PORTRAIT DE CHEF
Nicolas GUILLOTON & Thomas BELVAL

Par Fabien Nègre
  • Thomas Belval et Nicolas Guilloton

Contrebassiste forbachois à la sensibilité harmonique des jus bourguignons, lyonnais pur canut franc rôtisseur, Nicolas GUILLOTON et Thomas BELVAL, cordial duo brillant, accordent l’authenticité sauvage des terroirs voisins dans des variations végétales contrapunctiques, des acidités spiralisées aux sucrosités fleurées. 

 
En 1979, s’ouvre à la vie un mosellan à l’enfance goulue. Un oncle luxembourgeois qui tient un petit restaurant de village attire l’attention de l’adolescent : « Entre 5 et 15 ans, quand on lui rendait visite, j’épluchais les patates avec lui, je regardais, j’aimais l’ambiance ». La mère du petit lorrain, à l’instar de tout le gynécée, fait bonne chère. Le jeunot décroche son baccalauréat série scientifique avant que d’enregistrer son inscription en musicologie à l’Université de Strasbourg. De front, il pince les quartes graves de sa contrebasse jazz au Conservatoire de la capitale historique de l’Alsace.
 
Pour financer ses études, il boulonne dans des restaurants et pizzerias de la ville. L’incipit pour le métier ne tarde pas à l’enlacer : « avant l’émotion gustative, la connaissance des produits, la technique, j’ai aimé l’organisation, la précision, la rapidité, l’efficacité ». Le bizuth musicien et musicologue n’achèvera pas ses cursus, frustré de ne pas atteindre l’improvisation, forme suprême d’excellence. A 22 ans, la proviseure du lycée hôtelier de Strasbourg l’invite en BTS Restauration, qu’il embrasse, tout embrasé pour une toute autre partition.
 
Il n’oubliera pas les nombreux points d’ancrage entre la mélodie et l’art culinaire : harmonie des tessitures, romance des accords, rythmique des sensations, variations des timbres, équilibre des mâches. En 2002, l’apprenti d’Émile Jung, au Crocodile***, touche un personnage de cœur, fascinant maître cuisinier et sommelier seigneur, émouvant et paternel, généreux et technicien : « une personne qui ouvre les yeux sur l’extrême qualité des matières premières, une envie de faire plaisir, l’art des sauces, le foie gras, le gibier, les pigeonneaux de Théo Kieffer, le colombiculteur de Nordhouse, l’ineffable crème glacée à la vanille ».   
 
En 2005, le commis s’aventure dans une autre cour des grands, au George V, aux côtés de Philippe Legendre, MOF1996 et chasseur, cuisinier réputé du gibier : « Des produits nobles jusqu’à l’indécence, des truffes commandées par 50 kilos ». Il ne se reconnaît ni dans cette brigade intense ni dans cette gastronomie ostentatoire. En 2006, le chef de partie de la résidence de l’Ambassade de France à Londres, monte rapidement sous-chef.
 
L’expérience britannique le conforte dans son désir de tout apprendre sous les ordres d’un grand technicien et d’un maître de la transmission, Gilles Quillot : « à trois, on faisait tout : le pain, les bonbons au chocolat, les fruits déguisés, les desserts, boulanger, pâtissier, cuisinier ». L’exercice avéré de l’administration gouvernementale se décline en ingénierie des menus, alimentation et boissons mais également en gestion hôtelière. Entre 2007 et 2010, le volontaire international s’envole pour Bamako, au poste de chef intendant de l’Ambassadeur de la Résidence de France.
 
Le chef exécutif réalise l’ouverture, la création des cartes et gouverne la brigade conséquente du restaurant de l’Hôtel Radisson Blu 5*. Ce long séjour malien le bouleverse par l’humanité des êtres, l’humilité des rapports humains, la qualité des produits naturels : « une sauce feuille avec des feuilles de patates douces, une tomate suprême, de la coco, des mangues, des papayes, des ignames, du manioc. Seul le beurre était français. Nous avons beaucoup à apprendre de ces paysans locaux. Le Mali est un pays où toutes les productions m’intéressent ».
 
