PORTRAIT DE CHEF
Dina NIKOLAOU

Par Fabien Nègre
  • Dina Nikolaou
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  • Evi Evane desserts
  • Le restaurant Evi Evane

Des montagnes de Kyrtoni à Evi Evane rue Guisarde, ambassadrice de la cuisine grecque à Paris, cheffe iconique dans son pays, Dina NIKOLAOU, avec son amour du goût, la sincérité de sa bonté, un profond souci d’authenticité, nous projette dans les visages des paysages culinaires helléniques.      

L’année de la dame de Mycènes, dans le beau village de Kyrtoni, apparaît au monde non loin du nombril du monde, Delphes, en Grèce-Centrale, une dégourdie. Entourée de ses parents agriculteurs, « une chance » et de ses sœurs, elle distingue déjà une bonne tomate bien mûre d’une autre flétrie. Dans la grande ferme en polyculture, l’enfance fleurit, « très heureuse ». Au mitan d’un style de matriarcat, la bambine contemple sa grand-mère malaxer sa pâte à pain, sa mère étaler ses feuilletés, sa tante façonner ses koulourakia, ces petits biscuits à base de beurre : « j’ai grandi dans le monde culinaire delphique ».       
 
Partout, les femmes ornent les grands festins des fêtes pascales : « du goût, de l’amour, du partage et de la joie ». A cinq ans, la décidée identifie les préparations au rythme des saisons. Les pâtes maison au lait de septembre annoncent la rentrée scolaire. A douze ans, elle concocte aux fourneaux afin d’éviter les peines éreintantes de la cueillette des feuilles de tabac dans les champs dès le point du jour. Elle déchiffre d’emblée comment adoucir une tiropita à la féta par trop salée. La malicieuse y glisse sans délai un miel délicat que personne ne remarque en se délectant de cette typique tarte au fromage : « Le succulent feuilleté formait mon secret, je voulais déjà équilibrer les saveurs, harmoniser les goûts ».  
 
Pourtant, la brillante élève ne s’imagine pas le moins du monde brandir le tablier de cheffe : « Je ne me destinais pas à la cuisine, pas très glamour surtout en Grèce, je voulais devenir actrice ». A Delphes puis à l’Université de Thessalonique, la jeune femme forte bien dans la lignée grecque s’enthousiasme pour l’économie et le marketing jusqu’à l’obtention de son Diplôme d’Études Approfondies. En 1993, elle atteint Paris pour poursuivre à l’ISEG (Institut Supérieur d’Economie et de Gestion). Là, elle se régale des cours d’une tornade publicitaire, Jacques SEGUELA et tombe littéralement amoureuse de la gastronomie française : « je voulais manger dans tous les grands restaurants, j’achetais tous les livres sur l’histoire de la cuisine française ».
 
A 23 ans, la jeune énergique attirée par les arts passe dans l’Atelier Constantin, Paris 20ème, où son oncle paternel patronne les manteaux Yves Saint Laurent. A 25 ans, le feu qui brûle en elle la verse à l’Ecole Cordon Bleu, l’Institut Ducasse et le Séminaire Escoffier. En 2004, avec sa sœur, Maria et son beau-frère crétois, propriétaire de plusieurs restaurant grecs dans le quartier latin dont Evi Evane depuis 1950, elle crée son propre établissement rue Guisarde : « J’ai eu l’idée de m’installer à Paris, le centre du monde, pour réagir à cette image si triste, touristique de la cuisine grecque, faire comprendre aux parisiens et aux français, les noms des plats et les différentes régions de mon pays. On a éduqué leur palais pour montrer que notre cuisine ne consiste pas dans une gastronomie mais dans un art traditionnel et soigné. J’allégeai les recettes par ma féminité ».
     
En 2015, l’ambassadrice de la cuisine grecque à Paris franchit un cap dans ses activités avec une cuisine centrale. Celle qui a « choisi de ne pas choisir » pour habiter « en Grèce et dans le monde », s’enrichit du mouvement : « Dans une famille de nomades, en nomade de la cuisine, j’aime les inspirations des cuisines méditerranéennes ». En mettant au jour une cuisine méjugée, elle lutte contre l’image d’Épinal de Zorba le Grec. La cuisine authentique grecque scénarise de grands produits, partage avec le charme de la variation toute une variété végétale mais également le lait de chèvre et de brebis. Elle repose toujours sur les bases de l’Antiquité : « le pain, l’huile d’olive, le vin, la vigne, le raisin ».
 
