PORTRAIT DE CHEF
Massimo MORI

Par Fabien Nègre

Figure incomparable de la gastronomie transalpine à Paris, Massimo Mori Gérant de deux établissements estampillés : Armani Caffé et Mori Venice Bar.

Figure incomparable de la gastronomie transalpine à Paris, Gérant de deux établissements estampillés : Armani Caffé et Mori Venice Bar, prisés par le beau monde cosmopolite international, personnage phénoménal, hâbleur labile, farceur gracile, meneur habile, Massimo Mori vole de découvertes en altérités, court de réussites en baraka. Rencontre rieuse avec un inépuisable enfant qui distille une brûlante passion : sa soif de la vie.

Dans le rupestre village de « Viadana », province de Mantova (Lombardie), le petit Massimo observe déjà, prédestiné, les stars de cinéma. Là, le féerique paysage accueille moult tournages : « Don Camillo » en outre. Aux confins du quadrilatère culinaire ultramontain (Cremone, Mantoue, Parme, Reggio), l’enfant regarde son père, vénitien jusqu’au bout des mains, choisir les peaux nobles pour la fabrication des souliers à la mesure. Ce métier aristocratique suppose la fréquentation d’une clientèle de haute tenue : élégants pharmaciens, notaires affairés, colonels des carabinieri. La pratique artistique de l’artisanat fascine Massimo Mori. Il se souviendra de la gratuité de l’après-vente, ultime allégeance afférente aux assidus, leçon de négoce diplomatique.



A l’instar des maisons de couture renommées, le client, partenaire amical, accorde des présents de fin d’année. Cet entregent surprenant, cette philia pétrie d’humanité, Massimo Mori la méditera en sa cervelle toute sa vie. De là coule, au vrai, ce style si vénitien d’accueil. Un profond sens de l’altérité, une inouïe attention à sa clientèle, fruit d’une génération d’intentions, d’us, de coutumes. Cet héritage paternel consacre un avantage décisif, comme au tennis, qu’il aime à jouer les soirs estivaux. Améliorer le meilleur, dans ses capacités, ses actions, destinées à l’Autre : voici une possible définition du plaisir dédié à celui qui franchit le seuil. La « Mama », rencontrée en 1938, par le conductore mobilisé, partage cette vision du partage.



Native de Pomponesco, elle tient, avec sa belle sœur, un petit restaurant traditionnel réputé dans la région, non loin du fameux « Lion d’or ». Dans cette rivalité des gourmandises, surgit, le 7 décembre 1956, notre italien aux yeux pétillants de malice. Entre ses ancêtres maternels, paysans, gardiens régulateurs du fleuve Pô et la quintessence des produits (caviar de Venise issu de l’esturgeon cobice), Massimo Mori approche toutes les sensations jusqu’à sa quinzaine. Il déguste la source de la matière, laquelle lui offrira un incomparable savoir des terroirs (vénitien, lombard, romain, florentin). Né à la pointe hasardeuse de son époque, notre maître de cérémonie faillit mourir par un hiver glacial, accouché pendant les cérémonies de la messe de minuit. En prodigieux rescapé, il affichera une vitalité hors normes, une curiosité sans bornes.



Cette « naturalité des choses » annonce bien davantage une historicité des pratiques, un ancrage de paysages, une longue histoire sociale. Après l’école, Massimo Mori scrute les gestes maternels sculptant les produits simples de la vie en voie d’engloutissement intégral (tortellinis tournés à la main, notamment). Le père absorbe cette nature, il imagine son bourgeon dans la grande école de chaussure de Parme, suivi par le célèbre père d’Olga Berluti. Contre son désir, à 15 ans, inspiré par une tante magnifique, cultivée, cosmopolite, moderne, notre adolescent enjoué opte, en 1971, pour l’une des meilleures écoles Hôtelières au monde, Bellagio, située sur le Lac de Como. L’autre mère lit des encyclopédies, regarde la lucarne, étudie la géographie. Elle enthousiasme ses rêves de voyage en cuisine dans le Venice-Simplon-Orient-Express.



