Vésulien embéguiné des «choses simples mais bonnes», vision ducassienne de la grandeur par éminence, virtuose de la triangulation affranchie poissons-légumes-céréales, neuréen aimanté par la magnitude des foudres du défi, Romain MEDER, épris de l’altérité et de la saveur des ailleurs, explore l’élégance du savoir de la retenue devant tous les esprits de la naturalité absolue pour façonner la profondeur poétique de l’évidence anoblie par la maestria inimitable de Denis COURTIADE.
Le nouveau-né voulait voir Vesoul le 31 octobre 1978. L’origine du délice, à Neurey-lès-la-Demie, en Haute-Saône, dans cette Franche-Comté roborative et généreuse, tient dans une ruralité autarcique de deux cents villageois. La gourmandise coule, entre les âmes d’un grand dimanche à la campagne. La grand-mère farine les beignets de Carnaval, dentelle les crêpes de la Fête des Chandelles. «Toute la famille vit là et mange bien» car le grand-père, en «chef de cuisine» professionnel le dispute à la grand-mère maternelle, «divine cuisinière». A rude atmosphère, plaisirs salés.
Bientôt, à 15 ans, Romain MEDER épouse la vocation : «Je voulais être cuisinier, mon grand-père maternel me disait que les jeunes ne savent plus travailler la viande, j’ai fait un apprentissage de boucherie à Vesoul en 1994». La monotone viande l’ennuie aussitôt. «Faire autre chose, transformer un produit brut pour en faire quelque chose de remarquable». La figure de l’aïeul fascine avec sa haute toque blanche, cravaté sous la veste. Les repas familiaux dominicaux sidèrent le jeune homme précoce : «Je me souviens de dîners royaux de neuf plats avec des poissons bellevue, des volailles et des agneaux».
En Martinique, à 19 ans, responsable du mess des Officiers pour le Général en Chef des Armées aux Antilles, lors de son service national, le curieux des trésors ultramarins et de la douceur caribéenne désire traverser les miroitements du globe. «Quitte à faire le service loin, découvrir d’autres cultures, d’autres traditions culinaires, les bases de la cuisine des épices». Apprendre, comprendre, accélérer toujours «les pieds dans la terre», telle persiste l’envoutante devise secrète du calme sous-chef de la remarquable maison « Potel & Chabot ».
Avide de maîtriser la stratigraphie topologique du métier, il cumule un CAP Boucherie, CAP-BEP cuisine, un BP traiteur. «Je vis dans la crainte de l’absence de polyvalence». Chez l’imparable traiteur de Chaillot, il pratique l’organisation massive. «Défi militaire». Au passage du 21ème siècle, l’homme volontaire dévale à Paris, sous-chef d’Hélène DARROZE, «une façon différente, une cuisine sud-ouest, riche, simple avec une quintessence des confits, une ambiance particulière ou toute la brigade donne du «Hélène»». Le jeune homme qui ne s’endort en aucun cas n’apprécie rien tant que voyager, tracer, s’échapper. «On en voit jamais assez, on en fait jamais assez».
En 2006, Alain DUCASSE le requiert au Plaza Athénée, «chef de partie» puis «sous-chef». Le «chef de la Cour Jardin» au caractère dressé de prétendant audacieux, entier fignoleur, poursuit par une rutilante victoire : «Directeur des cuisines» du SPOON des îles, trois ans durant, sur l’atoll Mauricien. «Ne jamais s’ennuyer dans un travail qui est une passion à la folie». Pour le Groupe AD, il sillonne Russie, Japon et Qatar. «Je veux l’essentiel tout de suite, j’en veux toujours plus, je suis un éternel insatisfait presque maladif».
Auprès du Maestro de Monaco, le jeune homme animé par la pression du défi violent, la tangente des limites, se voit missionner sur des ouvertures exceptionnelles. En 2011, au Qatar, afin d’agencer l’inauguration d’IDAM, le restaurant installé dans le Musée d’Art Islamique du Qatar, Romain MEDER traverse l’Inde, le Liban, le Maroc, New-York. «L’éveil des défis, se surpasser chaque fois comme une gymnastique du cerveau en athlète de haut niveau». Le travail sur les épices consiste à définir, rien de moins que la cuisine moyen-orientale contemporaine.
Pendant deux ans, les recherches portent sur les bons produits locaux des émirats, l’usage des légumes, la population qatarie, le regard des traditions culinaires indiennes et libanaises. «Chez le boucher de la ville, je demande un filet de chameau que je voulais cuisiner pour Alain DUCASSE et la Princesse, Ministre de la Culture. Les qataris le mangent entier, poché puis au four, génial. J’ai essayé le jarret mais j’ai pris de la chamelle pour sa tendreté. Je recherche toujours l’aventure humaine». En janvier 2013, l’ouverture fait évènement.
«J’aime la page blanche, c’est dans ma nature, chaque identité culinaire, chaque structure de carte, est monumentale. Je vis d’opportunités qui se présentent. Je prends les bonnes». Celui qui s’avoue «né stressé» et qui se met beaucoup «d’auto-pression» avant même qu’on ne lui ordonne la poussée, respecte la perfection et le perfectionnement. Engagé et engageant, il se donne les moyens de gagner toutes les courses, en se faisant violence. «Je suis un mauvais perdant» murmure-t-il, serein. Dans le haut goût et la haute restauration, la différence prime tout.
Ouvert sur l’altérité radicale, concentré olympien estomaqué par les autres cultures, les mille manières de penser et vivre la table, l’ancien «sous-chef» de Cédric BECHADE, «la cuisine au cœur», poursuit sa ligne d’horizon poissons-légumes-céréales-épices. Cette capacité à tout réinventer, tous les ans, sans aucune œillère, en s’enrichissant de la polyrythmie des climats résulte sans doute d’un métissage régulé de narrations assumées, de produits royaux, d’éléments ultramodernes et de petits artisans ancestraux qui exaltent la tentative éternelle de sensation du sublime.
«Il n’y a que du turbot et des huîtres, un tian de légumes, du maquereau, une sardine, des tripes monégasques, des plats de caractère». Distinction du viril, grâce du corsé, équilibre des matières sans violence de la réduction, les jeux réjouissants de l’acide-amer rassérénèrent Romain MEDER. «Aller toujours plus loin, j’en ai jamais vu assez, il y a tellement à voir».