Sans citron, elle restitue l’acidité par la grenade, le sucré-salé avec les figues. Influencée par le monde ottoman, fruit d’échanges ancestraux, il n’existe pas une seule cuisine grecque mais bien plutôt des cuisines hellènes, de montagne, de mer, de monastère. Dans cet esprit culinaire insufflé par l’air de la méditerranée et les herbes sauvages, les escargots crétois côtoient les grenouilles, les fromages abondent en diversité.
 
Pour les Grecs, l’art de bien manger et de bien boire relève de la commensalité familiale et amicale, une façon puissante de se retrouver, de rire, de communiquer : « La joie et la tristesse se passent autour d’une table ». La créatrice du Festival gastronomique du Mont Athos en 2010 présente une mosaïque des cultures pour affiner, donner une « autre vie » aux produits. Elle met en lumière la diversité et la complexité des goûts grecs.
 
Familière des plateaux de télévision, la médiatique femme de diplomate nous emporte dans sa Grèce autour d’une table : « Je me vois dans mes plats, en miroir, mes voyages, mes passions, mes rêves, mon amour pour la vie, ma famille, mes amis, mes fils. J’aime les plats colorés. Je cherche l’équilibre, acide et sucré, citronné. L’envie de bien manger, bon et sain. Je revisite tout : plus raffiné, plus d’ingrédients, une belle présentation sans trop de sophistication ».
 
Chez Evi Evane dans le 6ème arrondissement et dans les deux ouvrages remarquables sur la cuisine grecque et crétoise authentique publiés chez Hachette Pratique en 2023, Dina NIKOLAOU nous envoûte à la fraîche, sous la tonnelle, en nous montrant l’extraordinaire diversité des paysages et des saveurs des deux îles méridionales. Le tarama caresse, aux citrons confits et perles de citron. Le Tzatziki s’étire au yaourt grec et à l’huile de menthe. L’houmous se lisse d’une purée de pois-chiches au tahini grec, huile de curcuma, pois-chiches frits.
 
La boutargue Trikalos arrive de Missolonghi. Les Strapatsada me apaki mêlent des œufs brouillés, des tomates de la féta et des apaki de Crète. Les Kalitsounia crétois, ces petits feuilletés aux fromages anthotyro et féta s’accompagnent de miel de thym. L’Horiatiki Salata comprend du pain d’orge crétois nommé Paksidami et des olives de Kalamata. La salade de poulpe confit, mayonnaise maison, se citronne à l’huile d’olive. Dans l’Htapodi, le poulpe se braise assorti d’une purée de fava de Larissa, légumes de saison marinés à l’huile d’olive. La tiganita fourre une galette de courgettes de crème de yaourt et de poivrons rouges.
 
La Moussaka mélange les aubergines grillées, la viande de veau et la crème de Féta AOP. Les Soutzoukakia, ces boulettes de veau onctueuses, purée de pomme de terre à la Féta, précèdent le Koukouloto, ce Gyros de poulet fermier enrobé dans une feuille de brick, légumes et yaourt grec. L’Arnaki kokkinisto, agneau d'Ile-de-France à la casserole à la sauce tomate ennoblit les petites pâtes kritharaki. Le Kadaïf à la crème de vanille et pistaches d'Egine résonne avec le Karidopita au chocolat, gâteau aux noix traditionnel ou Cheese-cake à la grecque.
 
Le final, enchanteresse générosité de la primultimité fulgurante de l’instant éclate, en apothéose : fromage myzithra de Crète, fraises et biscuit moustokoulouro, yaourt grec aux abricots confits au romarin et miel.

Restaurant Evi Evane
10, rue Guissarde - 75006 Paris

Décembre 2023
 

EVI EVANE

Le restaurant Evi Evane a été ouvert en 2005, au coeur de Saint Germain des Près dans le quartier Mabillon. Les soeurs Nikolaou, Dina en cuisine et...

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