisme, xénophobie- s’imbriquent et se renforcent mutuellement. Née dans le chaudron des luttes sociales, l’intersectionnalité nourrit la démarche contre-hégémonique des sciences sociales ».
 
Eléonore Lépinard est sociologue, professeure en études de genre à l’Université de Lausanne. Ses travaux portent sur les mouvements et les théories féministes, l’intersectionnalité, le genre et le droit.
 Sarah Mazouz est sociologue, chargée de recherches au CNRS (Ceraps) et membre de l’Institut Convergences Migrations. Ses travaux s’appuient sur des enquêtes ethnographiques et mobilisent les critical race studies, la sociologie du droit, la sociologie des politiques publiques et l’anthropologie critique de la morale.
 
Soulignons, une fois encore, d’emblée, le travail remarquable des éditions ANAMOSA dirigées par Chloé Pathé, autant au niveau de la clarification des enjeux théoriques contemporains que des nouvelles méthodologies en présence dans la recherche mais également de la forme des ouvrages toujours très bien édités. Témoin la collection « Le mot est faible » dont nous traiterons ultérieurement.
 
Dans ce petit livre dense et clair, les deux sociologues s’appliquent tout d’abord à expliciter la force critique d’un concept à l’aune de la panique qu’il suscite. Ensuite, elles démontrent et finalement démontent les stratégies de légitimation à l’œuvre dans le surplomb affiché par les chercheurs académiques installés en proposant des épistémologies du point de vue qui éclairent les expériences et les savoirs minoritaires faisant droit à la fois à une politique de la présence et un universalisme concret pour une démarche contre-hégémonique des sciences sociales.
 
Evitant les polémiques stériles en apaisant le débat, sériant les résistances que l’intersectionnalité suscite (p.7), Sarah MAZOUZ et Eléonore LEPINARD rappellent les combats militants des féministes africaines-américaines des années 1980 qui, articulant la critique marxiste de l’exploitation capitaliste et la découverte freudienne de l’inconscient, introduisaient la question de la représentation politique de celles pour lesquelles la domination subie se situait au croisement de plusieurs rapports de pouvoir, la race, la classe et la sexualité, et se faisant, le concept d’intersectionnalité qui nous invite à complexifier l’analyse tant scientifique que politique (p.8).
 
Les deux types de discours, selon les auteures, celui du Ministre Blanquer et ceux de certains chercheurs comme Noiriel et Beaud dans leur ouvrage « Race et sciences sociales », convergent car ils se présentent comme sujets d’un discours universel à l’opposé de discours qui seraient communautaristes et donc a fortiori porteurs de querelles identitaires (p.12). Les stratégies de délégitimation de l’intersectionnalité à l’œuvre proviennent non seulement d’universitaires qui jouissent de positions académiques bien établies mais également  de l’ignorance de leurs privilèges de genre et de race, symptôme d’une résistance active à la prise en compte conceptuelle, analytique et épistémologique, de certains rapports sociaux en sciences sociales (p.15).
Pis, « celles et ceux qui s’opposent au concept d’intersectionnalité n’y connaissent pas grand-chose » (p.17). Le premier procès porte sur la mauvaise identité, race et genre. Ces catégories analytiques qui visent à éclairer une réalité empirique requièrent une réflexivité et une autonomie de la réflexion scientifique en sciences sociales. La deuxième attaque tient dans le spectre de l’essentialisme (p.25). Or, l’intersectionnalité en appelle justement à sortir d’une lecture strictement arithmétique de la domination pour insister sur les configurations plurielles et toujours contextualisées dans lesquelles différents rapports sociaux s’articulent (p.27).
 
Loin d’une réification des identités, l’intersectionnalité renvoie à une critique de l’essentialisation, l’analyse portant sur des expériences de discrimination et la condition minoritaire qui en découle (p.31). Le troisième procès fait à l’intersectionnalité réside dans le fait qu’elle privilégierait le genre et la race sur la classe selon Noiriel et Beaud. Or, l’intersectionnalité pointe que tout rapport social s’articule fondamentalement avec d’autres (p.34) et les modalités de cette articulation et ses conséquences s’avèrent fondamentalement historiques et donc variables(p.35).
 
L’intersectionnalité oblige à penser l’interconnexion de toutes les formes de subordination (p.37, note 43). Elle complexifie plutôt l’analyse des régimes d’oppression et construit, dans un souci d’égalité et de réciprocité, des causes communes (p.38). Ce petit livre stimulant se termine sur quelques idées force. L’épistémologie du point de vue n’accorde pas de privilège épistémique aux dominés mais elle défend l’idée que la science ne peut pas non plus faire sans leurs points de vue et leurs expériences (p.51).
 
