En 1987, à Chambray-les-Tours, jaillit un enfant sage. La tribu virevolte autour « d’une vraie culture du bien manger ». L’arrière-grand-mère maternelle bichonne ses pépinières. La mère ne batifole pas avec ses préparations soignées. Les grands-parents paternels accommodent « à n’en plus finir » de la bonne viande avec leurs fruits et légumes du verger. Au pays de la fouée et de la fouace, on glorifie le bœuf, le boudin noir, l’andouillette au Vouvray, toute la cochonnaille. A dix ans, l’élève calme aux mains noircies par la cueillette des mûres sauvages chérit les repas familiaux dominicaux où le père pâtissier-glacier monte ses délices.
A 12 ans, le préadolescent siège déjà dans les boutiques paternelles tourangelles dénommées « La Tarterie » mais n’envisage surtout pas d’épouser la voie de la salamandre. Une autre passion l’exalte, la mécanique : « j’avais un garage à la maison, je passais ma vie à bricoler, démonter, remonter des mobylettes, je passe un CAP Moto ». En 2007, l’alternant en CAP Cuisine au CFA de Tours-Nord recouvre confiance dans les douceurs de l’entreprise paternelle. Il délaisse son domicile pour galoper vers les saisons.
Gap l’enchante autant dans les frimas hivernaux que le « Camping de l’Ecluse » dans la touffeur estivale de son village natal. Ce tour de chauffe pour le moins bariolé, entre pizzas et plats populaires de cantine, entre amours familiales et copinages loyaux, l’encourage. A Tours, au « Café D’Isa », brasserie « pure et dure », il s’entiche de la tête de veau. Pour le congratuler de ses bons offices, la patronne le convie au Comptoir du Relais, chez Yves Camdeborde, « bon vivant au grand cœur, entier, sanguin ». Le dîner le charme.
En 2009, au Choiseul**, à Amboise, il hâte la cadence : « je prends conscience du goût d’une carotte ou du fenouil, je vois l’étendue de la cuisine dans ces petites caillettes d’abats sises à côté du pigeon ». Sidéré par l’attention aux nobles aboutissements, foie gras et bisque de homard en tête, frétillant de savoir les recettes des sauces qu’il conserve pieusement, le néophyte solidifie ses bases et s’immerge tout de go dans les livres de cuisine de grands chefs. En 2010, il sangle sa valise pour Montpellier afin de rejoindre sa mie. « Au plaisir des mets », Nicolas GUIGNARD s’exerce à la gastronomie, encore en pâtisserie, à l’ombre bienfaitrice du père : « Je m’éclate car le menu change toutes les semaines. Je prends du plaisir, je me creuse la tête ».
En 2011, il alunit au Comptoir du Relais, Carrefour de l’Odéon, chez le démesuré Yves Camdeborde, qui répète à qui veut l’entendre : « Je n’ai jamais rien inventé ». L’extase tourne court. La vie parisienne éreinte le rural : « C’est la maison la plus difficile que j’ai connue. Extrême. ». La folie d’une cuisine de 13 mètres carrés et 50 références à la carte. Nonobstant des plats engravés : de somptueux gibiers, des consommés somptuaires, une enchanteresse royale de foie gras, ode à la délicatesse d’une texture, des chipirons (petits calmars) épeautre et encre de seiche, un poulpe attendrissant.
En 2013, ses beaux-parents, proche du poète lacustre et végétal, le présentent à l’artisan culinaire des hauteurs d’Annecy. En septembre, il se prépare au Clos des Sens** mais il ronge son frein au Café Brunet en chef de partie pâtisserie, la poursuite du signifiant : « j’adore, je tombe amoureux de la maison, de ses plats canailles en sauce ». A la vérité, déçu de ne pas avoir eu le poste des cuissons chez le palois de la Régalade, Nicolas GUIGNARD rejoue la poitrine de cochon entière caramélisée, le jarret à partager. Il dévore les ouvrages sur les poivres dans la grande bibliothèque de la maison.
Il se réapproprie dans son imaginaire, les plats simples et profonds de son arrière-grand-mère. En 2018, le futur maître des confidences forestières et Mathieu Fortin lui proposent d’ouvrir la Brasserie Brunet en lieu et place du « ContreSens ». L’ambition consiste à créer le lieu de référence en ville. En 2021, avec l’arrivée de Pauline Lemettre, compagne du chef, tout change sous l’impulsion du cuisinier philosophe de l’actuel Clos Vauban.
Dans la simplicité, la convivialité et une relation privilégiée aux producteurs alentours, une véritable identité émerge avec les carcasses de bêtes entières à découper, le respect scrupuleux de la restauration, la concentration sur les rencontres humaines. En 2022, la munificence savoyarde et les magnificences des Savoies s’expriment dans les légumes des maraîchers de proximité, la place accordée aux vignobles : « notre mission est une transmission. Laurent Petit, notre papa de restauration, nous a révélés et accouchés ».
Il s’agissait de revivre le passé dans un héritage émotionnel et un choc d’authenticité. Les empreintes fortes du lac guident à la bouillabaisse de poissons. Le pâté en croûte fraye avec l’assiette de cochon, de veau, d’agneau et de bœuf, cuisinés en plusieurs textures et cuissons, jus de viande corsé. Les rillons et rillettes font la fête : « C’est l’histoire de nos deux familles, on vient de la campagne. Une très belle histoire d’amour. Pauline et moi, nous avions 13 ans, à la foire aux chèvres, à la fête de village de Vallières-les-Grandes ».
En janvier 2024, la Brasserie BRUNET conquiert le niveau 3 du label Ecotable. Cette reconnaissance générationnelle de l’éco-responsabilité via un sceau transparent et honnête, valide un savoir-être. Depuis sept ans, les serveurs proposent une cuisine éthique dans une pleine expérience fusionnelle jamais feinte : « Nos clients, 70% d’habitués, deviennent des amis. Nous sommes souvent invités à manger chez eux et chez nos producteurs. L’éleveur de bœuf nous raconte l’histoire de sa bête. Le travail de création devient géant. On bute sur des morceaux, grillés, confits, rôtis. Avec l’aide du paysagiste du Clos des Sens, nos poivres, nos aromates poussent dans nos jardins ».
Cette philosophie de vie définit un lien intime avec le producteur, un rapport infime avec le produit dans un souci écologique permanent, pertinent et généreux. Les champignons s’effeuillent en chaud et froid dans un bouillon très goûteux. L’omble Chevalier nacré se confit dans un beurre aux baies de verveine, sabayon aux herbes. La poire pochée au miel et citron se rafraîchit dans son sorbet poire et mélisse.
Photos Aurelio Rodriguez et Matthieu Cellard