PORTRAIT DE CHEF
Franck DEROUET

Par Fabien Nègre
  • Chef Franck Derouet
  • Clos des Sens asperges
  • Clos des Sens plat feta
  • Clos des Sens plat ail
  • Clos des Sens la salle

Arpajonais d’origine Saint-gemmoise, discret délicat, rêveur subtil, Franck DEROUET, par une écriture fluvio-lacustre végétale intense qui pare la forêt en jardin, renouvelle la lecture des poissons des trois lacs (Annecy, Léman, Bourget) en tressant la finesse des strates aromatiques, le frisson umami des amers et l’élan aphoristique de l’acide.    

Ses ancêtres « nés, baptisés, mariés et enterrés » à Sainte-Gemmes-d'Andigné, commune accolée à Segré, en pays ligérien, s’originent tous de l’esprit d’un lieu. Dans la capitale du bassin minier de l’Anjou bleu, la grand-mère maternelle bichonne son routier dénommé « L’Hôtel des voyageurs » où elle pomponne ses quelques chambres. Les grands-parents des deux branches vivent dans leur campagne. La vie quotidienne revêt une dimension inventrice, entre vacances, réflexion sur la nourriture et l’acte de manger : « le rural, c’est courir dans un jardin, choisir un lapin au clapier, une frugalité qui me touche, pas de diététique ni de légèreté, regarder autour de soi pour faire pousser des légumes dans la saisonnalité, se satisfaire de ce qui nous entoure, aller à l’essentiel ».
 
Les parents « montent à Paris » pour obtenir des ressources. La mère, aide-soignante, se dévoue aux humains. Le père, pompier, prendra finalement un restaurant dans un village voisin à la retraite. En 1968, le garçon d’Arpajon ouvre les yeux sur le monde dans la cité d’un petit haricot vert fin désigné « flageolet Chevrier », du nom de son cultivateur découvreur en 1872 et du couru concours gastronomique. Après une scolarité paisible à Dourdan, l’élève qui aime à se fondre « au milieu de la classe » afin de ne pas subir les foudres interrogatoires du professeur, indique son vœu, en 3ème, sur sa fiche d’orientation au format A4 : « Cuisinier ».
 
Ce métier adéquat à son proche « environnement » synchronise sa rêverie artistique et sa sensibilité exacerbée. En 1984, dans l’école Hôtelière de Saint-Quentin-en-Yvelines fraîchement ointe, en Brevet de Technicien, l’élève élargit le spectre. La cuisine lui apparaît étrangement comme un monde de durs-à-cuire un peu à l’ancienne dans une drôle d’ambiance, avec son rythme soutenu : « la cuisine, on la choisit souvent par timidité, réserve, discrétion. On ne se met pas en avant ». Le mesuré ressent un immense sentiment de liberté, un désir de conquérir le monde lors des résultats de son examen affichés sur les panneaux d’entrée de Médéric.     
 
En 1987, le certifié frais émoulu attaque fort sans temps mort à l’Intercontinental de Londres pour converser dans la langue de Tolkien. Là, le marin-pompier hume la puissance d’un jeu ouvert avant que de servir sous les drapeaux à Toulon dans la marine. Déjà, il rêve de partir sur un bateau, embarquer pour sillonner les lointains. Chauffeur du directeur du port varois, il ne comble pas vraiment son goût du voyage mais repartira bientôt. Durant sept ans, le cuisinier parisien aiguise le lexique fourni de son solfège à l’Intercontinental de Paris, rue de Castiglione. Deux piliers le cornaquent dans sa chanceuse pédagogie.  
 
Jean-Jacques Barbier, maître cuisinier d’entregent, président des compagnons cuisiniers de France, directeur de la revue culinaire lui confie la rigueur dévolue à sa discipline, l’art du beau geste et la perception des produits supérieurs du marché. L’éprouvé Raoul Gaïga, Président de la Mutuelle des Cuisiniers de France, passé par le Méridien Montparnasse et les fourneaux du Royal à Deauville, entraîne l’incandescent technicien qui explore tous les offices, des sauces à la brasserie au room service jusqu’aux banquets : « je ciselais les échalotes très finement, je mondais les tomates ».
 
En 1996, le voyageur fait halte au Four Seasons de Rio de Janeiro : « passer d’un pays à l’autre, d’une ville l’autre, chaque expérience me change, la langue, la culture, l’entreprise, la cuisine est dépaysement, mouvement ». Le chef de partie sans ostentation qui formule maintenant la langue de Pessoa repasse aux fondamentaux à l’Intercontinental de Lisbonne. Il flaire une réelle dynamique sur la structuration dans cette organisation scindée entre cuisine régionale et internationale. En 2001, un tantinet « égaré », le chef tournant chez Georges Blanc*** se régénère pour aligner sa verticalité.
 
