Au pied des Vosges, à Fougerolles, dans cette vallée aux terrains triasiques, région de prédilection de la cerise à kirsch, le 20 novembre 1975, se présente un bon enfant solide. En ce lieu rude et profond mais humain de la Franche-Comté, aucune forêt noire ne se conçoit sans griotte. Le village des guignes étale toutes les richesses brutes : « En homme de la terre, j’ai tout appris sans le savoir ». La grand-mère paternelle ne passera jamais le permis, elle élève ses volailles dodues, ramasse ses œufs frais à l’heure des poules choyées, trait son lait à même le pis des vaches.
Une rangée de pommes de terre va aux cochons, les carottes dans le potage. Ses lapins clapissent en autarcie, les ovidés scrutent l’immarcescible maïs peupler les champs. Le petit garçon se forge un patrimoine gustatif surgit à la fois de la joie solaire du produit sous un climat sans soleil et des valeurs inculquées dans la transmission de l’amour de la beauté. A sept ans, le séraphin des cerisiers savoure : « j’ai le souvenir des odeurs du poêle à bois, de cette fin de déjeuner où commence la préparation du dîner, des cousins et des six enfants attablés dans une fraternité ».
Dès lors, le poussin handballeur accomplit tous les travaux avec son père, repreneur de la ferme; arrachage et séchage des oignons notamment, encore un puissant arôme. « Un oignon pousse, se conserve, s’épluche, le cycle de la vie, des petites choses si essentielles ». Seul le poisson dit noble défaille au biotope de cette terre rêche mais la carpe et le brochet au vin blanc de grand-maman, magicienne de l’ignition, mijotés tranquillement au four, font merveille. Nonobstant ce trampoline du jardin de sa jeunesse, filant une scolarité classique, en troisième, il ne souhaite surtout pas devenir cuisinier.
En 1991, par « un hasard de circonstance » qui métamorphose la morphologie d’une traversée, il troque, sans délai, son habit de collégien pour un poste d’apprenti, doublure d’un ami blessé au doigt. « J’avais de l’énergie, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie mais je sentais que ce boulot me plairait avec ses interactions sportives, le service, les parfums, les sens, la transformation d’une matière brute en dressage beau et bon ». L’adolescent footballeur, en six semaines, charme le maître du « Relais 19 », à Vesoul, qui lui propose presque la conduite totale de son restaurant.
« Du semi-gastro avec un chef gâté, ancien de l’Oustau de Baumanière, diplômé de l’école hôtelière de Strasbourg, une expérience utile ». Les bases vite avalées et le CAP avalisé au CFA de la ville, le trépidant vosgien rêve d’un établissement étoilé de montagne. Ses parents l’incitent dans sa fibre malgré les vibrations du baccalauréat. A 19 ans, à Moudeyres, à deux chaumières du Puy-en-Velay, le « petit cuisinier » file dans la brigade de Carlos GROOTAERT, Chef de l’ « Auberge du Pré Bossu », seul étoilé de Haute-Loire, réputé pour ses talents de sorcier saucier.
A partir de 1995, le rôtisseur en herbe s’instruit de l’œuvre artisanale des réductions, fonds, bouillons, glaces et autres demi-glaces. « Je goûte la clarté des sauces parfaites ». Le belge du hameau austère des longs hivers dans la neige suspendue aux charpentes tressées de cloissoux de paille de seigle, use, en précurseur des locavores, de toutes les ressources voisines : herbes, champignons, brimbelles, fraises des bois. « Tout ce que j’avais vu dans mon enfance se transformait devant mes yeux ». L’entente joviale ne suffira pas.
Le tennisman accompli accélère dans les Alpes, chez les meilleurs. En 1996, Maryse et Michel ROCHEDY l’accueillent, au célèbre CHABICHOU**, à Courchevel 1850. « Une maison exigeante, une clientèle spéciale, du volume en gastronomie, une cuisine de station de ski, humaine et dure, avec des personnages haut en couleurs, sans cesse entre l’embrassade et l'engueulade ». La vie quotidienne d’une grande brigade enseigne, tout de même, bien des expériences décisives : la texture de la viande, la magnificence du garde-manger, la cuisson du poisson - entier, vapeur, unilatérale - poste auquel le vaillant vésulien s’attèle pour les feras et autres ombles chevaliers.
