MOF 2007, vésulien portugais, judoka handballeur, attaché aux valeurs respectueuses du travail distinctif, Jean-Luc ROCHA relance les dés étoilés du Club Saint-James, le plus singulier des Hôtels parisiens.
La famille prend sa source à Sintra mais donne au monde un gaillard à Vesoul, le 6 février 1977. Tout s’avère de rigueur, le climat d’abord. Comme par une force contraire, les vésuliens rayonnent de vraies valeurs : bonté des terroirs, partage des moments de convivialité, aides et entraides fondatrices. A 4 ans, le petit garçon s’attable avec ses cousins boulangers dans la générosité, l’amour et le partage. La fratrie aime l’acte de donner et de recevoir. « J’ai toujours baigné dans cette ambiance-là, le travail dans l’excellence, faire bien et faire plaisir ».
Le père officie dans l’ébénisterie, son équipe comprend déjà trois MOF. La comparaison avec la cuisine ne s’arrête pas là. « On part d’une carotte, en jus, découpée, en purée. On part d’un arbre pour en faire une planche et un meuble. Les deux arts se touchent ». Jusqu’à 14 ans, le handballeur en équipe de France, judoka en herbe, ne rêve pas d’un nuage précis. A 16 ans, le seul homme de la lignée choyé par ses trois sœurs, poussé par des oncles hôteliers, choisit l’appel de l’alimentation. En troisième, il caracole en tête mais veut « bosser ».
Il enfouit les deux mains dans le vrai goût des mets. « On recevait beaucoup, je prenais plaisir à accommoder. Tous préparaient, ensemble, à la maison. Je me souviens de la tarte aux pommes dominicale de mon père : une pâte brisée avec du bon beurre, des fruits du jardin. Une émotion dingue, ultime, un battu à l’alsacienne, trois ou quatre centimètres d’épaisseur, parfaitement bon, pas trop sucré, bien cuit, caramélisé. Ma mère s’occupait des plats plus cuisinés, travaillés ou traditionnel. Son bourguignon, juste du bonheur ».
Une passion pour le sucre affleure. « La pâtisserie tient une place importante dans un repas, c’est une vraie école. Mesurer, peser, en précision et régularité. Je n’explique pas cette importance des desserts mais, à la maison, c’était un moment crucial, la part entière d’un repas ». La morue se goutait aussi à toutes les sauces, la cataplana suivait. La famille maternelle possède la seule station de ski du Portugal, la Serra da estrela, au centre du pays, ainsi que l’ancien sanatorium de Covilha, converti en hôtel de luxe. Des voyages qui sculptent une adolescence.
Le sport intensif forge également les valeurs d’un caractère culinaire. Arrière gauche et ailier droit dans l'équipe de hand-ball de Besançon, judoka catégorie lourd, boxeur adepte de l’aïkido, Jean-Luc ROCHA emmagasine des visions d’existence : savoir poser des limites en permanence, acquérir un mental dans la solitude, jouer en équipe dans un contexte violent. Le partage des valorisations et la valeur du partage. A 16 ans, les hostilités commencent, dans le cadre du premier stage en lycée hôtelier, au « Feu Follet », à Mougins Village. « Pas d’états d’âme, des horaires infernaux, une masse de travail à donner ».
Gilles BLANDIN, père spirituel du métier, le pousse, l’appelle à réfléchir et réagir. « C’était un vrai gagnant, des apprentissages quotidiens ». Dans les pleurs, donner un sens à sa vie par la voie professionnelle relève du talent de guide de haute montagne. Le bon faiseur au bon goût enchaîne les diplômes : CAP, BEP, Bac Pro, brevet de maîtrise, brevet de technicien supérieur. Un bagage empoché dessine toujours une issue.
En 2002, la rencontre avec Thierry MARX, à Cordeillan-Bages, marque sa vie. « Il a un capacité à faire grandir les gens, à faire avancer sans barrières, à rendre les personnes créatives ». MOF à 30 ans après une seule tentative, le solide second absorbe la connaissance de ses pairs, un état d’esprit puisé dans le sport de haut niveau. La philosophie repose sur l’authenticité du produit sans dénaturation, loin des mouvements de cuisine, dans la durée. « Vivre une expérience, ce n’est pas manger ». Avec le maître du Mandarin Oriental, « c’était un geste, un regard, un bras droit ».
Cas exceptionnel en France, entre 2009 et 2016, Jean-Luc ROCHA parvient à maintenir les deux étoiles au Château sis sur la commune de Pauillac. Du faiseur au créateur, dans le beau paysage bordelais, le fils et petits-fils d’ébénistes invente son identité culinaire avec son cœur et son âme, dans la libre expression de sa palette de couleurs. « J’aime le produit, la sauce, la texture. Au quotidien, le croustillant, le cru, le cuit et le moelleux se mélangent ». En 2017, dans un Club précieux, le descendant de pâtissiers-boulangers de Haute-Saône, identifie ses produits dans une balance justifiée entre le jus et le cuisiné.
« Je ne fais pas de cuisine d’assemblage. Je cherche l’harmonieux, une envie d’y retourner. La morue cuit avec ses tripes, au four, grillée à la flamme. Aucune cuisson sous vide, pas d’associations farfelues ». Les textures relèvent des signatures et des escortes, le dressage ne se paie pas de points ni de lignes graphiques. La matière, généreuse et gourmande, mijote, dans ses équilibres. L’émotion résulte des températures. « Il y a le bar, l’Hôtel, le restaurant, des clients particuliers, des esprits différents, un bel endroit où il faut faire bien ».
Entre le petit potager et la douce verrière estivale qui prolonge la salle à manger de la Fondation Thiers, après un moelleux de fraise apéritif du Cellier de Revigny, il y a le « Foie gras chaud en croûte de sésame et pavot pickles de légumes et confit d’abricot » et le « Velouté de pomme de terre aux huîtres et caviar d’Aquitaine » avant le « Moelleux de gambas rouges parfumées à l’estragon, fondue de poireaux, jus de moules émulsionné ».
Jean-Luc ROCHA relie sa cuisine à ce lieu cossu d’élégants rendez-vous champêtres au cœur du 16ème, où l’on aime à venir et revenir pour se sustenter aussi de « Petits violets en cocotte, jambon Porco Preto de Barrancos, huile d’olive de l’Ostal Cazes ».
Avril 2017