Elle remet en cause les aveuglements majoritaires, en demandant qui nos institutions académiques accueillent-elles et quels savoirs valorisent-elles et font-elles éclore. En tentant d’y répondre, elles donnent toute leur place à des travaux potentiellement porteurs de transformation sociale pour les groupes marginalisés qui produiront une recherche scientifique qui renouvelle notre compréhension du monde social et le donne à voir dans sa complexité (p.58). L’intersectionnalité construit du commun sans passer par une abstraction des différences.
 
Elle invite donc à produire un universalisme concret incarné dans les différences et les histoires spécifiques de celles et de ceux qui forment le corps politique (p.65). « Un modèle qui ne prétend pas mettre à bas l’héritage des Lumières mais bien à éclairer leur part d’ombre » (p.61) comme le rappelle justement les auteures de cet essai vivifiant pour les sciences sociales.      
 

MUCEM VIH/SIDA. L’ÉPIDÉMIE N’EST PAS FINIE.

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Coordonné par Stéphane ABRIOL, Christophe BROQUA, Renaud CHANTRAINE, Caroline CHENU, Vincent DOURIS, François LOUX, Florent MOLLE et Sandrine MUSSO (1973-2021).
Titre : MUCEM VIH/SIDA. L’ÉPIDÉMIE N’EST PAS FINIE.
Editeur : ANAMOSA, Paris.
Date de parution : novembre 2021.
 

Quarante ans et 36 millions de morts après sa découverte, le VIH circule encore. Si les traitements antirétroviraux permettent désormais de vivre avec la maladie, on compte toujours près d’un million de décès chaque année dans le monde. L’apparition du sida et sa propagation dans les sociétés contemporaines ont provoqué des bouleversements intimes et sociaux, révélé des fractures et suscité des luttes historiques. Notre société porte les héritages de celles-ci, mais aussi la persistance des disparités engendrées ou révélées par le VIH/sida.
 
Les luttes se poursuivent, pour briser le silence, éviter les nouvelles contaminations et réduire les inégalités, notamment en termes d’accès aux traitements. Retraçant son histoire sociale, l’exposition « VIH/Sida : l’épidémie n’est pas finie ! » et ce livre qui s’en fait l’écho s’appuient sur l’important fonds d’objets et d’archives du MUCEM, constitué dans les années 2000 par le biais d’une enquête ethnographique qui a permis la collecte de nombreuses traces des luttes, en France, en Europe et en Méditerranée. Le projet a été conçu en étroite collaboration avec des personnes vivant avec le VIH, des militantes et des militants, des soignant.es et des chercheuses, des chercheurs.   
 
Ce livre articule ainsi une histoire subjective de l’épidémie avec plusieurs récits relatifs à la collecte, permettant un dialogue entre le point de vue des acteurs.trices et celui du musée. Il a l’ambition de dresser un bilan des conséquences sociales de l’épidémie et des luttes qui lui sont opposées, pour inscrire cette histoire dans un cadre patrimonial et questionner la place de son héritage. Toutefois, loin d’enfermer le sida au musée, il s’agit aussi d’alerter : cette épidémie n’est pas finie.
 
C’est avec beaucoup d’intérêt et d’émotion que nous avons lu l’ouvrage complet et sans doute unique, ici recensé, conçu à l’occasion de l’exposition « VIH/sida : l’épidémie n’est pas finie ! » présentée au MUCEM, à Marseille, du 15 décembre 2021 au 15 mai 2022 (p.299). En effet, cet épais volume illustré de photos, de témoignages couvre presque tous les aspects afférents à cette épidémie qui a fait presque 40 millions de morts dans le monde depuis sa découverte en 1983 : les représentations publiques du sida, les expériences et pratiques des luttes, la vie avec les traitements et soins, les conséquences du virus, les manifestations publiques et les héritages.
 
Cette somme qui fera date, composée par plus de 40 autrices et auteurs d’univers divers, s’inaugure sur une page bouleversante, celle de l’in memoriam de Sandrine MUSSO (1973-2021), disparue d’un cancer lors de la finalisation du livre. Anthropologue de la santé à l’EHESS, clef de voûte du dispositif participatif mis en place pour monter l’exposition, débordant le monde académique et universitaire, en prise avec la vie de la cité, engagée dans des questions brûlantes comme les effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne, le fil rouge de sa vie se situait entre expériences vécues et politiques.
 
L’introduction s’interroge sur la présence du VIH/SIDA au Musée et explicite le titre de l’exposition qui reprend un slogan historique d’Act Up : « l’épidémie n’est pas finie ! ». Non seulement il n’existe pas de fin du sida dans notre horizon historique mais la fin de l’épidémie demeure un horizon à attendre. Le sida n’est pas terminé non plus comme le montre la généalogie du projet, dès 1993, au MNATP (Musée National des Arts et Traditions Populaires). Exposer, s’entend alors comme vivre intensément une expérience collective témoin la collecte des 12 532 objets, en majorité des dons, afin de donner la parole aux malades sur des thèmes considérés comme appartenant au champ médical.
 
