Parmi les elfes armoricains se faufile, à Guer, un Sirius, le 21 janvier 1991. Les grands-parents maternels, fondateurs des établissements LE VILLO, première fabrique bretonne de galettes fraîches, s’illustrent déjà. En 1972, à 22 ans, la mère récupère la manufacture, ouvre une crêperie bien nommée « L’Art et la Manière », transformée, en 2001, en bar-bistrot. A la dizaine, le môme ne brûle pas vraiment pour le rôle malgré la renommée familiale : « Mes parents envoyaient des cotes de bœuf frites, ne s’octroyaient que le lundi pour manger ailleurs en tête à tête ».
A huit ans, le costaud acnéique joue de la batterie, jazz manouche et rock, peint ses toiles seul dans son coin : « La musique comme la cuisine est une activité artistique et créative dont la reconnaissance ne passe pas par l’école. Il faut répéter, être précis sur les gestes, jouer un morceau, puis un autre pour soi ». Le courtaud adore se délecter, tout de même, de la formule déjeuner chez sa grand-mère maternelle qui bichonne son café-épicerie dans le village. Le cheminement écolier vire à la ronce buissonnière.
Contre toute attente, l’éconduit de quatre collèges successifs épate lors d’un repas dominical par une vinaigrette arrangée au sésame et jus de citron en guise de blague potache à ses frères. Tout le clan se pourlèche : « mes parents aimaient vraiment bien manger, ils partaient peu en vacances mais dînaient dans un étoilé par mois ». Saisi d’un « sentiment de fierté », en 2005, un placide dimanche, le préadolescent ouvre son ciel. Les flâneries au potager grand-paternel, une mère admiratrice des grands chefs et des métiers de la chère, un père garagiste puis enseignant le poussent vent dans le dos.
En 3ème découverte des professions de bouche, à Rennes, au Lycée Louis Guilloux, le garçon s’éclaire. Au CFA de Ploufragan, dans les Côtes d’Armor, le meilleur apprenti de Bretagne se met en selle. Il s’imprègne, toutes ses fins de semaine, au restaurant d’origine, des arts et de la matière. Il tente tous les classiques des environs, d’abord en salle, pour ces visages radieux et le tour de table du chef, puis dans les paysages culinaires. Il entre de plein pied, en 2007, dans le haut goût, chez Gérard LE GUEHENNEC, à Rennes.
Ce personnage aux moustaches affûtées, éleveur de pigeons à ses heures oisives qui réinvente la tradition bretonne à l’aune de l’influence méridionale à la Baumanière, lui inocule le feu. La cuisine le cheville au corps : « ma patronne, après sept ans, de médecine, avait tout lâché pour rejoindre son mari ». En 2008, il officie auprès du très breton Christophe HARDOUIN, 31 ans au même poste, au CASTEL CLARA, Hôtel 4* à Belle-Île. Dans ce simple séjour, il se grise du luxe du Relais & Châteaux, nappage gastronomique, constance métronomique de la bistronomie.
Le plongeon dans le grand bain advient à l’Assiette Champenoise, chez Arnaud LALLEMENT***, à Tinqueux. Par-delà l’excellence, Baptiste DENIEUL conserve un souvenir ému de ce passage : « On commençait à 6h30 et on finissait à 1h ». La même année, l’ambitieux néophyte pénètre au Youpala Bistrot, à Saint-Brieuc, chez Jean-Marie BAUDIC*, le mentor branché révélation de l’année. Cette animée singularité engagée le marque par son art du coup de colère dans un dé à coudre, lui enseigne paradoxalement, dans la « violence de l’expérience », le calme, la maturité alignée d’un art de vivre briochin.
En 2010, le bouillant flegmatique s’ancre au Bretagne, dans la maison iconique de Georges PAINEAU**, un maître en tous genres : textures et substances, érudition de la boulangerie aux desserts. Avec Jérémie LE CALVEZ*, son second, il reprend le flambeau afin de parfaire son apprentissage des infinies subtilités des synchronismes terre et mer. En 2011, l’inassouvi aborde l’école ducasienne, avec Christophe MORET** chez LASSERRE. Il y rencontre Omar DHIAB* et Bérengère LOISEAU, embrasé par ces lieux fabuleux qui forgent de vrais cuisiniers : « Hors de tout ce que je faisais, j’ai tout réappris à la perfection, il n’y avait que des exceptions : Claire HEITZLER, meilleure pâtissière française du moment, Antoine PETRUS, MOF directeur de la restauration, Matthias MARC*. Des classiques, les jus, les pigeons André Malraux ».
