A Saint-Etienne, le 7 décembre 1986, germe un altiligérien de la campagne agricole qui ne brigue en rien la mandoline. L’arrière-grand-mère maternelle, intendante d’un Château à Saint-Victor-Malescours, rôtit, pourtant, divinement ses belles pièces sur un fourneau à bois : « Elle m’a transmis le goût simple et authentique des produits, une émotion pure d’enfance, par exemple, cet œuf de ferme frais sur une tartine de Saint-Nectaire ». Le bisaïeul garde les eaux, bois et forêts alentours. De ce bassin minier populaire, de manufactures et de fonderies, les grands-parents maternels et paternels s’exilent dans la Loire, sarclent leurs jardins.
Dans cette perspective d’amples prairies herbeuses, l’humidité ébauche des marais où les gentianes apostrophent les potentilles, molinies bleues, grenouilles rousses et tritons palmés. Les perdrix, chardonnerets, piverts, et moultes bergeronnettes abondent. Dans la promenade giboyeuse, lapins, lièvres et chevreuils, surabondent. Au fil des rivières, vairons, loches, goujons et autres truites farios remuent. La burle, ce vent hivernal violent qui arrache tout, n’empêche pas la cueillette des myrtilles et mûres sauvages. Toute la lignée tue et transforme veaux et cochons une fois l’an.
Les Pénates scrutent avec amour le fond des casseroles. Un jour, le grand-père maternel du môme de cinq ans révèle la première rosée d’une carotte, au goûter, juste sortie de terre, toilettée, la primale puissance de la profondeur gustative, « un marqueur inoubliable ». La mère, modeste ouvrière, chaque année, supplique à son fiston son plat de fête d’anniversaire. L’enfant se délecte d’un morceau de partage, un foie de veau au vinaigre de framboise : « la vie éternise des souvenirs qui font passer le temps, des moments de nostalgie ».
Après un BEP Vente validé en parallèle de menus travaux dans une boutique de vêtements, entre 15 et 18 ans, le bachelier Sciences et Techniques Tertiaires enclenche un BTS Management à Clermont-Ferrand mais le manque de conviction le paralyse. En 2006, le désir de voyage et le souffle de la vie sudiste l’exhortent. A 20 ans, à Bormes-les-Mimosas, le plongeur se convertit à la folle énergie de la cuisine sur la plage de la Favière. Le coup de feu, l’apprêt collectif, ce sentiment sensationnel « d’une famille entière qui vit ensemble » ne le lâcheront plus jamais.
A Vancouver, au bistrot français « Les Faux Bourgeois », où les semaines se dilatent à cent heures, le commis voyageur s’emballe pour les fruits de la mer, les crevettes de petits bateaux sans taire les références de son enfance tel le pâté en croûte. En 2009, le retour au pays, sans formation ni école de gastronomie, ramène brusquement au bon plancher des vaches : « Je ne connais aucun 3*, pour moi, chez Troisgros, on mange une soupe à l’oignon ». Sur cent requêtes aux étoilés, trois répondent seulement, un seul accorde sa loyauté.
Michel HULIN, à la Cabro d’Or*, aux Baux-de-Provence, sonde la soif de savoir de l’incandescent arpète transcendé par l’équipe estivale étoilée qui s’agite 7/7 : « Je comprends maintenant la cuisine. Je veux gagner le haut niveau ». En 2010, à Lyon, Maxime LAURENSON, sur le conseil d’Alex Tournadre, propriétaire du restaurant Alex, au cœur des Brotteaux, met les bouchées doubles. En deux ans, ce chef classique l’émeut par ses feuilletages et ses jus, ses glaces maison dans un souci permanent de ne jamais rien gâcher.