Une seule devise d’existence prend corps : découvrir les hommes qui peuplent le génie des lieux. La soif du mouvement découpe une manière de rencontrer la matière du monde. En ce temps où le village porte haut la valeur travail, l’indépendance des artisans et commerçants, le savoir de la transformation des produits prévaut. Le grand-père paternel restaurait les églises turinoises. Massimo Mori prolonge, par là, cette lignée d’artisans bigarrée d’artistes. Il brille dans cette stimulante école qui comprend, sur les bords du lac de Côme, un hôtel 4 étoiles, un restaurant in vitro. Apprentissage sévère de la théorie matinée d’une pratique savante, notre commis voyageur bénéficie d’un conseil du directeur qui modifiera radicalement sa trajectoire : «Laisse tomber les pianos, précipite toi en salle !». Il porte beau, parle bien, présente encore mieux.



Homme orchestre, ultra polyvalent, il s’essaie à toutes les occurrences : salle, bar, réception. Ce virage accouche sa situation de « Manager ». En quatre ans à peine, il exerce ses fulgurantes intuitions de « Directeur ». La rencontre de personnalités d’excellence, de « gens importants » l’émoustille. Une seconde passion le hante : manger, « mangiare ». Cette obsession bien italienne le parcourt de tout son être : foccaces tout juste sortis du four, poissons étranges, pâtes infinies. Un pays qui empile cinq assiettes différentes lors de ses bombances royales chez les Gonzague mérite toute notre attention. Massimo Mori raffole de cette tradition beurrée, des riz crémeux, des fromages affinés. Il aime à apprendre, comprendre tous les styles de vie.



Deuxième de sa promotion, il s’adonne à tous les pores de la dégustation : restaurant, bar, snack. Acteur, comédien, saltimbanque, il se met en scène dans le spectacle insensé de la salle : flambage des crustacés, découpe des canards, service au guéridon. Il recherche l’esprit du lieu qui préfigure MORI VENICE BAR. Les bombolonis, pains nains à panini, naissent devant les convives. Ensuite, le prestigieux Sporting Club de Monza lui ouvre tout grand ses bras. Mieux que la villa d’Este à Tivoli ou le charme majestueux des scintillements de la Villa Serbelloni, ce Club privé de 400 sociétaires reçoit, dans une architecture mussolinienne, les familles royales de la planète jet set : Ferrari, Agnelli.



En 1975, Massimo Mori se rattache à la Suisse, au Royal Savoy de Lausanne puis au Beaux Rivages. Il assiste, au débotté, le grand Barman Poletti. Adjoint, les indolences couronnées présentent des opportunités remarquables y compris l’apprentissage des langues. Au bord de la piscine, il sert le roi d’Espagne, la duchesse de Kent, la princesse de Torlonia. En 1978, notre affable rital conquiert Paris. Humble décontracté, il s’affaire à ouvrir son affaire tout en dévorant la culture française. Dans la capitale, la pluralité des rencontres, le métissage des cultures le pousse à vouloir faire plusieurs choses pour obtenir une vision globale des choses. La vie nous enseigne, chaque jour, un essai permanent.



Le carnet d’adresses s’étoffe, les professionnels le reconnaissent. Pourtant, la route paraît heurtée, presque torve car Massimo Mori se singularise par sa conception globale du métier. Il travaille non pas sur le produit, toujours hors normes, mais sur le style de sa production. Bien avant les montreurs de fourmis enturbannées ou les dresseurs de peluches paresseuses, il magnifie le processus générique de la fabrication culinaire en distinguant le produit basique du produit final. Homme de peau, homme de terre, mais peu amateur de pommes de terre, après avoir servi le roi Juan Carlos, le Bar du Ritz le chasse mais il décline, en prince pour rire.



Dans les années 80, il tombe amoureux de Paris. Par hasard, le directeur de Stock Italy, l’un des plus grands producteurs d’alcool au monde, lui propose d’ouvrir une société de distribution en France. Il refuse un poste de barman sur le Norway, à 24 ans, et se lance en toréador dans l’aventure des spiritueux pour dix ans. En 1995, le développement de VITIS, un établissement spécialisé dans les alcools et les vins italiens, le dépasse. Il introduit les plus prestigieux terroirs vinicoles italiens sur le marché français : Antinori, Sassica, Frescobaldi. En parallèle, il crée PASTA SIRIO, pour les professionnels, une enseigne basée sur la production de produits alimentaires italiens frais et de qualité.



