PORTRAIT DE CHEF
Christophe ROURE

Par Fabien Nègre

Dans une surprenante gare désaffectée de Saint-Just-Saint-Rambert vouée à l’art contemporain, depuis avril 2003, Nati et Christophe ROURE enfantent leur « Neuvième Art », la gastronomie par excellence dixit Larousse.

Ce travail artistique fulgurant couronné par deux étoiles en quatre ans surprend par la maîtrise de ses déraillements intimes mesurés, la minutie éclairée de ses mises en scène ludiques dignes d’un sculpteur sucrier qui découvrirait l’architecture scintillante de la sapidité.

A Craponne-sur-Arzon, dans le 43, les parents ne cuisinaient pas. Dans un monde modeste, l’internat pèse. En 5ème, direction la sortie concrète : « un grand respect pour mes parents, mon père travailla beaucoup pour payer mes études ». A 13 ans et demi, notre local de l’épreuve entre au lycée Hôtelier de Saint-Chamond puis au CFA Les Mouliniers à Saint-Etienne. Sur la ligne de départ, déjà, une « boulimie, une angoisse de tout maîtriser du début à la fin du repas vis-à-vis du personnel et de mes exigences ». Celui qui veut sortir de son milieu, échapper à son lieu multiplie les consécrations de l’élève surdoué qui cultive une aversion pour la scolastique. Entre 1987 et 1989, notre passionné obtient la bagatelle de trois CAP (Cuisine, Charcuterie, Pâtisserie). « Je voulais maîtriser la viande ». A 16 ans et demi, encore tôt pour aborder le marché du travail à l’aide de tranches synthétisées d’apprentissage, notre adolescent comprend tout : « j’ai trouvé un intérêt à ma vie et ma voie ».



Manuel inspiré par les magasins de bricolage, chef simple et humble traversé par l’insatiable détail des beaux-arts, notre pontrambertois circonscrit chaque mets tel un univers brodé de quelques centimètres carrés, un unisson d’armatures. « Toujours la même angoisse, ne pas trop déléguer ». Calme fondu à l’autorité charismatique, l’ancien commis de cuisine de Gilles ETEOCLE, entre 1990 et 1991, à « La Poularde »** (Montrond-les-Bains), là-même où le diabolique Eric BEAUMARD laissa un inaltérable souvenir, ne lâche rien. Dans son périmètre, il traque son évolution ascensionnelle.
«Personne ne connaît demain, je veux conserver le sens du quotidien». Son rapport fervent à l’aliment interprète l’acte du mangeur, dévisage son visage, envisage sa perspective. Dans le phantasme des jeux de l’enfance tourne un manège sans ennui. «J’ai envie de mise en scène, de spectacles, de scénarisation, je ne fais plus la cuisine des autres mais ma créativité».



L’esprit d’un lieu original révèle un sculpteur stéphanois, Stéphane CANIARD, dans sa matière œuvrée. Dans la confiance fragile du secret, l’ex-chef de partie viande de Pierre GAGNAIRE***, en 1992, à Saint-Etienne, déploie sa virtuosité du tempo. «Un choc d’une violence inouïe, des assiettes- tableaux, des idées que je n’aurai jamais. Impressionnant, il ne s’aperçoit de rien, il vit dans un autre monde». Curieux de tous les horizons, sans affinité propres avec ses confrères ligériens, l’ex-chef de partie poisson de Paul BOCUSE*** en 1994, pratique l’équilibration entre la mise en je et la mise en bouche. Attaché à la reproduction des troublantes mécaniques de la sensation, notre touchant technicien dégonde l’esthétique graphique de la picturalité. La pureté des inconscients asiatiques, la complexité simplifiée des exercices joueurs imposent une forme d’évidence. Le brillant chef exécutif du caribéen « K Club » (1995) évoque « tous les trois étoiles du monde » pour des repas pris aujourd’hui encore chez sa grand-mère paternelle du Puy-de-Dôme. Cette dame de bien-être, dans un coin sentimental des goûts, avec ses animaux vus, élevés, tués, cuit des quenelles à la semoule, des cèpes au four, des petits pois à la rosée en guise de friandises.



Avec ses perceptions locales, ses tournures d’altérité radicale, notre membre des toques blanches lyonnaises et de Génération « C », né le 12 novembre 1970, enfant du pays, invente son terroir imaginaire, déterritorialisé. « L’ambition ruine parfois ». Sans ego, en partance amusée, papillonnant, l’ancien chef pâtissier de Régis MARCON** dont il apprécia la liberté, entre 1995 et 1996, tire aussi sa force de son couple. Une intellectuelle, un cérébral. Une scolaire, un chercheur de trouvailles. « L’école me dévorait tellement, que parfois, en plein cours, j’arrêtai d’écrire ». Belle revanche, pourtant, pour celui qui perfectionna son art de la glace et du chocolat, en 1996, à l’Ecole Nationale Supérieure de Pâtisserie d’Yssingeaux. Christophe ROURE écrit ses assiettes aux intitulés complexes, de la poétique imagée aux métaphores vives. Il élabore sa réflexion sur l’intime du merveilleux ordinaire sans tromperie entre le visible et l’énonçable. Son dressage puise dans la sculpture moderne des motifs détaillés. « Je m’arrête sur tout, la dimension, le relief, les affinités ».