En 2012, il accoste au Bristol, auprès d’Eric FRECHON***. Là encore, une brigade de rêve l’attend de pied ferme : « Sur les 14 du soir, 13 sont étoilés aujourd’hui. J’ai été impressionné par un grand chef modeste qui savait s’effacer, déléguer, mettre en avant nos essais. Un sous-chef pouvait signer un plat à la carte ». En ce temps exaltant, Baptiste DENIEUL dîne chez Bernard LOISEAU*** avec ses parents. Après cet éblouissement, il s’immerge tout de go dans sa chambre d’hôtel, pour lire « L’envolée des saveurs », premier ouvrage du célébrissime charismatique. Un éclair survient : « Mes parents voulaient vendre. Je décide de m’installer à 22 ans à l’instar de l’enthousiaste de Saulieu. ».
Malgré une proposition de Daniel HUMM*** au Eleven Madison Park, à New-York, le fils de Brocéliande regagne, en propriétaire, son village natal, Guer, en 2013. Il dévoile la Maison TIEGHEZ, qui signifie « famille » en breton, en lieu et place de la table parentale. Le jeune talent Gault et Millau 2015 aligne d’emblée sa consécration à 25 ans, plus jeune étoilé de Bretagne et de France. Son identité culinaire instantanée cristallise ses expériences structurales à la profonde compréhension des ancrages d’un territoire.
Affirmé, perceptif, attentif aux tempi, toujours en quête d’intentionnalité, le trentenaire monte, aujourd’hui, en acuité avec une empreinte stylistique identitaire de « vraie cuisine campagnarde haute couture qui amène des bases classiques généreuses ». Son questionnement se transforme : « Qu’est-ce que manger celtique ? ». En Brocéliande, l’étoilé vert 2021 suscite une généalogie historique au pays des terrines, des pommes de terre sautées, des pressés, des plats froids de charcuterie.
La contextualisation de l’imaginaire de la provenance élabore une nouvelle pensée : « Le poisson n’a aucun sens mais cuisiné ici, il se traite différemment ». Dans son lieu aux espaces fluides tel un luxe de simplicité, sa volonté de passeur d’émotion et d’architecte de l’âme de sa sincérité dialogue avec les ressentis des convives. Condimentations complexes, délicats équilibres, gravitation de la sauce répliquent au « bonheur de l’erreur, de l’échec, du défaut, de la fatigue » dans sa clémente humanité avec sa remarquable équipe de salle.
Baptiste DENIEUL recherche l’extrême précision d’une sauce vinaigrée, le plaisir d’une Saint-Jacques vivante ou des haricots frais de son jardin. Sans maîtriser la lacto-fermentation, il ne pousse pas trop loin le goût : « J’aime la douceur, le sous salé, le sous poivré, je préfère les caresses aux fessées ». Loin de la spectacularisation d’une cérébralité expériencielle qui nous éloignerait du kaolin du kairos, le Chef de la TIEGEZH amorce sa balade celtique avec le bouillon auroral de sa grand-mère.
Dans son potager, derrière son havre villageois, il cuit ses agneaux de lait entiers au four en terre cuite et ses brioches au feu de bois. La pomme de terre fumée et le caviar royal lisent la bonté d’une béarnaise aux herbes du jardin. Le poulpe, pied de cochon et condiment, dans une sauce froide au raifort, peaufine une biscotte charcutière anoblie par un singulier jeu de mâche dans le cache-cache des textures. La pêche de ligne respectueuse magnifie l’artichaut dans une vinaigrette chaude printanière.
Le homard grillé au feu de bois s’entoure d’aubergine dans un sabayon beurre noisette. Le bœuf breton mijoté au sautoir et praliné de champignon guérois se mire dans le jus de ses sucs. La délicatesse des fraises à la vanille surmontées d’une crème anglaise lyrique baptise les gourmandises au café, mousse cappuccino. Un rêve, une étape et une proche institution au pays de Merlin, l’enchanteur enchanté.