Après un CAP Cuisine à Annonay, le stéphanois chef de partie poisson à La Mère Brasier** où le MOF 2004 Mathieu Viannay lui insuffle la noblesse de la manière bourgeoise lyonnaise, collectionne les tables remarquables. Chez l’étoilé François Gagnaire, au Puy-en-Velay, au premier étage de l’Hôtel du Parc, il se perfectionne dans la douceur virile des gibiers. En 2013, Jean Sulpice, à Val-Thorens, à l’Oxalys**, à 23OO mètres, dans la montagne, le bouscule par la force du végétal, « une identité profonde qui raconte une histoire avec une incroyable qualité de produits ».
A Paris, en 2014, après un arrêt chez Stéphanie Le Quellec, au Prince de Galles*, il accepte le poste de second au Lancaster**, aux côtés de Julien Roucheteau à la « technique vissée ». Là, il installe un jardin sur le toit, la terre végétale des maraichers et des ruches. Il participe aux entrainements de son Chef pour le MOF.
Herbes et fleurs, verveine ou agastache configurent son terrain de jeu. Cette culture des plantes s’origine sans doute dans le soin d’un père à confectionner lui-même son alcool de prunelle. L’altitude végétale apporte une vivacité, une longueur peu commune dans ses assiettes puissantes à l’identité structurée et ancrée. La reine des près, le sureau, le jasmin, la marjolaine, les préférés du chef, balancent entre amande douce et amère. Sans fermentation, la singularité de ce geste se remarque aussi sur les baies rouges.
En 2016, le jeune auvergnat prend le poste de chef de Loiseau Rive Gauche* où son talent éclate au grand jour. En 2021, après quinze mois d’ouverture, chez lui, à Lyon, l’étoile scintille de nouveau chez RUSTIQUE. Maxime LAURENSON se distingue par un style brut, sauvage, engagé. Il aime « prendre soin des gens » dans le moelleux d’un escargot, dans une altérité créole de bienvenue, un jus de géranium rosa, rose et litchi : « Hélène, ma femme réunionnaise et moi, nous avons tous les deux vécus sur un volcan avec des modes alimentaires identiques : le fumé, le boucané ».
Ce fou de béarnaise, ce sabayon suave, sauce herbacée à la fois acide et sucrée, examine la tension la plus proche de la nature paysanne contemporaine réinterprétée avec fraîcheur et légèreté. Du territoire surgissent le fin et le délicat rural : « Dans ce monde, j’ai envie de sincérité sans fard, d’authenticité pour passer un bon moment, j’assume ce que je sers ». Celui qui efface la carte en toute liberté sauf la blanche à la Pascal Barbot diffère par les convictions de son écriture : « Ici la parole est donnée à la nature sauvage et aux paysans qui la domptent. Ma cuisine est comme la vie paysanne, brute et généreuse marquée par la puissance du feu de bois et la fraîcheur végétale".
L’amoureux du côte-rôtie, en adéquation avec la matérialité de son imaginaire, recherche le sens de la fête dans une cuisine sophistiquée jamais cérébrale ni intellectuelle. L’échappée belle approche sur des premiers pas, pattes de colombe : un jus végétal, une salade « tonic », un escargot rôti aux herbes, une rissole au bleu des Alpes emmaillotée de caviar Daurenki, un lait de peau de silure et des lentilles vertes du Puy en consommé de bonté d’accueil. Le biscuit de brochet resplendit en flan lacustre à la trame texturée de pain perdu salé. Le beurre maturé au foin désaltère de sa délicatesse agreste.
La coulée en immanence métaphysique envole loin dans un œuf de poule, champignons, poutargue & marc de café; un sandre aux carottes, fleurs des champs; des crevettes de méditerranée au jambon de vache & sapin; un pigeon céleste à la braise, artichauts, cuisses confites, anchois chocolat. Le fromage de brebis ardéchois se mêle à la poire et au romarin. La reine des près s’enivre de coing et de grenadine. L’ondoiement final, sauvage et raffiné, cristallise un esquimau aux cèpes et noisettes, un petit ourson éclaireur d’une ultime onctuosité en mousse au chocolat fumée.
Photos : Stéphanie Biteau - Nicolas Villion - Arts et Gastronomie.