Dans une ferme sise à Mouilleron-en-Pareds, au sud du bocage vendéen, patrie de Georges CLEMENCEAU et du Maréchal DE LATTRE DE TASSIGNY, un papa facteur et une maman couturière accueillent leur bébé avec émotion le 11 septembre 1960. Dans ce canton de la Chataigneraie, pays de Fleury Michon, la colline boisée couronnée par des moulins lance une perspective. Au babil, un parfum de fête gustative flotte déjà dans l’air. Dans cette origine joueuse d’humble extraction agricultrice liée à la terre et aux valeurs familiales, l’enfant vibre.
«Je profitais d’escapades avec mes cousins pour aller traquer les lapins, cueillir les pissenlits, pêcher l’écrevisse dans les ruisseaux avoisinants, aux fagots de sarments». Les sorties avec le grand-père paternel, jardinier du Château de la Motte, encouragent encore davantage l’attraction charnelle pour le goût : piégeage de la grive en quête du discret mousseron d’avril, des cèpes et de la lépiote élevée, si propice à la grosse fricassée d’escargots petits gris.
Cette adhérence continuelle à la nature favorise l’adhésion aux grands produits même si «le père ne savait cuire un œuf et la mère était une modeste cuisinière». Dans cette famille simple du cœur historique poitevin, rien n’égale le plaisir de la préparation quotidienne du grand-père avec de la viande, les jours fastes. Dès sept ans, l’«illuminé» tient une seule certitude en sa créance : «Je serai cuisinier». A 12 ans, le rapide mouilleronnais passe toutes ses vacances scolaires dans le routier du bourg, « Le Cheval Blanc ».
«Je ne partais jamais en vacances, je travaillais à la vaisselle et les plus». A 16 ans, l’Ecole hôtelière de la Roche-sur-Yon lui ouvre grand les bras : CAP, BEP. En 1978, le «meilleur élève de l’école» termine «troisième apprenti de France» loin de l’univers feutré des grandes demeures et domaines. Or, en 1983, après avoir officié sous les drapeaux, il découvre presque par hasard un «Relais & Châteaux» magnifique, le Château d'ISENBOURG, à Rouffach, au poste de «Chef de partie poisson et viande» puis «Chef pâtissier».
Une autre rencontre fulgurante changera sa vie, celle de son épouse, stagiaire à la réception après un BTS Tourisme, avec laquelle il réalise aujourd’hui encore, main dans la main, tous les ornements de sa Loire. «Je travaille avec mon épouse». Le père d’un jeune architecte, excellent cuisinier amateur, explore alors les charmes de la côte vendéenne à «La Terrière» puis dans la Nord, à Ardres, au «grand Hôtel Clément». «Tout m’intéressait, je n’avais aucun apriori, je voulais voir ailleurs».
En 1984, le vif emballé se retrouve à Bergerac, au Cyrano*. Rien ne le passionne loin de son alsacienne. Serveur à Reichstett près de Strasbourg pour se rapprocher de sa belle, le couple participe à l’ouverture du restaurant du Château de MERCUES non loin de Cahors en 1985. La même année, un choc émotionnel marquera un tournant, un «dîner inoubliable», à L’AUBERGADE** : «Après une conversation infinie avec Maryse et Michel TRAMA, ils suscitèrent ma vocation». En 1986, le couple GIRAUD s’installe en terres ligériennes.
«La Loire, pas si loin de ma Vendée natale, j’aime la région, ses provenances, les ressources du fleuve et la ressource contemporaine». Après quelques mois, le «chef de partie viande» du Chef titulaire, Gérard HUMMEL, passe second, prend en charge tous les poissons, son épouse la réception. «J’aspirai, tout de même, à une place de Chef dans mon premier étoilé». En attendant, les voici à Collioure, à «La Balette», ballottés entre les soixante-dix couverts dominicaux et les pièces montées pyramidales des habitués.
En février 1988, après le départ du Chef «historique», le grand-père BONNIGAL, propriétaire de l’étoilé «Domaine des Hauts de Loire», propose le poste à Rémy GIRAUD pour un «sacré défi». En 1993, la deuxième étoile advient. Le «Meilleur Hôtel de France 2014» selon Conde Nast Traveller, accueille une clientèle internationale qui se délecte du gibier de saison sur une terre de chasse réputée : lièvre roux de Beauce à la royale selon la recette réinterprété du sénateur Couteaux. Pour les grands gibiers, du côté de Chambord, l’homme heureux affectionne le marcassin, la biche et le cerf.
