Créateur trendy, chef de file mais chef avant tout, cuisinier qui fait école dans son époque, à 41 ans, affole tous les vulmètres par delà les poncifs fous du food.
Adorable charmeur à part, doux effronté décontracté, rapide réfléchi, il va vite, très vite. Il ne dort pas, plus. Esquisses amusées d’un
éclaireur ambitieux qui ne prétend à rien d’autre que le Bonheur du Leader.
Quatre heures de repos nocturne suffiront. En belliqueux tranquille, surdoué interactif, il ne désire pas perdre une heure. Instruit de ses actions mais ouvert, disponible à l’interlocution, Gilles Choukroun goûte l’esprit de son époque, de l’indolence laborieuse, tout sourire. Une philosophie toute « choukrouniste » de la vie digne d’un épais traité : apprécier l’étoffe écrue de la soie du temps. Une enfance loin des voluptés nord-africaines, malgré un père juif oranais, loin des délices méditerranéennes malgré une mère narbonnaise. Le pater laisse la patrie du raï à 3 ans, dans les bagages des tantes, des frères et des sœurs. Il embarque Porte de Vanves puis court à Argenteuil, lieu de naissance du créateur «
de la crème brûlée de foie gras à la cacahuète ».
La tribu ne fréquente guère les pianos. Elle ne pratique pas pour autant l’amnésie des sources. Le père, fier de ses origines, le chante à tue tête et à qui veut bien l’entendre. Le fils approuve, «
fier qu’il en soit fier ». Le noble acte de manger, une énigme, un sous-ensemble flou d’intrigues à déchiffrer. Pis, un sujet d’interrogations. Mais, dans la culture familiale, des fragments merveilleux, des bribes lumineuses égratignent la surface des yeux rougis. L’arrière grand-mère paternelle passe des journées au fourneau. Elle y prépare le couscous dominical et les pâtisseries orientales. La maman du sud ouest nourrit ses enfants avec amour.
A 18 ans, Gilles Choukroun ne connaît aucun «
déclencheur ni indicateur gustatif », ne traîne pas au restaurant. Quel jeu le guide alors sur le chemin ? Une raison sibylline : il abhorre l’école. Il redouble en cancre artiste, paria magnifique, érotologue aporétique de passage. Le factum rationis le taraude. Il prend plaisir à la pâtisserie, écoute la nounou du mercredi qui ouvre la crèche stupéfiante des fantaisies sucrées. L’enfance gourmande s’éclaire par petites touches. En 3ème, la saturation l’emporte. Foin de la scolastique, ses parents l’encouragent à «
faire quelque chose, autre chose ».
Or, une passion parallèle, une ville souterraine l’anime : la musique. Au Collège, il crée un groupe de hard. Ce Fan des Stones, dingue de Motörhead, leader, chanteur, guitariste, se rue aux répétitions avec ses compositions. Une frappe dans le dur, graine épicée de rock star. « Téléphone » ou « Iron Maiden », un immense besoin d’expression l’emporte. La personnalité, dans sa fabrique subconsciente, opère un lien ténu entre cuisine et musique. Il exige un métier d’extraversion du style, d’invention de climats. Un imprimatur : la créativité. Une règle : ne jamais s’ennuyer. A l’instar de la musique, le chef partage, anime un groupe.
Hyperactif, ultramoderne, frais, Gilles Choukroun passe son CAP dans le CFA d’Osny (95). Pendant deux ans, ses professeurs s’esbaudissent devant le surdoué. Philippe Landrin, qui repéra en son temps Jean-François Rouquette (Park Hyatt), catapulte le jeune enfiévré chez Gilles Epié, au Café de Paris (Bruxelles). Commis, il intègre un élément essentiel dans sa compréhension du paysage culinaire. Il existe autre chose sur terre que des auberges d’autoroute servant du magret de canard et des pommes sarladaises. Plus loin, plus haut dans l’imagination, dans un chassé-croisé d’opéra, agissent des grands chefs, des brigades internationales hiérarchisées, tout un peuple des arts du ventre. Notre bel homme s’immerge ipso facto dans le trip gastro.
A 19 ans, entre 1984 et 1986, son regard mûrit au Petit Vatel, à L’isle Adam, aux côtés d’un duo de jumeaux inventifs. La jeunesse qui l’entoure promet. Ces ambitieux optent pour les classes bellifontaines et le service national au Cercle des Armées (75007). Au pas de charge, en 1988, l’énergique GC atterrit chez les Lorain à La Côte Saint-Jacques (***). En 1989, Jean-Pierre Vigato l’invite chez Apicius (**), il y découvrira une émouvante technique moderne. En mars 1991, le Relais d'Authou, dans le Perche, figure son lieu griffé. Impérieux d’en découdre avec les caprices ludiques de la vie, ses 24 ans cassent tout. Notre chef, à la vraie maestria, compose ses prime assiettes ébouriffantes : «
Foie gras poêlé aux pains d’épices, vinaigre de mais », «
cœur de laitue braisée au lait de concombre, glace yaourt » ! Une micro révolution dans la langoureuse compassion médusée de son horizon générationnel.
