PORTRAIT DE CHEF
ALAIN DUTOURNIER

Par Julia Sammut

Alain Dutournier a créé le Carré des Feuillants en 1986. Aujourd’hui, cette table deux macarons au Michelin est un havre de paix, une parenthèse landaise en plein cœur de la capitale. Portrait d’un chef qui vous donne une bouffée de terroir à deux pas de la Place Vendôme.

Passionné de tauromachie, Alain Dutournier, chef du Carré des Feuillants, a écrit la préface du livre de Richard Milian, un ami de coeur, un grand toréador. Son livre à lui s’intitule « Ma Cuisine ». Le premier. Il l’a écrit entièrement, après quinze ans d’hésitation : 280 pages de recettes bien sûr mais essentiellement des contes, des petites histoires pour perpétuer la tradition.

Dutournier a le sens du verbe. Il aime bien écrire, en rimes parfois, même s’il se refuse le titre de poète. Toujours empreint de sincérité, engagé, il se plaît à glisser des messages pour un combat pacifiste : la cuisine vérité.

Cet homme au look de toréador, cheveux poivre et sel tirés vers l’arrière, à l’accent discret et convivial, vous reçoit dans son lieu parisien. Un bar où l’on aimerait s’attarder tant il est chaleureux, une cuisine à vue et un patio orné d’une treille immense de 6000 feuilles de vigne et de figuiers, en taule, peintes à la main. Le Carré des Feuillants nous transporte au Sud.

Alain Dutournier est un latin. Il parle gascon couramment et lit même le Provençal. C’est un enfant du Sud-Ouest, de la Chalosse, né entre l’Adour et les Gaves, là où la végétation et le relief changent, là où on bascule dans les collines, les boqueteaux, les vignes, la Toscane française, là où la petite Auberge familiale s’enracine.

Non, Dutournier n’a pas fait la tournée des grands Ducs, des Bocuse, Troisgros, Pic et Chapel. C’est sa petite force comme il le dit lui-même. Une chance selon Michel Guérard : « complexé de ne pas avoir travaillé dans ces maisons, tu t’es battu ».

Une vraie bataille, c’est vrai. Après l’Ecole hôtelière de Toulouse puis son expérience chez Air France, il a 23 ans et demi et se lance à la conquête de la capitale, un voeu : faire sa cuisine à Paris. Il trouve un endroit « fort sympathique » qui lui rappelle la Province : « tilleuls et petit marché », c’est la Place Daumesnil. Pour obtenir un prêt dérisoire à la banque, ses parents hypothèquent l’Auberge familiale : toute une vie de travail. Son frère est persuadé qu’il gagnera son pari et pèse dans la balance. Et voici le Trou Gascon, son premier endroit, que son épouse a repris depuis.

De la petite Auberge familiale, Alain Dutournier retient avant tout un savoir culinaire : la cuisine de sa mère et de sa grand-mère l’inspire encore. « J’y pense toujours », dit-il, « comme une première base de sécurisation, le bon sens un peu paysan des choses de la campagne que l’on retrouve en Provence, en Italie, en Espagne, des raisonnements de cuisson, de préparation, de potages et de soupes ».

Une cuisine inspirée de voyages lointains aussi : l’Asie, les Etats-Unis, l’Europe du Nord à l’heure où il avait encore le temps. Trente ans plus tard, il retrouve les odeurs de ses premières découvertes, pas tout de suite assimilées mais latentes. C’est ainsi qu’il écrase une feuille de citronnier au coeur des Landes et se souvient des préparations de poissons goûtées en Thaïlande dans les années 70.

Un attachement à sa région comme une culture, notamment dans l’utilisation des condiments : le piment d’espelette. Il l’utilise avec les viandes blanches, le poisson, l’agneau de lait, par habitude et depuis son enfance.

« Quand je fais chez moi, pour les vendanges, la soupe à la citrouille, on y met que des viandes blanches et des légumes blancs : queue de veau, haricots, céleri, blancs de poireaux et cette fois encore jamais de poivre noir. »



Dutournier garde quand même le poivre noir pour une bonne pièce de boeuf, et ne supprime pas pour autant le boeuf de sa carte. « Du boeuf de qualité, authentique et de garantie, ça existe », il faut le laisser le plus pur et le plus simple possible, « une frustration pour certains chefs. »

Grillé sur des braises de charbon de bois, servi avec un petit jus d’huîtres et d’échalotes, tranché devant le client, bien épais. « Le boeuf existe par lui-même ».

Au service du produit, il défend les appellations, et a toujours appelé les choses par leur nom. Un « cueilleur de goût vrai », comme il se définit lui-même, c’est à croire que tout est dans la nature.

Menu à 360F

Carte : 800/900F

Une semaine suffira pour avoir une table sauf en période de fin d’année ou au printemps, il faut alors s’y prendre bien à l’avance.



QUESTIONS AU CHEF

Quel est le plat que vous préférez ?
Si je devais mourir demain, qu’est ce que je mangerais ? une tranche épaisse de jambon de ferme qui a séché trois ans. Cuit en biais dans la poêle pour que le gras soit frit et le jambon pas trop cuit. Puis un oeuf poêlé, pas gluant dessus, deux petits piments du jardin. Un coup de mon petit blanc. C’est un grand moment, un matin de juin vers 10h.


Existe-t-il un plat sur votre carte que vous n’avez jamais enlevé ?
Le velouté de châtaigne. Je ne peux pas m’en défaire depuis 12 ans.


Votre adresse à Paris, où aimez-vous aller dîner ?
Quand je vais manger c’est la nuit : il y a de très bons poissons à des heures tardives au Dôme, c’est exceptionnel. Si je veux manger de la viande je vais à l’Aubrac : rue Marbeuf.


Qu’aimeriez-vous qu’un client vous dise ?
Je vous fais confiance.
 
 

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