Des petites forêts, en sous-bois, il prélève le rare perdreau sauvage gris. Dès le mois d’août, il bénéficie de la remontée des colverts au-dessus de la Loire, ce majestueux fleuve non pas sauvage mais vivant qui, avec son lit tressé, donne à ses paysages un air de jungle originelle. «Les bécasses et les petits oiseaux, c’est une journée de copains». Sur la route des vins, dans le cadre prestigieux des Châteaux et du Festival des Jardins de Chaumont, le 10ème Meilleur Hôtel d’Europe 2014, assorti de son restaurant double étoilé, présente une architecture fleurie à l’image des assiettes «féminines» qui restituent la densité picturale des abords.
Peu courant en France, la carte valorise les poissons d’eau douce régionaux : anguille argentée d’avalaison, alose, sandre, brochet, petite friture, carpe de Brenne et de Sologne. L’amoureux des fleurs comestibles de ciboulette, moutarde, capucine, issues de son jardin joue avec ce côté alliacé ou piquant qui hisse le plat dans des charmantes couleurs. Par-delà les assauts modernistes ou les soubresauts traditionalistes, par amour profond de son potager, le Chef manie les herbes aromatiques du matin clair, pimprenelle, feuilles d’oseille autant que les nouvelles variétés de fraises telle la «mariguette», mariage saisissant entre la «mara des bois» inventée par Jacques MARIONNET et la «garriguette», savoureuse précoce.
Des «flaveurs particulières» émanent également des 650 variétés de tomates cultivées par Nicolas TOUTAIN, jardinier du Château de La Bourdaisière, à Montlouis-sur-Loire. Formes, goûts, couleurs s’accordent dans un dialogue raisonné. «Il est du devoir d’un chef de valoriser le terroir et de s’en imprégner». Le professeur d’ateliers culinaires à l’Ecole des Beaux-Arts de Blois, futur animateur de l’école de cuisine des Hauts de Loire, expose la naissance du safran dans un contexte patrimonial.
Lisa LAMONTRE, hélicicultrice biologique, lui enseigne d’éviter la torture des escargots en les faisant jeuner et non dégorger. «L’animal ne doit pas souffrir». L’homologie récurrente entre les productions et l’histoire de l’art instruit ses jeunes étudiants avec lesquels il planche sur le mouvement Fluxus. Le dialogue avec Philippe BOISNEAU, autorité mondiale, docteur en sciences, spécialiste des poissons migrateurs, fertilise sa relation à la matière. Christelle & Stéphane NAUD, à «La ferme de la touche», exposent leur savoir sur les légumes biologiques.
L’incroyable longévité de notre épanoui captivé, serein ébloui, sa clandestine stabilité où le temps n’a ni prise ni emprise dans un ordre intact des passions, résultent sans doute de l’entente collaborative avec son épouse, de sa volonté de protéger le bien-être de ses deux fils, de l’osmose avec son binôme, second depuis 29 ans.
L’imaginaire culinaire au pouvoir, sa joie demeure : «Le plat provient d’un mystère, d’une odeur, d’un bruit, d’une conversation secrète avec mon épouse, d’une ballade au bord de l’eau». Sur le fil, la boîte à idées navigue dans le cerveau durant des années. «La saison parle, le légume guide».
La création, toujours contingente, procède d’une nécessaire sérendipité. L’évidence vient de loin. Dans «les petites subtilités» qui diffèrent, dans les accords de goût. L’odeur infusée diffuse la trilogie «verveine-citronnelle-fraise». Des instants de parfums survient la crème de pommes de terre, truffes, émulsion de poireaux. Dans un «tartare de langoustines», la coriandre thaïe surprend la gourmandise du gourmet. «Le bon manger, le bon boire, les architectes s’illustrent, des malades de bouffe». Des échanges croisés, filiaux, naissent des visions. «Nous sommes des points de suspension».
Au Brésil, aux Etats-Unis, au Canada ou même en Bulgarie, Rémy GIRAUD s’envole pour des dîners privés où il cuisine tous les meilleurs produits locaux. De ces expériences fulgurantes, de jubiler tout sourire : «J’introduis des influences bulgares dans ma carte». Au Domaine des Hauts de Loire, le Caviar arrive avec sa gelée de concombre à l'aneth, crémeux de yaourt et Saint-Pierre à l'araignée de mer.