Golfeur tinois à la carrure de grisbi talonneur, chercheur débordant à la rotondité joviale de décontraction philanthropique, empathique plaisant débordé par sa possession joueuse,
Pierre REBOUL, dans un vif décor harmonieux, conquiert Aix-en-Provence par une adéquate technique contemporaine, des jus singuliers, des accords affilés, une finesse qui rivalise de tendresse pour l’amour de la matière et les jeux de textures de l’ultra gourmandise.
Au biotope du pays de la sensualité gustative, un gosse malicieux de foucades prosodiques surgit, à Villeurbanne, le 13 mars 1971, d’une lignée de cinq générations de cuisiniers que le père dentiste, interrompit, brusquement. Le grand-père paternel tient « La petite auberge », à Die-en-diois. La mère trame ses fonds de sauce. «
J’ai tout le temps aimé manger, à la folie, le côté paternel et les quenelles de mon grand-père». Dès l’âge de cinq ans, le gamin gouailleur enfourne son cake nature dans la félicité fériée.
La jeunesse gapençaise ne tarit pas de souvenirs de bouche : «
je dégustais la superbe paella de ma mère, elle essayait de faire bien». La rencontre de la scolarité relève du troisième type : «
deux sixièmes puis deux cinquièmes pour bien apprendre les bases» badine le franc-tireur partisan des déambulations de l’insatiabilité. A l’adolescence, l’amoureux de la douceur apprête les dîners dominicaux. «
Je mangeais souvent chez PIC avec mes grands-parents». A 15 ans, Pierre REBOUL fonce en préapprentissage dans une célèbre maison iséroise, Michel CHABRAN, alors doublement étoilée.
«
Mon père m’encourageait toujours, mieux vaut continuer dans un métier qui te passionne». En 1986, au premier jour, le «
noilleux» pénètre dans l’atelier de la «
vraie cuisine classique». Tel un forcené pressé d’épouser l’épaisseur de la matérialité de l’expérience du réel, il brûle toutes les planches, pâtisserie, garde-manger, viandes, chef de partie poisson mais son cœur se serre à la vue de la voiture des parents qui s’éloigne.
«
Je retiens le grand professionnalisme, des moments durs, très militaires, et des valeurs à inculquer à mes jeunes, rien que du rêve, si je m’amuse aujourd’hui, en cuisine, c’est grâce à mes acquisitions solides face à un personnel qui ne sait plus cuisiner une blanquette de veau ou une béarnaise». L’ «
archi gourmand» s’instruit des «
grands repas d’affaires», sidéré par une brigade en marche, une armée orchestrée. Le virtuose du «
homard bleu au museau de porc en salade» et de «
la pintade entière de la Drôme aux olives noires» éblouit avec sa manière de classique précurseur.
La pousse de chef erre parfois mais trace son paysage. «
Je me souviens de la difficulté à cuire le poisson en filets ou des grosses pièces comme l’omble chevalier du lac Léman cuit entier avec ses petits quartiers de citron». Foin de scholastique hôtelière, le prétendant hanté par la chair parvient chez PIC, en 1989, CAP acquis, grâce à son grand-père, Gaston REBOUL, chef de l’Hôtel de France à Châtillon-en-diois. «
Chez Jacques PIC, je touche au monde merveilleux du triple étoilé». La ruche tisse son miel dans la patience et le silence de ses dix pâtissiers.
Emu jusqu’à la perturbation, l’aixois bonhomme de la petite rue saint jean mélange le basilic frais et la menthe. Eclats de rire des affranchis depuis 41 ans tel le romanais rugbyman Denis BERTRAND, doyen des sommeliers français, surnommé «
pichu». «
Là, le paradis d’une belle maison, la beauté des plats envoyés». En 1991, après dix mois d’armée dans l’aridité varoise des sangliers de Canjuers alors même qu’il devait rejoindre les Ministères parisiens, l’amour convoque le commis de TAILLEVENT. Dans cette atmosphère suffocante de «
durs à cuire», la plaisanterie cesse derechef.