Dans ce paquebot au petit gastro et au grand bistro, le rêveur structuré s’exerce au savoir du muscle par la découpe des animaux entiers, bœufs ou jeunes moutons : « la découpe s’effectue d’instinct, par imagination mais elle est aussi très rigoureuse ». La connaissance anatomique poussée aboutit à l’obtention de morceaux spécifiques adaptés à des préparations culinaires variées qui limitent le gaspillage. Les poissons d’eau douce tels le samou ou de mer comme le capitaine exigent une autre précision.
 
En 2011, Nicolas GUILLOTON revient dans le Bas-Rhin, non loin de Saverne, dans un Hôtel Restaurant renommé, Au Lion D’or, à la Petite-Pierre. La gouvernance de cet établissement parva-pétricien où les chefs ont vingt ans de maison ne coule pas de source. Avec Alain Alexanian, ex chef étoilé lyonnais à l’Alexandrin, le solide lorrain conseille les chefs en Afrique pour Accor. Il prône un meilleur usage des produits locaux « extraordinaires ». Parvenu à Lyon en 2012, il ouvre son restaurant, l’Atelier des Augustins, en 2014. Au commencement, l’envie se subsume simplement : « un vrai restaurant qui propose une bonne cuisine qui nous plaît, pas un bistrot, ni un gastro, ni une brasserie ». Le gibier notamment le sanglier, le perdreau, la biche, le colvert ou le lièvre font l’objet d’une mise en avant singulière.
 
Des provenances voisines associées à un impressionnant livre de cave surtout en Bourgognes et Champagnes, la création d’un Atelier sans pareil en cohérence avec ses environs, un logos tissé à un topos, une complexité imperceptible, une lisibilité compréhensible, la détermination de ne pas tout styler, ne pas nommer ces élégantes longueurs, ces subtilités chromatiques, ces profondeurs gustatives enjouées, du végétal entre amertume et acidité, du crémeux onctueux autour de variations immanentes et enlevées pour que le palais se lave dans des stances de ponctuations, autant de niveaux d’évidence qui concourent à architecturer un sentiment culinaire.
 
Dans ce pas à pas de franchise, la nature, les poissons du proche lac Léman, les herbes auvergnates, les agrumes rhodaniens réancrent Lyon au croisement des Gaules, entre Jura et Bourgogne. En 2017, Thomas BELVAL entre en jeu. Il pose ses conditions : « si je viens, je veux une étoile, pourtant, c’est un objectif égoïste, des sacrifices personnels, pour l’équipe ». Le 18 mars 2024, l’astre luit. Le local de l’épreuve perle à la vie, à Lyon, en 1997.
 
Le père du gone exerce ses talents en chef de Léon de Lyon**, l’historique restaurant de Paul Lacombe où Georges Bocuse, père de Monsieur Paul, exerça onze années. Le restaurateur acquiert plusieurs établissements dans la ville au confluent du Rhône et de la Saône. La mère du chef associé de l’Atelier des Augustins, issue d’une famille italienne, voue un culte à ses fourneaux. La grand-mère maternelle sarde, grande saucière prénommée Dulcana, représente aussi un exemple pour toute la maisonnée : « la meilleure cuisinière du monde ».
 
L’enfant essuie des pommes de terre à trois ans. A sept, l’handballeur ailier et pivot canalise son énergie dans ses fulgurances de terrain. Ce sport collectif l’amène à aimer ses coéquipiers. Il s’adonne, ensuite, au tennis de table où la gagne groupale se forge dans un combat « dans la tête », sur ses appuis physiques, avec de la « cardio », à l’image déjà de la cuisine. Au collège, ul’adolescent prodigue se mue en fils prodige qui soutient son paternel aux plats liminaires et aux issues durant les vacances : « j’ai toujours voulu faire chef malgré les avertissements de mon père, même si paysagiste ou architecte m’ont traversé la tête. Les goûts, les odeurs, l’effervescence, c’est pour cela qu’on le devient ».
                 