Fasciné par le patriarche, il connaît la bistronomie et la gastronomie, la création de cartes pour Singapour Airlines, la réalisation de livres : « très humble, il se satisfait d’une cuisine simple, presque basique mais forte ». Le gentil de la gentiane médite la leçon du maître de Vonnas : « dans le poulet, tout est bon. Les bases de sauces viennent toutes de la volaille. Un univers, un produit, on l’exploite au maximum pour le mettre en avant. Un esprit d’ancrage. Autour de soi. Découvrir le territoire, s’accaparer les ressources autour pour regarder, créer une identité ».
 
A Barcelone, en 2004, aimanté par l’effervescente capitale de la Catalogne, le sous-chef exécutif au luxueux Hôtel Arts Ritz Carlton, tombe sur la prodigieuse présence créative de Roberto Holz*, le sens de l’altérité de Paco Perez**, l’engouement pour la recherche du charismatique Sergi Arola*. De cette « grosse machine », le tendre globetrotteur pour la rencontre des humains qui « vivent sur place » s’attache à l’esprit de convivialité entre les équipes, une fraternité complice, « des valeurs humaines plus que des techniques ».
 
En 2007, le chef exécutif du Ritz Carlton de Tenerife aborde une armée structurée de 75 hommes mais il ne s’improvise pas un « caractère de manager ». En 2011, il se cristallise au Clos des Sens. L’homme du doute méthodique coudoie Laurent Petit, une sensibilité, une éthique identique. Surpris, acte rare, il dîne seul en client. Le conquis, en 2015, participe au tournant naturel des trois lacs en circuit court. Cette cuisine de paysage fluvio-lacustre à l’intensité herbacée rejoue l’art grand-maternel : « un environnement qui se suffit à lui-même, un plaisir avec ce dont on dispose à la saison en assumant ce que l’on est ».   
            
En 2016, dès son arrivée, Thomas LORIVAL, sommelier directeur du restaurant, se lie d’amitié avec l’angevin. En 2019, la troisième étoile sacre la réinvention végétale des poissons d’eau douce. En 2023, les deux fils spirituels de Laurent et Martine Petit, dans une transmission exemplaire et sans doute unique en France, prolongent la philosophie culinaire des hauteurs de la perle alpine. Adoubés par un grand sensible, la filiation d’un duo à l’intention binomiale matérialise une forme lucide de modernité, une pleine adhésion à une continuité à la fois claire et secrète.


Avec leur équipe, cerveau holistique conséquent, les duettistes étayent la même vision à deux caractères, deux âges. L’homogénéité spatiale résonne avec l’adhérence temporelle : « Thomas est sollicité pour sa mémoire de dégustation ». La créativité de la production résulte d’une gratification intégrale. Le nouveau se reformule dans le jeu de la reprise : « notre personnalité se tient dans la profondeur des choses ». L’institution annécienne, aujourd’hui phare haut-savoyard, forme aussi la bouchée des enfants.
 
Les habitants du quartier s’approprient le Clos par le cœur et le sens : « aucun luxe, aucun élitisme, nous ouvrons les portes à ceux qui nous entourent ». Hors de tout clanisme, le Clos des Sens évoque une maison de gastronomie et de vie dans une grande humanité : « nous organisons des repas pour la dénutrition des personnes âgées, pour les hôpitaux, pour les écoles ». Le jardin botanique maintient en relation avec la nature. Le réjoui à l’élégance réservée préserve son lien avec ceux qui vivent la terre dans leur chair et leur histoire.             
  
Le végétal ouvre sur l’incommensurable ainsi que la forêt ou la basse montagne. Cette dialectique de l’harmonie se reflète dans l’esprit fusionnel des propositions. Le message franc se discerne également dans la cuisine liquide des accords mets et jus ou dans la convection sucré-salé : « la direction d’une cuisine sucrée pour les desserts évite la pâtisserie pâtissière ». Franck DEROUET agence des dispositifs de salinité dans des assemblables qui éclairent la provenance. Ce ressort gustatif élide la sucrosité, associe le caractère de chaque élément dans l’acidité. Sa facilité avec l’amertume règle la surprise de sa puissance aromatique.
 
La grande fête commence, chuchotée par des feuilles de sauge sur des aromates, une échalote fermentée, un croustillant de foie de féra, ail doux et romarin. Le corégone bondit de l’eau, raifort et garum. Du lac, au champ laitier, une métaphore stylise avant le pressé de chou à l’aneth. La truite du Léman nargue la poutargue de lavaret. Le poireau fondant au laurier se délecte dans une sauce à la cuillère. La sauce mondeuse bisquée sublime le boudin de chevesne. Les fromages des pays de Savoie restituent la fraîcheur des paysages. Une grenobloise, profonde complicité entre le cédrat et l’ail noir devance la courge muscade, coriandre et agrumes. La racine de gentiane et les noisettes grillées couronnent la sauce croquante et végétale.

Photos Matthieu Cellard
 

CLOS DES SENS

Le restaurant Le Clos des Sens du grand chef Laurent Petit bénéficie d'une réputation internationale qui attire les plus fins gourmets....

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