Epidémie pleinement politique, le VIH peut se mettre en miroir du Covid 19 dans une mise en perspective éclairante (p.17). En France, pourtant, la gestion du Covid 19 n’a pas bénéficié des acquis de la lutte contre le sida. Ce livre montre, à chaque page, la fragilisation des minorités sexuelles (hommes homosexuels, usagères de drogues, migrant.es, travailleuses du sexe, transgenres, détenu.es) qui perdure depuis trente ans pour inciter à l’action en ajoutant un seul mot d’ordre au bilan : le combat continue.
 
Il faut vraiment encourager les jeunes générations à parcourir, feuilleter, lire, étudier ce maître livre tant pour ses qualités éditoriales que ses textes de chercheurs. Le dialogue avec les archives télévisuelles témoigne d’une « altérisation » de la figure des séropositifs et des malades, une stigmatisation durable qui, elle non plus, n’est pas finie (p.38). La muséalisation du deuil et de l’activisme en objet patrimonial implique une véritable réflexion sur la place d’une épidémie au musée.
 
Julien RIBEIRO initie une esthétique du présent (p.91) dans les mutations de la maladie et ses représentations artistiques en citant AA Bronson : « nous devons nous rappeler que les malades, les personnes handicapées, et, oui, même les morts marchent parmi nous. Ils font partie de notre communauté, de notre histoire, de notre continuité » (p.93). Au chapitre des luttes, on lira plus particulièrement les fragments peu connus de l’histoire du TIPI, jusqu’en 2009, les singularités d’une mobilisation associative marseillaise dans le quartier de La Plaine (p.104).
 
L’histoire singulière des femmes dans la pandémie retracée par Catherine KAPUSTA-PALMER met en lumière un angle mort rarement évoqué (p.139). La partie dévolue à la vie avec les traitements et les soins vient nous rappeler, avec émotion, dans ces histoires liées aux post-sida et à l’arrivée du Covid-19, que la préservation de la relation à l’autre doit toujours l’emporter sur la discrimination liée aux peurs. Etre au plus près du désir de l’autre dans l’affaiblissement par la maladie importe plus que tout (p.187).      
 
 

Du sexisme dans le sport

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteure : Béatrice BARBUSSE
Titre : DU SEXISME DANS LE SPORT
Editeur : ANAMOSA
Année : 2022. Nouvelle édition.


Le présent livre constitue la nouvelle édition entièrement revue et augmentée d’un livre pionnier devenu une référence et lauréat du prix Sport et littérature en 2017.
 
 « Retourne faire la vaisselle et du tricot », « qu’elles s’occupent de leurs casseroles », « On dirait un tir de femme enceinte », autant de petites phrases bien trop souvent répétées dans le monde du sport où le machisme et le sexisme semblent régner sinon en maîtres, du moins dans une forme de connivence naturelle.
 
Du sexisme ordinaire, touchant d’ailleurs femmes comme hommes, aux violences sexuelles, dont les dénonciations se font désormais plus nombreuses, de la question d’une « nature masculine », du sport à celle de la féminité des sportives et des actrices du sport, à laquelle celles-ci entretiennent elles-mêmes un rapport non dénué d’ambiguïtés, l’ancienne handballeuse et sociologue Béatrice BARBUSSE décrypte et analyse pas à pas la réalité de l’ancrage du sexisme dans ce milieu. S’appuyant sur des cas concrets et sur son propre vécu, elle entend libérer une parole et souligne aussi les changements en cours, tout comme le chemin encore à parcourir pour une plus grande égalité.
 
Ancienne sportive de haut niveau et seule femme à présider en France un club professionnel masculin de handball tous sports collectifs confondus de 2008 à 2012, l’US Ivry Handball, Béatrice BARBUSSE, titulaire de l’agrégation de sciences sociales, est maîtresse de conférences en sociologie à Paris-Est.
 
Elle a été présidente du conseil d’administration du Centre national pour le développement du sport de 2015 à 2017, membre du conseil d’administration de la Fédération française de handball, au sein de laquelle elle a assumé la coresponsabilité du plan de féminisation national. Après avoir été secrétaire générale de la Fédération française de handball de 2016 à 2020, elle en est la vice-présidente déléguée depuis décembre 2020.
 