Une philosophie de la gastronomie se dégage : ne pas gâcher, conserver les beaux morceaux pour confectionner des ballottines avec les ouïes des vertébrés aquatiques. En 1997, le lecteur assidu du Thuriès Magazine effectue son service national au mess des officiers de Salon de Provence. A 24 ans, aux entremets, il vit, ensuite, le passage euphorique de deux à trois étoiles chez les Frères POURCEL, au « Jardin des sens ». Les avant-gardistes jumeaux de l’acidulé et du sucré-salé le transportent malgré le féroce éther des grandes tables.
Entre 2000 et 2008, direction les Etats-Unis pour voir du pays, à Carmel, au « Bernardus Lodge », où le futur bénéficiaire d’une formation en nutrition durable chez Michel GUERARD gagne rondement ses galons de « Chef ». Dans cette vaste structure où cohabitent un restaurant gastronomique, un bistrot français et trente chefs de six nationalités différentes à diriger, l’expérience marque. Sensible au contexte, l’homme de l’Est sculpte ses légumes à la mode américaine dans l’idée de la grillade au feu de bois. En 2009, il saute dans la prestigieuse « Auberge Carmel », magnifique « Relais & Châteaux » en Californie.
Les récompenses pleuvent : « Top Ten New Restaurant 2009 » au Guide Gayot, 28/30 au Guide Zagat. En 2010, à l’occasion de vacances au pays basque dans la maison de sa belle-famille, il craque pour la majestueuse demeure du Château de Brindos, à Anglet. « J’avais fait mon trou aux Etats-Unis mais je voulais cuisiner, ne pas jouer l’aboyeur, ni les tableaux Excel ». Serge BLANCO, le propriétaire des lieux, le séduit. « Je ne voulais pas monter mon affaire mais faire une carrière dans de grands hôtels où on voit tout, on fait du banquet, du mariage, du room service, comme une famille à faire revivre ».
L’étoile tombe en 2013, au bout de deux ans, après un travail acharné. « Je ne parlais plus français, j’ai dû réapprendre, rencontrer tous les petits producteurs des marchés locaux ». En mai 2015, un nouveau défi survient, l’ouverture de « L’Océan », le restaurant du « Grand Hôtel Thalasso & Spa »***** de Saint-Jean-de-Luz. Avec ses cinq menus différents sans gluten et sans lactose, l’auteur d’une carte « kids snacking » (8-12 ans) élimine le corps gras, regagne sa bonne étoile bien méritée en 2017. L’amoureux de la minceur et de la vitalité tempérée, face à l’océan, regarde les paysages de l’arrière-pays, rencontre les hommes des fermes.
Au fourneau tous les jours, un dialogue permanent se noue avec la nature dans des assiettes techniques mais également des plats très cuisinés emplis de l’émotion des sauces. « Je suis un jeune chef qui a appris avec des vieux, c’est ma force ». La bonite tout juste snakée s’allie à un légume compressé au vadouvan. Les huîtres Gillardeau Marennes-Oléron, encapsulées dans leur eau rehaussent le cresson, végétalisé au pain de seigle délicatement beurré. Le chipiron du Golfe de Gascogne, calamar au risotto de pomme de terre reconquiert l’émulsion de beurre d’algues Bordier.
Les ormeaux de Bretagne, façon meunière, en raviole de salicorne, trônent sur un jus acidulé à la tomate séchée. Le turbot de la côte atlantique, rôti sur l’os, repose sur de l’asperge blanche, du jambon ibérique, trompette noire, sabayon au thym citronné. Les rares cailles des Landes de Pierre DUPLANTIER, farcies aux abatis, entourées de pomme grenaille, petits pois et morille, fondent dans un exquis jus de presse.
Les issues, face aux nuages orangés de la terrasse qui plonge sur le rêve océanique du grand large, ne s’avèreront pas fatales mais légères comme un soir de méditation infinie où une nuit sereine vous enveloppe : « Framboise d’Aquitaine, tarte déstructurée, « guimauve » à l’hibiscus, crumble citron vert, sorbet framboise et hibiscus », « Chocolat Madagascar, chocolat noir, coing, poire, glace vanille et truffe ».