A Rosny-Sous-Bois, le 25 mars 1985, un intrépide s’ouvre à la vie. Père et mère œuvrent en banque, l’un en directeur chez HSBC, l’autre en employée. Le paternel en pince pour les toqués auxquels il l’initie par gradation. Chaque année, à partir de ses dix ans, le fils unique honore son jour glorieux dans un 3* : Bernard LOISEAU, Michel TROISGROS, Paul BOCUSE. L’adolescent « impacté » s’éprend de l’amour de la gustation. A Villepinte où ils se déplacent, les parents embarrassés mirent la scolarité vaciller : « Mes résultats ne brillaient pas, je manquais d’attention, j’avais un comportement agité ».
En fin de 3ème, la tête dure au cœur tendre, handballeur ailier, bourré d’énergie, distingue sa voie dans un banal CIO (Centre d’Information et d’Orientation) communal. Deux passions chevillent son corps : la publicité et l’acte fabuleux de « manger ». La restauration seule esquivera la skholè. La salle ne le captive pas vraiment mais il n’incline pas pour autant vers la cuisine par passion car ses alliés obèrent un peu le chemin. A contrario, les grands-parents maternels, les oncles et tantes paternels cultivent les fêtes culinaires dominicales : « Les gros repas de famille duraient toute la journée, une douzaine d’huîtres, saumon, foie gras, j’ai eu le palais ouvert dès 8 ans ».
En 2000, à l’Ecole Jean DROUANT, rue Médéric, le jeune garçon se jette dans la pâtisserie où un professeur l’enthousiasme. L’alternance le violente mais remet le facteur sur le vélo. A 15 ans, son créateur l’oriente vers l’Auberge des Saints-Pères, chez Jean-Claude CAHAGNET, son « père spirituel pour toujours », afin de l’éloigner des fourneaux : « J’ai pris cher mais je n’ai ni faibli, ni bronché, c’était mon passeport de cuisinier ». En deux ans, le jeune homme assimile presque tous les savoirs des métiers de bouche. Son Chef parvient à juguler son refus de l’autorité et son rejet de la discipline.
La cuisine lui inocule le respect absolu des règles. En 2003, sur le Campus de Jouy-en-Josas, le petit qui n’aime pas les poireaux mais en raffolera bien plus tard, intègre l’Ecole TECOMAH (Groupe FERRANDI), dans les Yvelines, pour se perfectionner. Son parrain de gastronomie maintenant premier étoilé du 93 le place de maison en maison. Une année à la Toque Blanche, chez Philippe ROBIN, charmante auberge de campagne au cœur du joli village des Mesnuls, près de Montfort l'Amaury, où il acquiert une manière raffinée, créative conjuguant traditions ancestrales et saveurs d’altérité.
Au Camélia*, maison iconique du légendaire Jean DELAVEYNE, à Bougival, avec Thierry CONTE, le commis affûté s’immerge dans un style néo-traditionnel au gré du marché sur les bords de Seine. Au Warwick Paris*, rue de Berri, Franck CHARPENTIER, maître cuisinier de France, qui vient de quitter son Quincangrogne à Villiers-sur-Marne, lui prodigue la cuisine moderne alliant produits locaux et subtilité asiatique. En 2005, en un mois, le commis de Cyril LIGNAC se métamorphose en chef de partie. Il se lance, s’émancipe des pères et de ses pairs.
L’homme du poisson remplace au pied levé le médiatique lieutenant Norbert TARAYRE. A fond, à 21 ans, l’astucieux couteau suisse au fort caractère aspire aux ors et lambris d’un Hôtel raffiné. Au Prince de Galles, la « palacier » Benoist RAMBAUD lui inculque le management, art de ménager. La noblesse des produits l’abasourdit : langoustes, homards, truffes. Entre 2009 et 2013, l’emballé fait un bond pour le poste de second. Alain PEGOURET, chez LAURENT**, mène un train infernal avec sa brigade aguerrie de « 30 bonhommes de 40 ans ».
Le faste par excellence : « des turbots de dix kilos, des bars de ligne imposants. 80 kilos de tourteaux tous les jours avec les araignées de mer jaillies de l’eau ». Le bras droit envouté par les miroitements de la marée gouverne ses postes aux frissons du passe. Il régente d’une exigence suprême son service de 250 couverts avec les Salons. En 2013, à La Tour d’Argent**, Laurent DELARBRE, MOF2004, l’embrigade dans son équipe de feu. Dans ce lumineux donjon où s’activent davantage de sommeliers que de serveurs, le trentenaire au poste le plus stratégique de la maison cuit ses 90 canards au sang par jour.
Yoann LASTRE, orfèvre du pâté en croûte, champion du monde 2021, l’inspire par son acribie, l’aimante pour se hisser au titre de Chef. En 2014, le compétiteur monte, en argent national, sur le podium de Chefs en Or Transgourmet. En 2016, pendant six années pleines de transparence et d’excellence, le cuisinier du Christine (75006) abat sa carte blanche en toute liberté. En 2022, l’ex-chef du Sinople (75002) inaugure, en patron, l’Escudella (75007) où il créé sa propre signature culinaire caractérisée par des techniques gastronomiques articulées à des produits bistronomiques.
Dépassant dans sa dialectique heureuse l’opposition classique spécieuse entre le haut goût et le troquet qui singularise notre modernité, le chef associé de l’Evadé (75009), depuis octobre 2023, réalise de justes assiettes où la justesse confine à la justice. Pas de grands produits mais le luxe de la douceur des coctions, le charme de la minutie des arrangements dressés dans un poisson nacré : « cabillaud, riz croustillant, sauce au lait de coco gingembre, potiron, coriandre, citronnelle ».
Nommer les ingrédients, associer des techniques et des idées pour structurer des niveaux aromatiques magnifiés dans leur évidente complexité : voilà le plaisir du visuel, couleurs et aspects de la matière dans son « olfactivité ». On retrouve cette puissance profonde de la simplicité à l’Escudella (75007) dans le pâté en croûte, volaille, canard et foie gras, pickles, condiment oignon rouge et moutarde de Brive ou la joue de boeuf braisée au vin rouge, carottes, champignons, purée de pommes de terre.
L’évadé signe une allusion à Bertrand Clauzel, officier de l’armée française profondément attaché à Napoléon qui organisa sa fuite pendant son exil aux Etats-Unis. En miroir, Rémi POULAIN, trace notre échappée belle, évasion haubanée par un foie gras simplement poêlé au miel épicé, un ris et une côte de veau du Limousin sur un oreiller moelleux de champignons, l’insolente tendreté d’une Côte de bœuf Angus. Rigueur, distinction, déférence pour la provenance triangule la saveur.
Le dessin des contours de l’intentionnalité ne se dévoile jamais autant que dans les savoureux desseins d’une envolée : « Saumon/Paimpol/Poivron Rouge/Oseille/Tomate confite ».