PORTRAIT DE CHEF
Yannick ALLENO

Par Fabien Nègre
  • Yannick Alleno
  • Yannick Alleno entrée
  • Yannick Alleno poisson
  • Yannick Alleno dessert
  • 12/2009

Ce Portrait a été réalisé en décembre 2009 lorsque le chef Yannick Alléno était au Meurice. Désormais il est au LEDOYEN. Un Roi du soleil, un gentilhomme des paddocks, une vie mordante de détails magistraux, de scintillements princiers, de gestes altiers, Yannick Alleno illumine la Renaissance du MEURICE. D’un palace ensommeillé au lieu intime du secret où affleurent les Stars et les Tsars.

A s’incliner sur les métamorphoses de la courbe de vie, elle magnifie l’accélérateur, la prédation d’un bourreau des travaux. Notre amoureux transi de la Capitale accorde de l’inquiétude à la perfection, il médite sur l’agonistique, il a souvenance de cette rage de vaincre dulcifiée, chevillée au corps à corps. L’angoisse tient, l’adversité contient. Les agapes pour la joute accouchent d’une étrange gastronomie, féline et câline, rupestre et champêtre, une tendance du « terroir parisien ». Ce kairos cristallin entre un paysage intérieur et un passage antérieur, crée le haut goût. La posture d’existence outrepasse la modernité et le classicisme, par une narration mêlée de rigueur, de mémoire et d’impulsion. La carrière perle de prestiges, d’ors lambrissés (Lutetia, Drouant, Scribe). L’homme parvient à tout embrasser, une bête de somme, en somme, un aveu délicat pour les honneurs et le faste.


L’ornement royal du sublime façonne le tempérament tempétueux. Les parrainages énervent presque : Paul Bocuse, Joël Robuchon, Louis Grondard (MOF 79), Gabriel Biscay (ami de son père, MOF 82), Roland Durand (MOF 82), Martial Henguehard (MOF 91). Pour lors, une expérience d’aujourd’hui ancrée dans une tradition historique. Yannick Alleno ressent le poids de l’Histoire, hume l’éclat du pari, la sensation d’une maison apaisée, un lien quasi charnel à sa clientèle, un art d’altérité. La rareté de l’accueil ouvre un paysage de fête. Par une articulation baroque au terroir, la Lozère s’efface, la cuisine emporte, orientée vers les éblouissements marins, les révérences sudistes, les échos des méticulosités nippones. La table focalise trop d’émotions en même temps.


Prendre la matière en couturier sculpteur dans une mise en scène du syncrétisme des terroirs français, un tour de force de toupie approchant le fondement des basiques par les atours techniques de demain, compositions, texture, mise en place, le bonheur de vivre hexagonal escorté des influences extérieures de la munificence. Dans la géographie physique de la joie, le factum rationis fait retour : un restaurant catapulte une auberge de luxe où le plaisir se prend comme à la maison mais hors de chez soi. La trame festive interpose une jonction qui reflète la grâce de notre présent, les nervures de notre pensée. Yannick Alleno, en jardinier de lui-même, réinvente notre succulence parisienne par-delà les plats bistrotiers des Halles. Il codifie des traces. Le concept de restaurant, naquit, à Paris, par le fait de la noblesse, alentour du Palais Royal.


Le « Chef des cuisines » envisage son futur gorgé de fortune et de rêves, sans choir dans une paranoïa abyssale. La consécration fonde un commencement. Il poursuit son ouvrage, attise son attention sur l’acuité de sa clientèle. De sa monumentale expérience, inouïe, il conserve en sa créance une sédimentation de la mémoire : la passion du style. Timide, discret, Yannick Alleno fuit l’introspection du bilan. Il évoque sobrement une traversée difficile, une souffrance physique, « un boulot de grand malade mental ». Demain, dans le rare et l’inaccessible, une autre économie de la gastronomie bouleversera radicalement notre perception du bec et nos manières de bouche. Un jour, sans doute, le « chef le plus sexy de France » ne vivra pas à la campagne mais ailleurs, fatigué par tant de lourdes responsabilités. Il aura épuisé tous les possibles. Pourtant, le mirifique Hôtel Meurice représente sa seule maison. Il n’ambitionne rien d’autre que de poursuivre sa merveilleuse existence de « Chef d’hôtel ».