Dans son avant-propos, elle raconte de manière assez émouvante comment certains hommes ont changé leurs comportements à la suite de la lecture de la première version de son livre (p.8). Elle pose d’emblée que le combat sexiste ne concerne pas que les femmes mais surtout les hommes : « sans la bonne volonté d’une majorité d’hommes, sans alliés, il sera impossible d’avancer vers plus d’égalité » (p.10). Elle évoque son émotion profonde d’avoir la force de poursuivre ce combat de témoignage, de dénonciation, d’explication sans dissimuler son découragement et parfois « son envie d’arrêter très souvent » (p.11).
 
Il faut saluer le courage, les efforts, l’abnégation d’une championne unique qui œuvre pour les générations futures, pour ces femmes et ces jeunes filles qui doivent continuer de rêver en grand. La chercheure aborde tout de go la question de la « masculinité hégémonique » (p.12), cette forme virile, machiste et plus ou moins violente de la masculinité, telle une charge qui fait souffrir en silence. Par où l’on perçoit la fonction et l’histoire des effets de réel des livres dans notre société, qui éveille les consciences et transmettent des connaissances : « grandir pour construire individuellement mais aussi collectivement en déconstruisant de fausses croyances intériorisées dans le but de bâtir un vivre-ensemble plus harmonieux pour le plus grand nombre » (p.14).
 
La maîtresse de conférences nuance son propos pour poser un regard juste sur une réalité en évolution, celle de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans le sport. L’approche analytique dépasse la seule méthodologie descriptive autant par les données inédites que par les thèmes abordés : répartition des  temps de parole entre hommes et femmes dans les réunions, maternité, égalité salariale, bibliographie. Le prisme des féminismes très actuel couvre tous les aspects des coulisses du sexisme sportif (p.21).
 
Dans son introduction, elle pointe les paradoxes entre le sport qui revendique des valeurs de justice et son univers qui, dans son mode de fonctionnement même, dans ce qu’il donne à voir, rentre en contradiction avec ses principes fondamentaux. L’approche historique permet, en outre, une étude des femmes de sport qui ne réduit pas le place des femmes dans le sport à la question du sport féminin (p.28). Par la technique de la participation observante, la dirigeante-sociologue s’appuie sur une expérience fondatrice et unique, celle de présidente d’un club de handball professionnel masculin champion de France de division 1. Témoin et cible, elle raconte et donne à lire un document (p.33).
 
Le premier chapitre porte un titre évocateur, « Le sexisme est dangereux » (p.34) en montrant que son caractère entraine des souffrances multiples et des conséquences insidieuses y compris contre les hommes eux-mêmes. Le sexisme forme un racisme qui ne figure en rien une abstraction (p.35). Ses formes vont du quotidien à l’institutionnel, du sexisme hostile assimilé à de la misogynie à celui ordinaire plus inconscient de l’infériorisation dégradante. La docteure en sociologie montre les origines sociohistoriques masculines du sport de haut niveau comme une « violence incarnée » (p.61).
 
Violence d’abord faite au corps dans un environnement sans cesse doloriste par exaltation de la douleur mais également violence subie par le corps en tant qu’outil de travail à optimiser (p.66). La souffrance s’incarne aussi mentalement, essence de la performance. Dans ces conditions, le sexisme sportif aussi s’exerce par la violence (p.68). L’auteure, jamais pamphlétaire, vient toujours nuancer son développement en insistant sur les hommes exceptionnels : « j’ai croisé des hommes extraordinaires qui, loin des attitudes rétrogrades et sexistes, m’ont apporté leur soutien, et c’est grâce à eux que j’ai pu tenir aussi longtemps dans ma fonction de présidente » (p.71).
 
Pour que la peur change de camp, pour vaincre la forte omerta dans le sport en tant que système à dénoncer, Béatrice BARBUSSE s’appuie sur des témoignages de journalistes, les travaux les plus récents de la sociologie pour défaire l’essentialisme par une généalogie constructiviste de la réalité existante dans l’univers agonistique du sport (p.100). Ordres, consignes et assignations se trouvent intériorisés à savoir incorporés non pas par la différenciation des sexes mais bien par leur hiérarchisation. Ce que François HERITIER nomme à propos « la valence différentielle des sexes » (p.108).
 
A l’origine des sports olympiques, Pierre de COUBERTIN s’affirme radicalement hostile à la pratique sportive féminine : « Le véritable héros olympique est à mes yeux l’adulte mâle individuel » (p.120). Le sport, domaine réservé des hommes, figure et symbolise la virilité. Par-là, l’ancienne handballeuse de haut niveau, démontre que le sport ne réside pas dans une activité neutre. Il porte une vision essentialiste qui produit un univers « par nature » masculin (p.134).
 
Utilisant les travaux de Pierre BOURDIEU notamment sur la domination masculine et ses mécanismes d’incorporation, l’ouvrage aborde la question de l’hypersexualisation (p.145) des sportives où « un physique de mannequin a plus de chance de décrocher un contrat qu’une autre » (p.144). L’apparence joue, en effet, un rôle central dont l’origine se corrèle au processus de socialisation sexuée inversée que les jeunes sportives subissent au cours de leur formation (p.160).
 