Donner forme et force aux idées, voilà l’emprise de notre éberlué du NOMA, en 2008, à Copenhague. « Nulle part en France, je n’ai vécu ce bluff, cette surprise, cette maîtrise. Dans le choc, j’ai appris et compris. Nous attendons toujours quelque chose qui n’arrive jamais. La simplicité, la sobriété. A Shanghai, chez Paul PAIRET, Mr & Mrs Bund. Gamin ému par une idée, une mise en danger ». Notre grand de demain GaultMillau 2006 chipote sur la pondérée douceur des textures, leurs stabilités visuelles. Il ne cède jamais sur les températures de service, une étude de la dégustation. Une analyse profonde nous transporte. Un saumon craque. Détournements, contournements. Le fraisier de foie gras, un gâteau. « Le possible est ouvert ». Dé-sucrer, retour au moelleux, aux biscuits sans farine, aux purs glaçages.



Au commencement, les ruraux fauchent les plats, effarés peut-être par la trame citronnée ou les échos de badiane. « Je vis à travers des périodes, des coquillages gingembre, citronnelle et câpres ». Le propriétaire de la gare en pleine campagne attise l’acidité, taquine la tonicité, la salivation. Il affine sa plongée dans le support, produit de l’œuvre de la couleur du temps. Cerises emprisonnées dans des rayons de vélo, carrelages collés. « L’assiette est éphémère. Quand le service se termine, tout est fini ». Tout va trop vite pour ce « grand fainéant dans l’âme » mais il ne se courbe pas sur son passif. Le beau l’accompagne dans l’unité de sa féminité. Sa culture méticuleuse des stratifications appelle une distinction des liaisons. Il parle de ses pommes de terre nommées « délicatesse », triées chaque jour. Son jardinier retraité importe.



Des huitres de profondeur, croquantes, rebondies, iodées. «Il se passe des choses». Christophe ROURE invite le gouteur à siffler la paille, une identification à l’historicité du produit, « dans la soupe de morilles prisonnière de petites émotions ». Sur chaque proposition, bouillon et friture, gras et croustillant nouent l’équilibre de l’aromatique en puissance. La typologie des cuissons suggère la rencontre entre un millefeuille et une rusticité. Parfois, dans l’approche orientale, déstructurée ou anoblie, la gradation de la carotte sphérifiée abandonne aux herbes le soin d’une narration ou d’une initiation. « Tout me nourrit, les grands moments de fatigue dans la vie d’un couple. L’étude permanente, l’ouverture à l’autre, l’obstination à faire un plat ». La raviole translucide, un œil. Une étrange mayonnaise qui ne prend pas, à la René REDZEPI. Une huile d’amande douce corsée. « Plaire à tous. Aller au fond des choses, s’enfoncer dans la matière ».



En 2002, estomaqué par Jacques DECORET, il découvre les mousses et les guimauves, les liquides gélifiées. « Je ne copie pas, je mets en place des techniques que je m’approprie. Je me sens dans l’actualité culinaire mais proche de personne ». Le chef de St Rambert croit à l’avenir de l’introspection où goût et geste s’interpénètrent. « Le poisson vient dans mes pensées, pas la viande. Parfois, je n’ai plus d’idée, la lassitude s’installe. L’asperge et le caillou ». Christophe ROURE place des ingrédients en situation, installe le client dans un champ de terre sableuse. Poudre de noisette dégraissée, farine de seigle. Les poussières figurent des condiments. Crabe et asperges s’apparient dans la pousse de salade, l’épinard sauvage. Perdreau, girofle, crème de topinambour au siphon. « Je rêve tous mes desserts comme mes mises en bouche ». Dans une sole à la fleur de sureau, le laisser-aller du temps goûté.



«Je n’ai rien fait pour mon parcours, il est venu à moi, je n’ai fait qu’honorer mes contrats». Notre MOF dans la promotion d’Olivier NASTI le 15 mars 2007, milite pour une évolution sociale du métier : « Des salariés qui travaillent moins, qui gagnent plus. Je ne voulais jamais reproduire avec mon personnel l’esclavagisme que j’ai vécu ». En phase montante, dans une dynamique de grand sportif de haut niveau, Christophe ROURE veut une équipe unie, partageuse, équilibrée. C’est ainsi qu’il éduque Couhande, son fils de 11 ans, un rare prénom-village qui signifie confluent entre deux rivières en vieux français. Sa grand-mère paternelle du puits de dôme sourit. Manger, une expression de soi. « J’ai passé ma vie à faire la cuisine ».



Dans la formulation raisonnée de ses questions se tient sa route, emplie d’envies picorées, des travaux d’une personnalité. Ne pas prémâcher la place du dégustateur. Ne pas se torturer l’esprit, gagner un souffle de liberté, manger avec ses doigts, croquer avec ses mains. « Je voudrais prendre les bons puis parler aux clients ».



Photos Apicius - Thuriès Magazine - DR.



Le Neuvième Art


Place du 19 Juin 1962 - 42170 Saint Just Saint Rambert - Tel : 04 77 55 87 15


 
 

LE NEUVIEME ART - CHRISTOPHE ROURE

Le restaurant est fermé depuis le 22 mars 2014.
Le chef s'installe à Lyon en juin 2014.

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Le grand chef Christophe Roure se fait discret en dépit de ses deux...

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