Le « très bon élève » abandonne pourtant tôt sa trajectoire scolaire. A sa majorité, l’interne accède au baccalauréat professionnel cuisine au lycée Hôtelier couramiaud Les Petites Bruyères. En 2015, il s’élance en demi chef de partie au Domaine de Clairefontaine*, à Chonas-l’Amballan, une maison de charme bucolique où Philippe Girardon, MOF 1997, lui lègue des savoir-faire, bien mieux, une âme en paix. A 20 ans, le chef de partie poisson dans la brigade carcassonnaise de Franck PUTELAT** ne s’attarde que sept mois mais il sait le « classique/fiction » en évasion, les minutieuses arabesques du terre et mer, le quartier libre de la création.  
 
En août 2017, à l’Atelier des Augustins, pendant trois ans, le jeune chef cèle un duo avec Nicolas GUILLOTON. En 2021, à cours d’inspiration, « bloqué techniquement et intellectuellement », le chef de partie « tombe amoureux de la cuisine » de Christophe Hardiquest, à Bruxelles, chez Bon-Bon**. Ce créatif ultramoderne à la franchise claquante, dans un lieu étonnant, lui donne un coup de fouet. Il redécouvre la profondeur limpide, la lisibilité intelligible, l’originalité d’un « fou qui cherchait la consécration suprême ». Cette vision des techniques et des assaisonnements contribue à éclaircir son propre style.       
 
Le chef exécutif puis associé de l’Atelier éco-responsable, Label Green Food depuis 2022, joue une cuisine de cœur, proche, concentré d’humanité et d’émois. Le fils de Chef émérite s’autonomise par sa pugnacité et sa persévérance. En rôtisseur exigeant dont la patience et la rigueur singularisent les vrais consciencieux, le « fan » d’acidité végétale se bouscule par l’ imprévu de chaque bouchée, la densité d’une texture, le passetemps d’une gorgée. Avec des vins symphoniques ou des crus de chambre qui escortent chaque proposition, la bonifie, la réhausse, les deux complices recherchent une délicatesse, une élégance : « si on nous demande un vin puissant et tannique, on ne le sert pas ».
    
Les Champagnes emportent les plats dans un autre monde grâce aux textures de la bulle. Les deux comparses hyperesthésiques, en toute sincérité, provoquent de l’émotion et convoquent la grande éducation à la ressentir : « dans notre identité, nous mangeons ici quelque chose que nous ne mangerons pas ailleurs ». Cette réinscription dans le monde transcrit une manière de penser sa source : « Notre restaurant existe à Lyon et ne peut exister qu’à Lyon. Il s’articule à la ville. Cela n’a pas de sens de faire venir la mer ».
 
L’oblation du bouillon au céleri à l’aspérule odorante nous convie à une ablution à l’orée de la gustation. Le croustillant de châtaigne, jaune d’œuf confit à l’orge, praliné champignons cingle. Un beurre monté aux champignons résonne avec un pain maison au levain, fagot d’herbes/vinaigrette de laurier. Le chawanmushi topinambour, miso rouge, condiment poire, châtaigne, échalotte noire, sorte d’accelerando a capella, cadence la salade verte hivernale, carpe fumée, vinaigrette estragon mexicain.   
 
L’omble au vert, « lard’omble », croutons de focaccia fugue avec le colvert “Rossini”, jus réduit au cassis fermenté, sauce XO et salade d’abats. Le lait, berceuse d’un ténor séquencée, annonce la pâte de fruit coing, condiment piment moutarde, comme une tatin de coing et mélilot, sorbet coing fumé et vinaigre de coing. Réinventer Lyon comme carrefour, coutume sans costume, nœud réticulaire, équivaut à éclairer ces agriculteurs à l’écoute de la nature et de la santé. Dans ce dénuement mélodieux fleurit le seul dénouement de la splendeur du goût.  
 

L'ATELIER DES AUGUSTINS

Sur la Presqu'île, le restaurant L'Atelier des Augustins est entre les mains du chef étoilé Nicolas Guilloton. Le chef est...

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