La démonstration se déplie ensuite avec des sportives célèbres éminemment féminines qui pratiquent parfois des sports violents, telle Ronda ROUSEY (p.173) ou l’exemplaire Serena WILLIAMS (p.198). Dans un autre chapitre, l’auteure décrit les impensés sociologiques qui détournent les femmes de certaines possibilités notamment dans le management (p.209). Dans cet ouvrage indispensable devenu un classique pour qui veut comprendre le sexisme dans le sport et les transformations pour en sortir, on regrettera parfois l’usage d’outils conceptuels ou méthodologiques un peu caduques comme l’analyse stratégique de type Crozier Friedberg ou les difficultés, dans le dernier chapitre, à définir un « féminisme sportif » (p.285).
 
Néanmoins, la tentative de mettre au jour les processus de construction des fausses représentations intériorisées depuis la naissance forme une clé majeure de la féminisation du sport, et au-delà, de la société (p.346). La conclusion sur le disempowerment au masculin appelle les hommes à devenir des alliés des femmes (p.347).        
 
 

L'anarchisme

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

George WOODCOCK
L’ANARCHISME. Une histoire des idées et mouvements libertaires.
LUX EDITEUR
MONTRÉAL
Sortie le 27 octobre 2022

 
Ecrit dans les années 1960, puis revu et augmenté en 1989, ce livre monumental offre le récit de l’une des plus grandes aventures des XIXème et XXème siècles, celle de l’anarchie.
WOODCOCK y raconte le mouvement, ses victoires, ses défaites mais il y expose surtout les idées des principales figures qui ont façonné la pensée libertaire, de William GODWIN à Emma GOLDMAN. Au-delà de l’engagement intellectuel, politique et moral de ces personnages historiques plus grands que nature, L’anarchisme brosse un portrait vivant de leur combat et des profonds idéaux de liberté qui n’ont jamais cessé de les animer.
 
Considéré aujourd’hui comme un classique de l’histoire de l’anarchisme, cet ouvrage étoffé expose les perspectives d’une aspiration partagée aujourd’hui par un nombre toujours grandissant de personnes éprises de justice et d’autonomie.
 
George WOODCOCK est un personnage hors norme. Né à Winnipeg en 1912 et mort à Vancouver en 1995, ce baroudeur qui a vécu en Asie et en Angleterre, a été à la fois journaliste, poète, éditeur, et surtout, un important historien. Ses travaux, remarquables tant par leur rigueur que leurs extraordinaires qualités littéraires, lui ont valu de nombreux prix, dont le Prix littéraire du gouverneur général pour son livre sur George ORWELL. Au moment de sa mort, WOODCOCK traduisait PROUST. Cet auteur demeure encore méconnu du lectorat français, seulement deux de ses ouvrages ayant été traduits, celui-ci et George Orwell, à sa guise, paru il y a deux ans chez Lux. Il faut une fois encore insister sur le travail remarquable d’un « petit » éditeur montréalais courageux et engagé.  
 
Dans la préface de 1986 de ce volumineux livre de presque 600 pages, l’auteur situe d’entrée de jeu les enjeux très clairement. Il situe la guerre civile espagnole comme le dernier évènement marquant de l’histoire de l’anarchisme et la destruction de le République espagnole en 1939 comme le glas du mouvement fondé par BAKOUNINE dans les années 1860. Il faut selon WOODCOCK, cependant, bien distinguer le mouvement de l’idée (p.8).
 
L’héritage de l’anarchisme réside dans le dévouement et le sacrifice de quelques figures telles Errico MALATESTA et Louise MICHEL mais il s’inscrit également dans un appel à renouer avec une conception morale et naturelle de la société transmis par William GODWIN, Léon TOLSTOÏ, Pierre-Joseph PROUDHON et Pierre KROPOTKINE dans un désir de liberté. Les anarchistes appellent à devenir des princes par l’affirmation de l’interdépendance fondamentale de la liberté, de la réalisation de soi et de la solidarité.
 
George WOOD, au passage, renverse quelques lieux communs (p.9) sur l’anarchisme. Le A cerclé, symbole inexistant au temps des anarchistes classiques, fut créé par un groupuscule français, Jeunesse libertaire, en 1964. Il traite de la résurgence de l’idée d’anarchisme qui a connu une renaissance remarquable dans les années 1990 et pris des formes inédites. Le long prologue éclaircit la trame conceptuelle en évitant la tentation de la simplicité (p.13) : « Rares sont les doctrines et les mouvements à être aussi mal compris de l’opinion publique et tout aussi rares sont ceux qui, par la diversité de leurs approches et de leurs tactiques, prêtent autant à confusion (ibid.) ».
 
