Sis dans un lumineux village cerné par la sylve, Salles, où l’hirondelle sourit au babil de la reinette en terrasse arborée, sur les rives du Cérou, petit affluent de l’Aveyron, et de ses flegmatiques marronniers, Patrice GELBART, extra révélation, ultra émotion, cartographie la trop humaine liberté gourmande de son pays intérieur embrasé par la vie, pétri de la présence envoutée d’un charpentier résistant. Radicalité transparente de la matière, clarté hallucinée de l’accord, autorité percussive des escortes. Un grand maintenant, simplement possédé, à la picturalité de fleurs sauvages, à la nudité de jeunes herbes, entre rencontre identitaire enracinée et quête envoutante des altérités solidaires.
L’orfèvre des soixante tomates collector pousse le 25 novembre 1971 dans la campagne toulousaine. « Une enfance bercée par le potager des grands parents maternels». L’interprétation du monde croise déjà la médiation de l’aventure. Dans ce lien terrestre d'aplomb, dans ce nuage au pot au lait de vache, la métamorphose légère du produit fascine. La mère, étonnante vendeuse de laine, « capte » la gastronomie par la conserve estivale maison. « Mon père lyonnais, un grand gourmand, découvreur de produits ». La maman, originaire de Saint-Estèphe-de-Janson, poursuit l’infinie rêverie des repas familiaux provençaux. « A 10 ans, je plonge dans les livres de cuisine, la bouche m’attire. Je créai tout le repas. Cuisine en vrac ». Penchant précoce de recevoir et de cuire, sentier studieux chaotique mènent tout droit à l’Ecole hôtelière en 3ème. A Souillac, notre mirliton en jachère caracole en cacique du lycée. Ses paupières se décillent.
Avec sa mère, à Toulouse, en 1993, à 22 ans, l’enfant de la région du grès ocre-rouge ouvre un minuscule bistrot : « Saveurs de Provence ». Foudroyante, « cette sacrée bouffe du midi », anime le quartier Arnaud-Bernard. Dans son envergure autodidaxique, son hérétique humanité, notre insoumis beau tain « envoie des sardines ». Non pas une ombre mais un style. Non pas un chemin mais un cheminement de connaissance de soi. Face à l’effroyable rigueur, en proie au doute fertile, Patrice GELBART, entre timidité et féminité, prendra deux années de réflexion. « Je n’ai aucun regret de ne pas avoir fréquenté de grandes maisons. Certes, on perd plus de temps pour parvenir à ce que l’on veut mais on est plus serein pour évoluer ». A 27 ans, en 1998, pour « défendre des idées et des valeurs », notre sallois d’adoption saisit la gérance d’un bar de village, « une tâche plus qu’ardue ». La « clientèle difficile » prise peu l’étrange étrangeté du haut-garonnais hébergé « avec la fourche ».
En salle, un ami d’enfance, aujourd’hui ex-beau-frère, le tonifiant Stéphane CARRASCO, construit un monde joyeux avec des partenaires humains et responsables. Les liens du clan, la «famille à fond», tissent une confiance immédiate. « Par une cuisine simple, j’essaie à régaler. J’aime à boire, j’aime à manger ». Les liaisons enchantées entre le vignoble du gaillacois et les ouvertures affectives racontent une attention environnementale, le souci de la res publica. Notre homme du village des fêtes occitanes soupçonné d’hérésie cathare en 1213, creuse la filiation avec chaque artisan. Derrière un produit, un visage apparaît pour « donner des ressources aux gens qu’on aime ». Jambon de cochon sauvage, graines de courge torréfiées, chips de vitelotte. Toute une concentration des vertus sensibles de la délectation : exister et pratiquer, offrir du débordement. Saine et créative, respectueuse de la nature, cette cuisine d’émotion d’émois libère notre souffle d’intériorité.