En 1992, millésime chargé : ouverture de Disneyland Paris, inauguration de Lafayette Gourmet France, Berlin. Il multiplie les opérations délicates d’avant-première dans un cadre de grande distribution internationale haut de gamme. Il parvient même à vendre des raviolis à façon à Potel et Chabot et Lenôtre. Très tendance dans les années 90, il organise des pastas party monstrueuses. Restaurateur né, vendeur inné, manager hors pair, il cède ses activités à un groupe franco-suisse. Il s’impose, dès lors, comme un immense connaisseur des phases logistiques de la chaîne de valorisation du produit gastronomique. Hors le fast-food et le take away qu’il exècre, il raisonne sur l’art de vendre l’invendable à savoir des produits rares eu égard à leur destination.



En 1998, « Monsieur Armani » qu’il nomme encore aujourd’hui avec un rien de révérence courtoise dans la voix, l’approche afin d’ouvrir, le 21 janvier, ARMANI CAFFE au centre du monde germanopratin. Dans la foulée, Massimo Mori gère le Joyce Café une des premières tentatives de fusion à Paris : italo-nippo-français. En 2000, il remonte Renoma Café avec de solides partenaires. En 2002, il dirige un évènement marketing grandiose : le lancement d’ARMANI CAFFE Munich. Fort de ces succès synchroniques, Laurent Taieb lui propose le Bond 2, sur la place de la Bourse. MORI VENICE BAR voyait le jour en 2005. Des concepts, des idées, une assise de clientèle, que seul un réseau mirobolant invente.



Une connaissance fouillée des produits et des fournisseurs de la serenissima, un amour de Venice qu’il partage avec Philippe Starck, un lieu vénitien postmoderne, autant de points d’ancrage qui concourent au succès grandissant du restaurant. Seul établissement de la Vénétie à Paris dans un concert de beauté design, le MORI VENICE BAR présente une régalade aussi pure que vraie. Par son ambiance à la Murano, le lieu déploie les origines, les amitiés, les goûts prononcés, l’essence vitale de Massimo Mori. Tel un bateau, la salle caresse notre fantaisie. Elle restitue la gastronomie vénitienne au carrefour du monde depuis Catherine de Médicis.



Loin du concept de restaurant italien qui ne fait jamais sens car la table de la péninsule recèle au moins dix topiques régionales (lombarde, sicilienne, sarde, florentine..), Le MORI VENICE BAR plonge les racines de l’histoire dans le pari d’aujourd’hui. Les producteurs qui créent l’évènement culinaire vénitien figurent sur la carte. Florens : une huile invraisemblable, millésimée, polinisée, qui vous égare dans la nuit de l’olive. Massimo Mori veut, dans un acte d’amour total, transmettre son savoir, son ouverture, ses enracinements à ses deux enfants, Céline et Mathieu. Il cherche le sens de ses valeurs auprès de Patricia, son épouse, née sur les bords du Lac de Côme. Le petit émigré lombard, les yeux aux bords des larmes, voulait passer inaperçu, se souvenir de son respect pour la France et de ce qu’elle lui offrit, presque tout.



Ami des médiatiques de la mode, du show et du business, des pilotes de F1, il retombe sur la terre ferme. Il sait que diriger plusieurs restaurants dans le feu des jours, exige patience et anticipation, raffinement et passion, histoire et immédiateté. Une kyrielle de projets anime son regard. Lors de manifestations croisées (Lion d’or, Carnaval), il humera la même respiration dans les montagnes, sur les hauteurs, aux lisières de l’eau. Venise, Trieste, Padou : les victuailles de la terre épouse les entrailles de la mer. Dans la ville sur la lagune, les marinades abondent, les carpaccios allégent. Elle inspire aussi les cuisines du monde : germanique, juive, espagnole. Or, la véracité du goût vénitien niche dans une coque de bateau, un lieu à la rondeur d’une femme accouchant, un bacaro.