L’un des principaux mérites de ce classique de l’histoire des idées tient dans son effort définitionnel et dans l’analyse des paradoxes structurants ou tensions contradictoires qui traversent tout le mouvement. Il ne suffit pas de nier l’autorité et de la combattre pour se définir en anarchiste. L’anarchisme s’intéresse au fil de l’histoire, à l’être humain dans son rapport à la société : « ayant toujours eu le changement social pour objectif ultime, il condamne invariablement l’ordre existant, bien qu’il le fasse parfois selon une conception individualiste de la nature humaine, et à toujours la rébellion, violente ou non, pour méthode » (p.13).
 
Le mot grec anarkhia signifie « absence de chef » mais sa filiation bifide désigne à la fois une situation négative de désordre social et une situation positive où le maintien de l’ordre ne nécessite plus de domination (p.14). L’ambiguïté de départ sera saisie en 1840 par Pierre-Joseph PROUDHON qui revendique le titre d’anarchiste en montrant que la critique de l’autorité n’implique pas nécessairement une apologie du désordre. George WOODCOCK aborde l’anarchisme comme « une pensée dont l’objectif est d’apporter des transformations fondamentales à la structure de la société et, en particulier, de remplacer l’État autoritaire par une forme de coopération non gouvernementale entre les individus libres » (p.17).
 
C’est sur les ruines des empires et des croyances que les anarchistes entrevoient l’édification du monde libre. La croyance populaire associe l’anarchisme au terrorisme sans comprendre que la violence anarchiste s’inscrit dans une adhésion à une tradition issue des révolutions française, américaine et anglaise (p.19). Les grandes figures historiques de l’anarchisme incarnent moins des héros de l’action violente que des champions de la parole même si on notera les assasinats perpétrés par Ravachol, Émile Henry et Léon Czolgosz qui causèrent un tort considérable à la cause anarchiste.
 
Un autre grand mérite de ce fort volume passionnant parcouru par des personnages saisissants consiste à montrer la liberté d’interprétation et la diversité des approches de l’anarchisme (p.23). De l’anarchisme individualiste d’un Max STIRNER prônant l’affirmation de soi insurrectionnelle et la création d’une association des Égoïstes au mutuellisme de Proudhon, en passant par le collectivisme, le communisme libertaire et l’anarcho-syndicalisme, au courant de Léon TOLSTOÏ et n’anarcho-pacifisme, se dessine des anarchismes jusqu’à Gandhi qui s’avouait parfois anarchiste (p.25).
 
L’autre distinction importante réside dans la distinction entre l’anarchisme et le marxisme (pp.30-31). Le culte de la nature, de la spontanéité de l’individu situe l’anarchisme en opposition avec la structure organisée de la société industrielle et étatique moderne. A part quelques travailleurs industriels à Paris, Lyon, Barcelone ou Milan, l’intérêt pour l’anarchisme concerne les classes sociales étrangères. Les plus célèbres anarchistes appartiennent à l’aristocratie ou la petite noblesse rurale (Bakounine, Kropotkine). D’autres figures sont d’anciens prêtres, séminaristes, cordonniers ou imprimeurs (p.31).
 
Les milieux de l’ombre et les anarchistes partagent une opposition à l'État moderne et à l’économie capitaliste ou communiste. Ils souhaitent une sorte de retraite qui ressemblerait à une simplification de la vie en société (p.32). La reconstruction sociale rompt avec l’ordre établi, revient aux racines. Les anarchistes souhaitent une dissolution de l’autorité et du gouvernement, la décentralisation des responsabilités et le remplacement de l’État et des organisations monolithiques par des fédérations permettant aux unités primaires de la société de regagner leur souveraineté.
 
L’historien canadien aux indéniables qualités littéraires de préciser la colère ascétique des anarchistes : « l’anarchisme comporte en effet une dimension profondément moraliste qui en fait autre chose qu’une simple doctrine politique » (p.32). Que ce soit la distinction proudhonienne entre pauvreté et paupérisme ou le loisir de cultiver son esprit dans « La conquête » du pain de Kropotkine, les hautes jouissances du luxe, les plus éminentes accessibles à l’homme, de la science, de l’art et de la création artistique, tiennent dans la simplification de l’existence de l’être humain qui en atténue le labeur et permet de se consacrer à de nobles activités qui conduisent à un équilibre philosophique grâce auquel il ne craint plus la mort.
 