En résistance digne de Françoise Proust, cette signature implacable ne commet pas de fautes de passe, ravive la suavité aromatique de la tomate, la curiosité florale des plantes du jardin. « J’ai peur de la perte de la diversité du goût ». Sa syntaxe ne magnifie en rien le sud-ouest, érige les poissons et les Orients. « A l’intérieur, inexplicable, une psychanalyse du présent, de l’instant. Une généalogie italienne, espagnole, la méditerranée ». L’incorruptible combat puis milite. Il lutte avec AGITARN, une association de chefs tarnais ( Guillaume SALVAN, Bruno BESSON, Marcel MEYER, Simon SCOTT, Franck AUGER, Cyril CUBILIE) impliqués dans des actions humanitaires pour les enfants, le Téléthon, le Secours Populaire Français. Sa cuisine écarte nos branches pour laisser passer le soleil, le vol libre de l’oiseau. Franchise des saveurs, ambition de l’humilité. Sans mensonge, la Gastroberge du hameau des tailleurs de pierres défie le concept coutumier de restaurant.
« Aux Berges du Cérou » ne délimite pas un lieu d’accueil, une salle à manger idéale mais présente bien un espace « sans prise de tête », une expérience à vivre « sans coincer » pour rompre avec les rituels caduques du catéchisme de la chair. « La cuisine n’est pas de l’art ». Tranchant, radical, riche des rencontres passées, empli de ses chances inouïes des espaces possibles. Une solitude archi peuplée, une solidarité, un tissu dans la difficulté. Aucune affinité avec des maîtres sauf « the mentor : Michel BRAS ». Un lieu singulier, entrelacs de passé et de présence, enchainements évolutifs, histoire et féérie. « La création d’un plat, je ne sais pas comment elle surgit, une avalanche. Une bousculade. Les plats arrivent avec plusieurs histoires ». Dans le Wittgenstein du Tractatus, le monde arrive logiquement. Les narrativités emboitées, jamais les mêmes, tombent juste, ne s’arrêtent jamais. Work in progress. « Les plus grands plats sont toujours oubliés », sans notes, sans croquis, pour vivre de l’instinct dans « du live ».
La part d’ombre de la dépense chère à Bataille plisse des jardins secrets. Notre tendre garçon du village des voussures et des têtes mitrées, des mains tenant crosses, revendique l’art roman des harmoniques sans machines, sans la fin du monde. Dans cette œuvre de l’état d’esprit, la cuisine nous accorde et s’accorde. L’amour du partage scelle le partage de l’amour, la clairvoyance de l’accord résonne, impossible à reproduire. « La musique se casse parfois » mais la complicité salle-cuisine, sans guerre, invoque un navire qui va, une équipée. La topique utopique de Patrice GELBART impose un esprit des ombres, une incandescence du silence, une famille enfin réconciliée. La concordance des nourritures célestes et terrestres aimante la grande santé. « J’aime flairer la vie, les rencontres, la musique, les copains, pour créer ». Avec son rire de roi perdu, son gambit de la dame, les hautes émotions du barbu de Salles se situent chez Inaki AIZPITARTE ou Benjamin TOURSEL.
Exact contemporain en joute pour le bienêtre, en cheval dans la bataille, Patrice GELBART approche la nature des bourgeons, le végétal des fragrances d’altérité. Contre le « no food », pour la voie du respect, il ose avant tout des essais de cuisine dans les passages escarpés de la transfiguration : Pied de cochon pané façon ravigote, encornet poêlé, gaspacho de pommes, gingembre, piment d’Espelette, terre du sud, fleur de sauge, thés des jardins, roquette et moutarde. « Heureux et triste à la fois, je prends tout dans la gueule, des souvenirs me prolongent. Une joie mélancolique du moment. Ce serait un malheur de se priver de toutes les émotions pour cuisiner. Manger pour se nourrir : un crime ! La sensation gustative dévoile un acte méta physique, une projection qui transforme le mangeur dans sa sensation ». Regardez plutôt : carpaccio de bœuf, hareng, huître, artichaut, suc carotte orange, caperon, asperge blanche et plantes aromatiques, oseille de Belleville, choux chinois, variétés de moutarde, fleur de ciboulette, feuille de capucine.
