PORTRAIT DE CHEF
Hélène DARROZE

Par Fabien Nègre
  • Hélène Darroze
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Dans le regard d’Hélène DARROZE, se mirent timidité farouche et détermination fragile, comme un matin de fête, comme la chair d’une rosée.

L’œil se trouve là où se trouve l’amour, selon une formulation énigmatique d’Albert Le Grand. Dans le regard d’Hélène Darroze, se mirent timidité farouche et détermination fragile, comme un matin de fête, comme la chair d’une rosée. Quand elle surgit, d’emblée, la délicatesse d’un René Char abolit le signe : « Aujourd’hui est un fauve, demain verra son bond ». Le charme sauvage si sophistiqué de cette délicieuse jeune femme native de Mont-de-Marsan désarme, parfois déroute.

Cette rebelle ne fait rien comme tout le monde. Issue d’une généalogie de chefs landais, là même où la cuisine règne, cette archéologue du territoire explore tous les terroirs du voyage, embrasse toutes les rencontres de l’expérience.

Hélène Darroze ne cherche jamais à déplacer le regard mais elle fabrique sans détour une cuisine du cœur qui n’appartient qu’à elle. Les émotions vivent au noyau. Je cuisine donc je suis. Cette nature exubérante masque en réalité une merveilleuse pudeur qui parle avec son cœur. Une hyper instinctive qui prend pour matériau son être même dans sa matière étincelante. Personne ne lui dérobera ce qu’elle a dansé. Le Sud-Ouest dévoile son terrain de jeux, ses terres d’enfance et d’aujourd’hui mais toute figure de l’altérité la nourrit. Le terroir se retourne de l’intérieur, personnalisé, réfléchi, spontané, il surprend tout son monde, inspire tout le monde. Il accorde encore des multitudes de sens, des montagnes de sensations.


Demain, la cuisine world fusion s’effacera subrepticement car les Bras, Veyrat, Marcon, Bocuse ou Guérard, hantent leur terroir, un particularisme de l’universel, une singularité cosmopolitique. La réplique aux apprentis sauciers, la riposte aux manipulateurs de pipettes, aux joueurs d’éprouvettes : les mots simples, fondateurs d’un terroir dans lequel s’éduque le goût, s’éclaire votre culture, le « mobilier basique du monde » (« The basic furniture of the world ») à la Bertrand Arthur William Russell. Là, s’invente une histoire compliquée pétrie par des complexes familiaux quasi lacaniens. Cuisiner vous met soudain dans les cordes, le ventre brûlant de passions. Le corps à corps culinaire trahit simplement une manière jouissive de s’épanouir, la satisfaction quotidienne de pratiquer des points à la ligne.


Dans le point barre, le cordial parle tout seul, converse en soi et pour soi. Confluent pourtant des chefs féminins, des femmes viriles, trop techniques. La fable vient d’ailleurs, des entrailles de la poitrine, des tripes, des vibrations. Pour Hélène Darroze, l’instinct calme de l’émotion prime les vitupérations techniques. Seuls nos sens parleront sans dieux ni maîtres. Nous goûterons joyeusement demain et après-demain. Nous noierons la logorrhée dans l’admiration. Le paradigmatique Alain Ducasse, par exemple. Il détermina profondément la vie de notre pugnace quadra de Babylone. Une chance, un tournant avec un chef « génialissime » en acte. Elle estime que pareil phénomène ne se reproduira pas avant longtemps car le maître monégasque fonde la gastronomie contemporaine.


Chaque modèle présente une magie loin du graphisme ou du design. La pomme de terre survit bien sans millimètre. La cuisine tient parfois dans des trouvailles non des découvertes. L’art de l’accueil, les usages de la réception, les douceurs du vivre ensemble importent autant. Le client, doué du meilleur comme doté du pire, ne loge pas à la même enseigne. Certains comprennent la radicale narrativité d’une femme d’entreprise qui dirige 70 personnes, d’autres ne perçoivent goutte. Hélène Darroze bat d’autres campagnes. Dans sa brigade, un tiers de femmes, rigoureuses, téméraires, déterminées, s’affairent. Une chance inouïe dans une cocasse confrérie où la plupart des membres estiment encore que la gent féminine n’entrera jamais !


« Un plat réussi régale ses clients. ». Ils en conversent souvent quelques années plus tard, en secret. Sans nostalgie, l’assiette forme un beau moment de souvenirs. A l’image de nos madeleines, déguster ne signifie jamais faire l’amour mais procure un plaisir intense. La table conserve l’impérissable. Hélène Darroze d’évoquer, intarissable, passionné, presque compassionnelle, l’anniversaire de sa majorité au sommet de la « Tour d’Argent ». Le goût du canard au sang perdure dans la bouche, la tête et le cœur chavirent. Les émotions s’enchaînent : la « cocotte de légumes escortée de sa truffe noire » d’Alain Ducasse telle un rêve de poème ; le poulet rôti de la grand-mère maternelle flanqué de ses grosses frites au couteau à la graisse de canard, une fin dominicale infinie ! Des émotions gustatives qui envahissent la mémoire à jamais.


Le style de la dame de la rue d’Assas ne repose ni sur les légumes ni sur les modes mais bien sur la mémoire et sa mémoire, sur les élans du cœur et les mystères de l’esprit. Sur consciente de l’acte privilégié du goût, en empathie avec les inquiétudes de son époque, Hélène Darroze lutte contre la tristesse du monde par une alacrité du bon goût, une façon d’être à la hauteur de son propre pari de vie. Des horizons plein les yeux, elle croit en sa vitrine et ses futurs coups de cœur : des rencontres foudroyantes de lieux (Toustem), des agréments modulaires (Le Boudoir, Le Salon). Sans affairisme, elle architecture dans la profondeur de l’initiative, avec recul, sans raison de se perdre, en demeurant elle-même, dans la verticalité de soi, échaudée par la douloureuse ambiguïté des cieux étoilés. Travailler avec cœur et âme dans une sorte de nécessité intérieure, voilà sans doute son adage majeur.


Loin des sots qui traînent dans la boue, des Philistins qui massacrent le travail, des petits cerveaux, malheureux plagiaires, elle respecte les artistes qui ne changent pas de cap (Ferran Adria), qui offrent leur chance au terroir, qui durent. La gastronomie de haut goût croise la sincérité du cœur et la générosité de la transmission. Elle ne cherche pas mais trouve. Depuis son âge belliqueux, 22 ans, Hélène Darroze, réalise, met en pratique sa passion plutôt que de la regarder passer. Née dans la cuisine, sa simplicité sans ostentation, sa lumière sans révélation, nous bousculent tel un joyau de René Char : « Le silence du matin. L’appréhension des couleurs. La chance de l’épervier.»


Photos : 1 : Hélène Darroze – 2 : Le riz carnaroli aquarello « millésimé 2005 » noir et crémeux, chipirons aux chorizo et tomates confites et émulsion au parmesan Reggiano - 3 : Le foie gras des Landes grillé au feu de bois, accompagné de navets de Nancy glacés au citron vert - 4 : La ganache au chocolat Manjari avec un sorbet framboise et poivron rouge - 5 : La salle du restaurant.


Restaurant Hélène Darroze Marsan
4, rue d’Assas - 75006 Paris - Tel : 01 42 22 00 11
 

RESTAURANT HELENE DARROZE MARSAN

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