C’est Proudhon qui, dans « De la justice dans la révolution et dans l’Église » en formule une vision précise. La vie humaine atteint sa plénitude lorsqu’elle inclut amour, travail et communion sociale ou justice. Un livre enthousiasmant qui ouvre une réflexion et des actions sur le progrès non pas comme accumulation infinie de richesses matérielle et de la complexité des existences mais bien plutôt comme étique sociale par abolition des formes de l’autorité, de l’inégalité et de l’exploitation économique pour que notre esprit puisse « s’élever au-dessus des bêtes » (p.34).  
 
Le fort livre de George WOODCOCK, par sa description puissante d’une sorte d’arbre géographique et généalogique de l’anarchie, par l’archéologie profonde des paradoxes philosophiques de cette doctrine, par la diversité des portraits théoriques, drôles (p.493), rationnels, destructeurs, prophétiques ou explorateurs et parfois très proches du quotidien des grandes figures de la pensée libertaires, mérite une lecture attentive aussi bien pour les étudiants de notre temps que le grand public érudit qui souhaite comprendre l’actualité de la résurgence de cette idée force qui n’a jamais finalement disparu.   
 

Nietzsche et la Vie

Critiques littéraires

Par Fabien Nègre

Auteur : Barbara STIEGLER
Titre : NIETZSCHE ET LA VIE. Une nouvelle histoire de la philosophie.
Collection : FOLIO ESSAIS INEDIT
Editeur : GALLILARD
Date de parution : 27 septembre 2021


Avec Nietzsche s’inaugure une philosophie nouvelle, centrée dorénavant sur le corps et la vie, qui appelle une nouvelle histoire de la philosophie. En parcourant les grandes étapes de cette histoire, Barbara STIEGLER introduit le lecteur aux philosophies de Descartes, Kant, Schopenhauer, Hegel et Marx, ainsi qu’à quelques grandes figures de la philosophie contemporaine, proches ou héritières de cette nouvelle philosophie de la vie : William JAMES, John DEWEY, BERGSON, CANGUILHEM et FOUCAULT, sans oublier le contrepoint critique de la phénoménologie, de HUSSERL à HEIDEGGER.

Parce que le fil conducteur de cette nouvelle histoire suit la réalité concrète du corps et de la vie, son livre est aussi une introduction à l’histoire de la biologie, de la physiologie à la théorie de l’évolution, et jusqu’aux débats les plus brûlants de la biologie et des sciences médicales contemporaines. A la lumière de ce parcours, la philosophie de NIETZSCHE ne peut plus apparaître comme une météorite solitaire et fulgurante. Elle se situe bien plutôt au beau milieu d’un tournant : celui à partir duquel, sur fond de fin de la métaphysique et de crise des savoirs, le gouvernement de la vie et des vivants doit devenir l’affaire de tous, nous obligeant à repenser de fond en comble les notions de « réalité » et de « vérité » en même temps que la valeur des énoncés produits par la science.  

Depuis les années 90, de nombreux philosophes, chercheurs, universitaires éclairent régulièrement son œuvre. Citons par exemple Gilles DELEUZE en son temps ou Patrick WOTLING, Éric BLONDEL, Dorian ASTOR et Arnaud SOROSINA plus récemment. Là, il s’agit de tout autre chose. Il ne semble pas exagérer d’affirmer que le livre de Barbara STIEGLER qui n’en forme pas un comme le précise bien son auteur (pp.395-397), pose un nouveau regard non seulement sur l’œuvre de Nietzsche mais propose également une nouvelle lecture de l’histoire de la philosophie.
Dans son introduction, la philosophe, spécialiste de Nietzsche, auteure, rappelons-le, notamment de « Nietzsche et la biologie », PUF, 2001 et de « Nietzsche et la critique de la chair. Dionysos, Ariane, Le Christ », PUF, 2005, attaque directement, dans son style élégant et net, au cœur de sa problématique qui pourrait faire trembler plus d’un spécialiste spécieux du philosophe aux belles bacchantes natif de Röcken : « Nietzsche dit ne s’être plus occupé de rien d’autre, à partir de l’été 1876, que de sciences de la nature, de médecine et de biologie » (p.11).
En effet, avec les scientifiques les plus rigoureux de son temps, Nietzsche partage une soif assoiffée de réalité, un dépassement des catégories pétrifiées de la pensée et de ses grandes fictions collectives pour tenter de saisir la réalité en général et la vie en particulier. Barbara STIEGLER de poser d’une écriture rythmée et souvent rythmique, les caractérisations précises d’un changement radical : « la vie et le corps vivant comme nouveau point de départ de la pensée ». (p.12).

