Dans la cité des guinguettes et des canotiers qui jouxte le Bois de Vincennes, Nogent-sur-Marne, bondit un « parisien dans l’âme », sphère d’énergie, le 6 mai 1993. Les parents, en cadres, s’accordent tous deux chez Accor. Le paternel, plus jeune directeur d’hôtel du groupe en France et la mère, responsable de la restauration, rapiècent vite un hôtel-restaurant-bar en pays Centre-Bretagne. A 6 mois, le petit nogentais repeint en breton cabriole dans l’établissement de sa grand-mère maternelle, un autre ciel qui s’ouvre.
Les grands-parents paternels résident en Vendée, ancrés dans le terroir, la rusticité, le beurre, « les choses simples de la cuisine paysanne avec sa charcuterie à l’odeur inoubliable ». Crime de lèse-majesté, les aïeuls estiment la table, apprécient les joliesses gustatives, œuvrent dans le beau monde de l’hospitalité en « performeurs » mais ne se passionnent pas pour l’art culinaire étoilé. Le bon élément hyperactif aux capacités remarquées perturbe la classe du patelin : « J’aimais faire l’andouille au fond de la classe ». Le goal de foot attire l’attention, prend la lumière. Il observe tout, regarde à 360 degrés.
A 15 ans, l’adolescent fraîchement lorientais mais toujours aussi remuant décide de devenir « Chef », laisse l’école derrière lui avec un brin d’amertume en bouche : « Le cursus primaire, le collège n’impliquent les enfants ni dans le monde réel ni dans l’actualité, pas de rapport avec l’entreprise. On ne tend pas la perche aux jeunes ». En 2008, le premier prix sélection apprenti BEP au CFA de Vannes, après un court stage à l’Amphitryon** de Lorient, monte à bord par effraction chez Henri et Joseph*, une maison humaine à « la belle cuisine française bourgeoise très ducassienne, 15 couverts, un menu pour 15 jours ».
Là, l’aspirant dépasse à l’aspiration : « des belles cuissons, très simples mais on faisait tout : poser des tuiles, les amuse-bouche, les mignardises, un risotto parfait, des légumes bien taillés ». Après l’école, l’insatiable retourne aux feux : « J’en voulais toujours plus ». Le tourbillon qui se rêve pilote d’avion intègre l’EPMTTH (Ecole de Paris des Métiers de la Table) dans le 17ème pour son BP Cuisine entre 2010 et 2012. Il prise, par jeu, la compétition et les concours : « Je voulais être valorisé et aller toujours plus loin ».
Après un passage au Bistrot Paul Bert 75011, Edouard CHOUTEAU parvient sous les lambris platinés du BRISTOL, dans les cuisines du triple étoilé Éric FRECHON, durant deux ans. En 2012, il perfectionne sa volonté de savoir chez Alain PASSARD***, le génie arpégien aérien qui scrute le fond des casseroles sur la pointe des pieds. Puis, vient un autre immense sacré, Pierre GAGNAIRE*** où il visitera trois mondes : le poisson au Gaya*, l’excellence au Balzac***, le luxe aux Airelles**. En février 2017, Christophe PELE**, au CLARENCE, le nomme sous-chef, sans évoquer le versant international de la supersonique trajectoire de l’intense créatif : New-York, Japon, Brésil, Espagne, Quique DACOSTA***.
En 2000, au Pavillon de la Reine, place des Vosges, au restaurant Anne, il exulte de joie lors de l’obtention de son étoile aux côtés de Mathieu PACAUD. Celui qui ne renie ni le traiteur ni la restauration collective chérit sa maison intemporelle qui fait des clins d’œil à la modernité raisonnable et raisonnée : « Il n’y a pas d’ultra local, ce n’est pas notre métier ». Absolument pas suiveur des modes, il sait son « métier de fou, de passion, unique et atypique ». En globe-trotter excité de courir la planète, il prend du recul sur les trous du passé.
Depuis juin 2020, à la Laiterie, le « Grand de demain GaultMillau 2021 » qui se voyait inspecteur Michelin officie au double poste de Chef-Directeur Général, culbute le train-train : « Ma passion, c’est cuisiner des grands produits, manger dans les étoilés, faire des beaux gueuletons, le marché. Le luxe m’anime. Nous faisons un métier manuel d’artisanat populaire. Par la cuisine, langage universel, nous voyageons et nous nous élevons ».
Depuis son arrivée, il écrit une vision de sa cuisine vivante qui change avec ses envies. Il ne se fixe pas sur des axes même s’il gravite autour du terre et mer avec des textures contrastées, de la mache, du cru et du cuit en dominante iodée. L’esprit végétal effleure les racines, céleri et pommes en julienne conduit par un clafoutis de panais, velouté de persil et émulsion aux noix fraîches. Le sous-bois exalte les champignons de cueillette et de couche par un jus d’oignons façon carbonnade flamande. Le miel des ruches de la longère chatoie en crème prise, croustillant acidulé.
L’iode de l’huître cochon caviar osmose l’œuf au bœuf à cru, hareng, ail noir et chicorée. Le croque haddock fait l’andouillette. La Saint-Jacques se réveille en corolle grillée, mélasse de pommes et céleri rémoulade, lard croustillant, jambon maison, crème épaisse. Le cèpe apostrophe la daurade royale mi-cuite panachée au bœuf, mimolette, capucine. Le ris de veau poché à la dieppoise charme la morille des pins. Le pigeon des Flandres s’acoquine aux algues, épinards et figatellu. La truffe blanche embaume le veau au couteau, huître, hareng fumé, crème crue et salicorne.
La volaille du Boulonnais s’annonce, apprêtée au vin doux, parée de maïs dans un calme succulent.
Photos Marco Strullu