Là affleurent les tempi de notre adulescence, ici palpitent des flaveurs tranchées, violentes et douces de la perturbation composée. « Chaque produit mérite un sort ». L’intransigeant s’amuse avec l’histoire de notre mémoire. Endiablé, vivace, il sait que la vérité ne surgit pas de l’erreur mais de la confusion. « La mise en danger crée le hasard magnifique, la part de l’exceptionnel. Les jeux du lego ». Son travail sur le cru nous verse dans notre tournant de civilisation. « La table ne se perdra jamais tant que la bonté, les familles feront des repas ». Gestes inaccoutumés, rituels instinctuels, par une sorte de langue sans langage, l’ambassadeur de Michel ISSALY attise son goût de la forme et son sens du détail. Légumes croquants, choux blanc, haricots mange-tout, foie gras cru, haddock fumé, pimprenelle et bouillon de jambon.
La cuisine passe au travers des larmes, avec justice et justesse, « au moment », une adéquation des liaisons. Sacrée gastronomie. L’aliment, incorporé dans la réflexion du corps et des paysages, à l’orientale, brûle les yeux d’équilibre des sens, entre la virgule et le silence. L’indicible jubilation intime du « lâcher prise » déplie une montée émotionnelle incontrôlable, en bouffées délicieuses. Ce fil invisible pelote la nuit entre l’humain et le plat, l’usufruit infime du tragique face au tempo. Les oiseaux émerveillent Patrice GELBART. A l’image de la cuisine, l’ornithologie exige une patience rigoureuse, un égarement rationnel, la concentration dispersée de l’observation taxinomique. En sage agité, il pense Omar Khayyâm : « Alors demandes-toi si tu as raison de te réjouir de ce bonheur qui t’arrive ou de te désoler de ce malheur que tu n’attendais pas.».
Inquiet et méditatif, détaché et empathique, l’amateur du cru fidèle à Virginie et Patrice LESCARRET froisse ses condiments, dépose l’esprit de sel au thé vert sur ses schistes. « Je préfère galérer et faire des rencontres qu’être riche et con ». Personnalité aimante à la décision d’écorché vif, notre membre de Générations.C nous plonge dans la cognition d’une perspective, la malice d’un particularisme de l’universel. Sa musicalité devine la frontale évidence du tendre ravissement. Enfoui dans un horizon mais joueur en cavalier seul, l’ami de Bernard PLAGEOLES partage son ouverture avec altitude et générosité. Cette rébellion au cœur du Tarn, cette manière étonnante tendue vers les mangeurs du siècle neuf ravitaille les sources vives contre le gastronomiquement bienséant de la morbidité.
En troubadour du désamour, Patrice GELBART nous clame son innocence de façonneur transi, renverse les truismes de pacotille, écarte le gouvernail des effets. Racines, rencontres et cultures ; voici peut-être la triade de la poignée de main sans trahison du copain de Sylvie et Thierry BOLMONT (La Ferme de Quyvie), un chef inespéré à la noblesse toute politique. Dans ce mouchoir d’escarcelle des cuiseurs qui bouleversent nos habitudes de guéridon, nos reflexes de dégustation, l’émotif défenseur de Laurent CAZOTTES possède la différence entre mort et disparition. Malgré l’approfondissement de l’ancrage, en dépit de l’amélioration des référents de vie, le succès tarde. Partageons la joie excitante de la découverte, rendons hommage aux éclaireurs respectueux de leur biodiversité, encourageons fermement les précurseurs à poursuivre le fébrile travail de leurs tentatives : Framboises, eau de poivron, bergamote confite, glace safran, basilic. Ananas confit, crème avocat glace chèvre émulsion coco wasabi, olives noires.
Ils arborent des jeans de bad boys mais ils font les meilleurs garçons du monde, affichent des barbes over bobos mauvais genre mais ils souffrent de devenir des anges, portent haut le renom de leurs vignerons-amis qui cultivent leur naturel. La terre primera le firmament, la dolce vita les bottins mondains. Faire de sa vie un objet d’art éblouira la course.
Photos DR
Ce Portrait a été publié pour la première fois le 4 juillet 2010.
Ancienne adresse :
AUX BERGES DU CEROU - PATRICE GELBART
rue du Pont - 81640 Salles - Tel : 05 63 76 40 42
NOUVELLE ADRESSE depuis fin Février 2012 :
YOUPI ET VOILA
8, rue Vicq d'Azir - 75010 Paris - Tel : 01 83 89 12 63