Renversement d’une violence inouïe d’où l’on tirera que la vie suppose deux activités fondamentales, l’évolution et la nutrition. Cette dernière, Nietzsche la requalifie d’« incorporation ». Ce déplacement invente une nouvelle pensée du nourrir à travers le métabolisme et attribue une place décisive à la mémoire, capacité à ingérer l’autre en soi et à en garder trace (p.13). Evolution et incorporation s’imposeront comme les questions centrales de la philosophie. Au même moment, la révolution industrielle, la mondialisation des échanges, les nouvelles techniques de communication bouleversent les sociétés du XIXème siècle.
N'oublions pas que Nietzsche vient au monde en 1844, avec le télégraphe, puis le chemin de fer et la navigation à vapeur. Pour lui, ces bouleversements paralysent nos capacités de penser (p.14). Il se demande si la vie est encore non seulement vivable mais tout simplement possible. L’effet le plus massif consiste dans l’apparition du « flux absolu », conséquence de l’accélération des rythmes de vie et de la dissolution tendancielle des clôtures (p.15). Barbara STIEGLER, montrant le prophétisme nietzschéen, analyse les stases nécessaires à la vie au sens biologique mais aussi toutes les formes de stabilité.
« Le flux tend à détruire toutes les stases mais aussi toute forme de barrière, de frontière ou de clôture sur soi, exposant les âmes et les corps vivants à tous les processus qui traversent le monde entier » (p.16). Cette puissante interprétation de ce nouveau monde, notre modernité en tant que liquidation générale des stases et des clôtures qui menace l’intégrité des vivants, tant psychique que somatique et favorise l’apparition de pathologies nouvelles, conduit l’auteure à déjouer tous les contresens courants sur Nietzsche, ni philosophe de la célébration romantique du chaos, ni apologiste enflammé du flux du devenir.

Un autre mérite de ce livre magistral toujours écrit dans un style au juste tempo pour comprendre la découverte d’un autre Nietzsche qui pense les conditions de la vie, tient dans la mise au jour des besoins des vivants qui s’exposent au flux toujours nouveau de ce qui leur arrive, qui les nourrit et les pousse à l’évolution et à la transformation et d’un autre côté, la résistance à ce flux, le diffère ou le retarde tout en fabriquant tout un arsenal de stases, de clôtures qui ralentit, filtre et digère, bref, incorpore (p.17). La double condition qu’implique toute vie sera celle de s’ouvrir au flux du devenir et en même temps, car il est en lui-même invivable, de savoir s’en protéger (p.20).
Autre contresens fréquent bien souligné par la professeure à l’Université de Bordeaux : Nietzsche n’oppose pas la sensiblerie des contemporains à l’insensibilité des hommes forts et virils qui auraient peuplés les temps anciens mais propose « la capacité propre à tous les êtres véritablement vivants, à accueillir profondément l’autre, le nouveau et l’étranger en soi, à se laisser affecter et transformer par lui, tout en parvenant à rester soi-même » (p.24).
En pensant à nouveaux frais l’enquête nietzschéenne généalogique et médicale, la théoricienne du néolibéralisme, auteure de « Il faut s'adapter » : Sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais » (2019), revient sur la double découverte de la vie comme volonté de puissance et de la pensée de l’éternel retour qui tentera d’incorporer la totalité du passé dans nos mémoires. En cela, elle rappelle dans une première partie que la philosophie, par un étrange tour de passe-passe, a toujours fait écran à la question de la vie, du corps et de ses conditions alors même qu’elle prétendait en faire ses premiers objets (p.29).

Dans un second temps, encore plus original et passionnant, Barbara STIEGLER montre que NIETZSCHE construit une conception biologique de l’incorporation et de l’évolution dans un dialogue à la fois subtil et très précis avec les meilleurs biologistes de son temps. Enfin, la dernière partie du livre, confronte la pensée nietzschéenne et ses limites à la philosophie contemporaine (James, Dewey, Bergson, Canguilhem et Foucault). Il faudra lire cet ouvrage enthousiasmant et indispensable, tout particulièrement ses développements conclusifs à la tonalité plus politique à l’heure des crises écologiques et sanitaires : « cette question de la valeur des valeurs ou du critère des évaluations ne peut être réservée à un corps de métier spécialisé, qu’il s’agisse de celui des savants qui seraient prétendument isolés du reste du corps social, ou de celui des « experts » conseillant des dirigeants, et qui seraient légitimes pour déterminer avec eux les fins que doit poursuivre l’ensemble de la société. Mais elle ne peut pas non plus être l’apanage des exceptions qui, seules, auraient le courage d’endurer les exigences du « gai savoir » et de contempler le « flux absolu ». Parce que la philosophie qui s’inaugure avec Nietzsche pose la question de l’avenir de la vie et des vivants, elle implique d’affronter le problème devant lequel il a lui-même échoué : celui d’un gouvernement collectif du vivant qui soit véritablement l’affaire de tous, et qui nous oblige à repenser sur des bases entièrement nouvelles les rapports entre science et démocratie » (p.389).      

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