PORTRAIT DE CHEF
Thomas KOEBEL

Par Fabien Nègre

Alacre cleebourgeois frotté aux belles maisons régionales, Thomas KOEBEL enchante par une réécriture magnanime et ouverte de la joie alsacienne attablée.  

Le 19 février 1987, à Strasbourg, bondit un enfant athlétique. Les premiers pas coulent à Cleebourg, village bas-rhinois d’outre-forêt, au cœur du Parc Naturel des Vosges du Nord. « J’avais la bougeotte ». L’obsession du bien manger survient très tôt, à 8 ans, en regardant le paternel garde-forestier barder son lard. « Il réalisait des fêtes dominicales, un pot au feu, un bœuf bourguignon, un délicieux baeckeoffe (plat traditionnel emblématique à base de pommes de terre, de légumes, d'assortiment de viandes d'agneau, de bœuf et de porc, mariné puis mijoté à l'étouffée sur plus de 24 heures dans une terrine, avec des épices et du vin blanc du vignoble d'Alsace) ».

Les émotions de bouche submergent d’emballement au piano d’une mère presque artiste, couturière puis costumière dans le renommé Opéra Nation du Rhin. La grand-mère préserve aussi son monde théâtral, culture ancestrale ancrée dans le bien vivre : « Elle préparait sa plâtrée dans sa marmite culottée depuis soixante ans, un pain de viande rôti, juste exceptionnel, inoubliable. Elle l’apprête encore aujourd’hui à 92 ans ». Dès 12 ans, le préadolescent tranche sans ciller malgré les prénotions rétrécies de l’apprentissage.

Il intègre le BEP du CFA Joseph Storck de Guebwiller. « Je voulais faire le côté manuel, le rapport sensuel à la matière, le contact avec le produit, le sentiment du plaisir de procurer des émotions aux autres au travers de ce que l’on fabrique soi-même ». Un professeur clairvoyant, Paul KAUFFMANN, repère l’élève « peu perturbé mais très perturbateur, qui a besoin d’être canalisé mais qui n’a pas envie de l’être ». Le paroxystique fougueux caractère jugule sa puissance de feu, sauvé par l’art culinaire.

« J’ai tout essayé, football, judo mais depuis quelques années, je pratique le VTT de descente, un sport classé extrême, avec casque et protections, comme une piste noire de ski descendue à fond. Cela canalise, vide totalement l’esprit ». Entre 2001 et 2003, l’apprenti démarre fort à l’Auberge du Cheval Blanc* à Westhalten. « Chaque passage dans une grande maison représente une rencontre avec des mentors éphémères qui vous marquent et ensuite on continue notre vie. On garde ce que l’on apprend, on prend le meilleur pour soi ». Le défi de l’obtention de l’étoile le pousse au Rosenmeer à Rosheim.

A peine majeur, il verse dans la pâtisserie pour comprendre « les vrais desserts travaillés » alors qu’il préside aux sauces et à la viande. La récompense importe ici moins que le chemin pour y accéder. Ne pas regarder le passé mais voir le parcours. Le meneur strasbourgeois emporte son équipe à la victoire dans un enthousiasme maîtrisé. En 2005, le Cygne**, à Gundershoffen, l’emmène au fil de l’eau. Trois années aux côtés du grand Emile YUNG, au Crocodile**, perfectionne sa connaissance des techniques.

En 2010, il épaule le cuisinier de La Chatelle, une belle bâtisse du XIIIème, à Ugine (74). Le Maître Restaurateur 2017 traverse toutes les marches du métier à une rare vitesse. Un an plus tard, exécutif à l’Auberge Blanche Neige, à Labaroche, dans un registre plus bistronomique, il rentre en quête identitaire. A l’Essentiel, à Haguenau, deux ans lui suffisent pour maîtriser un contour plus tendance. « J’ai voulu apprendre tous les styles car j’ai toujours aimé apprendre d’autres façons de faire ».