Des partitions dignes de Deff Lepard, une rupture inouïe, une complexion d’auteur qui puise loin dans la mémoire gustative et olfactive. Gilles Choukroun, en homme d’avant-garde, entrepreneur amoureux, trace, perçoit, presque avant tout le monde, le lien intime entre la gastronomie et l’entreprise, la cohérence d’une aventure, la construction méthodique de l’identité d’une marque. En 1993, il enfante la « La Truie qui file » à Chartres avec douze personnes à bord. Le macaron tient dans sa main. Ce dernier suggère un autre schéma économique du restaurant, un travail sur l’image, une écoute de la demande locale. La chaleur s’inscrit au cœur d’un réseau. Une seule cuisson préexiste à des univers d’altérité. Le deuxième macaron approche mais le temps déleste et les investissements lestent.
En 2001, le « Café des délices » voit le jour rue d’Assas (75006). Cet endroit minuscule, cosy fait date. Il renverse toute la catégorisation classique de l’imaginaire de bouche : le mouvement du voyage magnifie l’assiette, les saveurs s’entrecroisent, les couleurs renaissent loin de la «
fusion food ». Un futur modèle de restaurant s’inaugure : un seul chef, peu de personnes en salle. Un univers de goûts s’expose, la curiosité explose : «
les saint jacques et boudin noir au cacao et balsamique ». Cette logique impose des manières de consommer des matières de vie, raconte une histoire incandescente des généalogies culinaires, une structure narrative. Un plat avoué réussi tourne à l’émotion violente, la douce ritournelle, une sérénité peuplée, un message au reste du monde.
Gilles Choukroun, un tendre malin, un affectif récréatif, un intense trouveur de trouvailles, écarte les plats qui ne racontent rien. Il distingue un met éclos de «
techniques de gestes » d’un plat surgit de «
techniques de goûts ». Flâner dans la rue Montorgueil (75002), sentir les fruits exotiques du Marché des Enfants Rouges (75003), accumule autant de sensations poétiques, d’émotions formelles, de rapports de textures de goût que la tomate farcie, concentré d’une paysage enfoui dans l’émoi ébloui de la succulence.
« Générations.C » provient, en novembre 2004, d’un coup d’orgueil à la lecture d’un article d’Arthur LUBBOW dans le New York Times. Le célèbre critique étrille Marc Veyrat en arguant que la France, eu égard à l’Espagne, ne produit plus rien d’original. Au Festival de San Sebastian, cette année-là, les Espagnols proposent effectivement une conception inter et intra générationnelle. David Zuddas et notre lisseur de frontières engagent, non sans humour, une association transformée en mouvement. Générations.C fédère, aujourd’hui, plus de 80 membres dans tout l’hexagone. Elle facilite la communication globale sur les métiers de la restauration en répondant, par une pratique individuelle, à un enjeu collectif : partager, échanger, évoluer.
Dans le tissu flamboyant de leur diversité, ces jeunes talents avancent des concepts homogènes pour un métier hétérogène. En 2008, le nouveau bureau se concentrera sur LA CUISINE, interne et externe. Outre la volonté de rajeunir les équipes, de transmettre un savoir, ses recherches porteront sur la dynamique des mutations du public. Gilles Choukroun, au vrai, pense l’avenir ( finger food, street food, self à la française, foodis free style, « Miam/Oh ! » pour reprendre la juste bipartition de François Simon ) par les leçons de l’expérience articulées aux anticipations de l’expérimentation pour mieux poursuivre la pérennité du métier. Fidéliser, régaler en respectant les métamorphoses des modes sans jamais les suivre ni les poursuivre.
En maître Zen serein, il rencontre le client, mieux l’ami, qui joue la clef de voûte, en captif amoureux, en inventif accélérateur. A bien le regarder bouger, Gilles Choukroun invente un style, se comporte en artiste, en musicien, en chanteur de folk, un Goldman romantique dans sa course contre la montre.
What Else ? La cuisine, droiture d’un regard intérieur, comme soudain une musique sourde, tranchée, présente, presque obsessionnelle, nous plonge en pleine mer, dans les cordes nouées de nos commencements.
Voir le Site de Gilles Choukroun
http://www.gilleschoukroun.com
MBC - Gilles Choukroun
4, rue du dabarcadère - 75017 - Tel : 01 45 72 22 55