Jean-Claude VRINAT effraie par sa rigueur naturelle et son charisme impérial. Philippe LEGENDRE, embrasé et effervescent, réalise 250 couverts par jour dans ce mythe du haut goût français élevé au rang de marque mondiale. «
Je suis le seul à l’avoir rendu fou mais plus on donne, moins on reçoit». La «
pression» traverse tous les esprits et dresse tous les corps. Le «
drogué de sucre» se voit bombardé dans un poste stratégique, la rôtisserie, grillade infernale ad libitum : poulets de Bresse entiers, côtes de bœufs géantes. Du grand art.
En 1992, le garçon «
bonnard» arrive rue Rennequin, chez Michel ROSTANG**. Du bistronomique au gastronomique, de chef de partie à second de cuisine, l’amateur de vitoles escalade toutes les marches. Après un passage à Anguilla en consulting grâce au Groupe dirigé par Caroline ROSTANG, le collectionneur de garde-temps inaugure l’Absinthe, place du marché Saint-honoré. Dans la foulée, le bienveillant Jean-François ROUQUETTE l’informe d’une occurrence à Tain-l’Hermitage.
En 1997, à 26 ans, il lève le rideau de sa première affaire. En 2003, au «Rive Gauche», l’étoile tombe des cieux. «
Un grand souvenir, les radios m’appellent pour m’en informer, les caméras débarquent». En 2007, sur le conseil parental, «
ils me répétaient, Aix est une ville d’art et d’affaires», le passionné de fauteuils au design original et décalé, inaugure le restaurant « Pierre REBOUL ». Inventif et surprenant, ludique et sérieux, le style REBOUL chemine du conditionné des produits structurés à l’inconditionné des accords différenciés.
«
Je veux voir des jeunes gens se faire plaisir avec un hamburger de cailles ou des sardines. No limit». Dans une salle boisée dédiée à l’art contemporain qui enlace l’idée de sa cuisine, Pierre REBOUL essaie de «
faire bien», d’améliorer la verrerie : «
les gens viennent passer un moment». Toujours en mouvement, sans cesse en transmutations de soi, tantôt mêlant billes et sphères, tantôt jouxtant radicalité et fugacité, «
je ne pratique pas les mondanités, je suis un homme d’excès, sans demies-mesures», cette faconde techno-émotionnelle où surviennent bien des sucs stimulants s’amuse sans taire le produit ni la densité des textures : «
il ne faut pas oublier que l’on cuisine pour des gens qui viennent manger».
Fluide et fraîche, la présence bachique s’inscrit dans un libre horizon : «
trois gorgées, trois bouchées». «
Le goût, plaisir suprême, se reconnait». Des saveurs pointées, sucrées-salées ou épicées affleurent çà et là dans l’envolée de petites vagues qui conservent la sapidité tout au long du voyage. Dans le surf, la bête se pique, se tourne et se retourne pour la surprise de l’assiette. Les cannellonis de coin roulés répondent à la truffe de pleine saison. «
Je ne veux jamais m’ennuyer, trop de trop tue le trop».
L’ogre alerte veut tout casser pour repenser ses espaces. «
Une entrée à part, une cuisine centrale pour manger partout autour». Voir, percevoir. «
Les amateurs viennent pour notre cuisine, pas pour moi». Des multiplicités explosent, à peine confessées. Des cristallisations lointaines discernent leurs échos. Soudain, le sol se dérobe sous nos pieds dans une noyade accompagnée. Le foie gras poêlé parie sa pomme-passion. Le gras suave du belotta joue avec la gelée de melon de Provence. La Côte de veau croûtée aux cèpes tente son jus au café évanescent d’ancrage palatin.
Le Saint-Pierre de Méditerranée balance entre une savante cigarette d’aubergine et de ratatouille piquante froide et un beurre de citron fumé roulé dans sa flamboyante pudeur. Le rare thon, seigneur de méditerranée, grillé minute au barbecue, rehaussé de câpres-oignons, souffle un air de tortilla revisitée au piment d’Espelette. Par le miroitement profond des jeux texturés de l’abricot et de l’huile d’olive, le doux rosé pimenté du Clos des fées se susurrent «
Les sorcières».
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