En 2014, chef à domicile en parallèle de son poste au Château-Restaurant « Le Golf du Kempferhof », à Plobsheim, il parfait son sens de l’improvisation, sa célérité, son maniement des produits nobles et sa capacité de gérance. Sa lecture des secrets s’affine aux Grands Express, à Geispolsheim, entre 2015 et 2019. Là, aussi à l’aise dans la prouesse technique que dans les bravades de la carte, après son tour des mondes de la cuisine, il séduit la Famille BURRUS qui lui offre, « une opportunité en or », le 1er juillet 2019 : diriger les cuisines du « Relais de la Poste » à la Wantzenau.

Loin de la recette qu’il ne prise point, le jeune homme de 33 ans privilégie le bœuf permanent en jazzman du toucher, à l’œil, sensible à la matière. Foin de « plat-signature », la permutation naît de la saisonnalité qui jamais ne lasse, s’origine dans l’émerveillement devant un allégorique volatile. La transmission ravit le gérant du Relais de la Poste, au sein de son équipe mais également avec les plus jeunes, en atelier dégustation. A partir d’échanges perpétuels, les essais concordent ou surgissent de la spontanéité stimulée par les habitués.                        

Thomas KOEBEL demeure profondément attaché aux subtils miroitements de son terroir mais voue une passion aux autres formes, africaines, indiennes, japonaises. De ses clins d’œil amarrés à sa soif d’ailleurs, le jeune chef ne joue jamais l’amalgame ni le chambardement : « J’aime la cuisine bourgeoise, celle d’Escoffier, d’antan, quand elle mijote, prend du temps. Celle de maman et de ménage remise au goût du jour. Je veux du marquant, de l’élaboré, aucun jus court mais des sauces réduites, concentrées une journée entière ».

La volonté de transcender sans cesse sa contrée par une conciliation mesurée entre la tradition et l’innovation se perçoit dans la transfiguration d’un Bibeleskäs (littéralement fromage de poulettes, spécialité alsacienne à base de caillé égoutté, de crème fraîche, d’ail, de ciboulette accompagnés de pommes de terre en robe des champs et jambon). Le caractère aérien de la mousse de pommes de terre sautées, le léger craquant d’une fine tuile de tubercule caramélisé, le fondant d’un jambon cuit douze heures juste snacké, la douce texture d’un caviar de persil disposé en petites perles concourent à réenchanter le mets.  

La matière diffère de la texture, le jeu importe en bouche, le goût originel prend une forme de modernité. « Un plat est un bond en arrière, le fond de la marmite de la grand-mère qui devient gastronomique ». Le premier amuse-bouche s’érige en cône à la purée de chou-fleur, pomme verte Granny Smith, caviar de hareng. Viennent ensuite une tuile façon tarte flambée, un presskopf (tête pressée ou fromage de tête) de cochon, gelée de persil, purée de céleri, touche de moutarde, capuccino de foie gras et choucroute confite.

L’éveil du palais se précise avec un velouté de butternut, dampfnudel (petit pain blanc ou pain au lait gonflé à la vapeur), compotée de mirabelles et tranche de magret fumé. La sphère de foie gras se laque au chocolat, son cœur se confit à la poire. Le saumon fumé et les œufs de truite se marient dans l’esprit d’un maki contemporain. Le pavé de silure rôti au beurre de genièvre s’accoquine d’un navet salé confit et de zeste d’oranges, kässknepfle (quenelle au fromage blanc) à l’anguille fumée.

Le pigeon de nid de ferme se décline en poitrine au foie gras pané à la roquette et cuisse confite comme un fleischnaka (farce composée de viande cuite, œufs frais, oignon, persil, sel, poivre, roulée dans de la pâte à nouilles) servi avec du chou rave et de la patate douce. La délicate issue magnifie la balade : poêlée de mirabelles aux éclats de caramel soufflé, crème glacée au foin et émulsion au lait de brebis.
 

LE RELAIS DE LA POSTE ALSACE

Situé au nord-est de Strasbourg, l'Hôtel Le Relais de la Poste a confié la cuisine gastronomique de son restaurant au...

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