Il exhibe haut et fort les maîtres, modèles et héros sans lesquels il n’existe point d’éducation culinaire comme une éducation sentimentale flaubertienne. Quand le monde décroche, lorsqu’il oublie ses idoles, égare ses icônes, l’atmosphère vire à l’asphyxie. Sur une planète fragile, en alchimiste des saveurs davantage qu’en chimiste des couleurs, notre enfant de Rueil ne joue pas les épilogues encore moins les prologues. Contre la cérébralité, il touche la base ultra classique des jus forts en concentration, prise les traitements modernes de la cuisson des poissons. Soudé à autre chose, autrement, il cache par pudeur son histoire intime avec le tourbillon des génies du lieu, « toujours la seule maison sérieuse ». Elle l’impressionne, à la clarté naissante du jour, par sa stature éternitaire même si la reine se conquiert au physique dans cette bataille quotidienne pour la tenir en laisse, debout.

Géographiquement, un palace ne prouve pas sa simplicité. Loin de la salle, dans les mélodies en sous-sol, le piano exige une folle énergie fracassante. La clef de voûte du rutilant succès : accueillir, ne jamais déshumaniser la topique. S’approcher des gens, aborder tous les clients qui honorent de leur présence le restaurant gastronomique. Transmettre un infini d’humanité dans le juste droit à l’erreur, soutenir les imperfections mais ne jamais décevoir dans la réception. Depuis son premier voyage japonais, à 18 ans, le maître du « Dali Bar », vit dans l’éblouissement des imaginaires de terroir. Du jardin clandestin de sa Lozère à Matsuko Masui qui patienta deux ans avant de « descendre dans sa forteresse », il prend conscience de sa vie si spéciale entre les miroitements de la notoriété et les silences de l’ombre. Sa rencontre ne se raconte pas : coups de tonnerre, audaces de la délicatesse, touches de produits inoubliables, précisions du détail des jours qui fuient.


Il attend les abréactions du mangeur, pupilles et papilles blotties, ces esprits rendus furieux par leur enfermement dans l’obscurité. Le plat parfait n’advient pas dans ce monde. La perfection agrée quand elle habite la durée au-delà de tous les critères : une imagination fructueuse, une virgule détonante, une âme, un bricolage majestueux dans l’équilibre d’une sensation déroutante. Réservé, ensauvagé, écorché vif, Yannick Alleno saisit ses actions quotidiennes tels des processus d’influences de vie. En hyper sensoriel, il ne rompt pas le lien physique aux produits. En séducteur, il pratique la dissociation. En modeste salarié, il regrette qu’un « Chef » ne laisse que peu de traces. Un plat, un livre, une émotion. Depuis peu, il reprend ses carnets de goûts, ses croquis de carte. Il n’admet pas, de « façon presque physiologique », de créer deux fois le même plat. Il offre des « parenthèses de vie », des leçons gustatives pour vaincre la médiocrité du monde.


Sa manière oscille entre vérité et effacement, saveurs marquées et évanescences. Malicieux, il perçoit la difficulté de s’imposer parmi une foule d’artisans de la matière. Son pâtissier invente des pièces d’art. Lui, délimite l’artisanat du magnifique patrimoine français. Fier de sa réussite, heureux de ses cassages de gueule. Une « philosophie de ricain », capable de repartir tout à trac pour relever un autre époustouflant défi. Yannick Alleno désire l’encouragement du voisin sans jouir de le regarder sombrer. Aucune grande gastronomie n’émerge sans un vent national et ses leaders, sans le foisonnement bigarré de ses pays.

Au creux de Paris, ville de carrefours du monde et de l’Europe des mondes, locomotive des mutagenèses d’un lieu mythique avec la pointe d’extravagance de Franka Holtman, accélérateur d’aventures, Yannick Alleno, un homme attachant, émouvant qui aime seulement exister à travers ce qu’il fait, qui affirme, ne regrette rien du beau, un visage, un dessein ou la courbe d’un fleuve.

Photos : 1 : Le chef Yannick Alleno – 2 : Les asperges vertes du midi en chaud-froid de saumon fumé – 3 : Le filet de gros turbot poché et glacé d’un condiment au fumet de coquillage avec carottes étuvées à la graine de moutarde et mousseline à l’huile d’olive – 4 : Les desserts -  La salle du Meurice.

LE MEURICE - Yannick Alleno
228, rue de Rivoli - 75001 Paris - Tel : 01 44 58 10 55

 
 

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