Le bacaro, du nom de Bacchus, dieu grec de la vigne et du vin, signifie un comptoir où historiquement, les vénitiens, venaient se restaurer en dégustant des anti pasti froids ou chauds nommés « cicchetti ». A la demande, ils se goûtent avec des « ombre » de vin blanc ou rouge. Entre un rêve et un flash, Franco Geronutti, 39 ans, second de l’Hôtel Monaco et Grand Canal, confectionne les plats phares : des poissons au four (un succulent bar à la cardamome, au citron et gros sel), des légumes introuvables, des pâtes fraîches et du veau. Eddi Riotto, exclusivement vénitien, deuxième chef, longtemps au Harry’s Bar, passe du vitello tonnato au gnocchi benso avec une aisance juvénile.



Il élabore aussi un riz original, originaire de Ferron. Biologique, planté au milieu des carpes qui le nettoient afin d’éviter un traitement anti-bactérien, il se pile sur une veccia depuis 1863. Une eau de source issue de l’isola della scala (île de l’échelle) le lave sur les altitudes de Vérone. Sans grand riz, pas de grand risotto al nero. Avant de caresser les meringues et autres délices pro domo, avant de fondre sur les glaces turbinées minute, Massimo Mori nous raconte les bigoli, cette pâte spéciale mi-complète qu’il importe, par avion, de Trévise. Intarissable, inaltérable, il poursuit par d’autres miroitements : les haricots, les tripes, les gâteaux à la noisette sauvage. Fier de son équipe de 24 personnes, il organise des défilés de haute couture, il réussit l’italian easy, un concept unique sur le marché lutécien.



Dans sa ligne moderne mais contemporaine, dynamique ou qualitative, haut de gamme toujours ouverte, chic évident mais jamais toc sophistiqué, le MORI VENICE BAR enchante. Une terrasse extérieure prolonge le dispositif depuis l'été 2010. De la culture, des œuvres d’art vénitiennes, du jazz autour de minuit, des friandises assis bas, des lumières tamisées entre gelati et chocolats : tout un programme différent, chaleureux. En oenophile averti, amuseur confirmé, l’émouvant Massimo Mori affiche des flacons d’exception, des blancs de la Vénétie à ceux des îles (Capichera, Barolo, Amarone). Il porte un soin méticuleux aux vins biodynamiques, aux champagnes de classe, aux digestifs précieux. MORI VENICE BAR propose la seule et unique collection de Grappa de Romano Levi en France.



Toujours en quête de véridiction, Massimo Mori cherche la perfection du produit et le produit de la perfection, sa généalogie, sa trame historique, sa sincère bonté. Excité, il redécouvre le caviar de Venise (Caspia/Astara), issu d’une recette de 1512, moins salé que les autres, tiré de cet esturgeon Baeri que ses oncles pêchaient à Ferrare. Un jour, peut-être, Massimo Mori, le gentil, toujours inquiet du bien-être de sa clientèle chérie, inaugurera un restaurant piémontais car il aime plus que tout Turin, capitale des truffes, blanche et noire, du poivron carré et du Barbaresco.

Pour ne jamais conclure, la clientèle dessine un lieu de vie qui suit sa propre vie. Sa modestie l’oblige, arrondit les aspérités, avec pour seul souci la circonspection du terroir. Un restaurant, tel un lieu lumineux accessible à tous, équilibre les plaisirs dans la simplicité du partage. Chez les Italiens, préexiste un jeu ancestral de la partition, tout se partage : le bar, les antipasti, la carne.Toni Vianello, de L’Enoteca, avait bien raison. Le risotto hérétique ne concerne qu’une seule personne.

Photos : 1 : Massimo Mori - 2 : Le vitello tonnato - 3 : Le risotto al nero - 4 : Les glaces turbinées - 5 La salle du MORI VENICE BAR.



EMPORIO ARMANI CAFFE

149, boulevard Saint-Germain

75006 Paris

Tel : 01 45 48 62 15

MORI VENICE BAR

2, rue du Quatre-Septembre

75002 Paris

Tel : 01 44 55 51 55
 
 

MORI VENICE BAR

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