A Courbevoie, le 19 juillet 1990, un robuste dribble le parquet. A Neuilly, à l’école primaire des Huissiers, dans une rue presque en face de la mairie, il rêve de football mais se passionne pour le basket dans une grande fratrie soudée par le goût : « Tout ce que ma mère cuisinait était super bon, des plats français à la cuisson précise aux parfums envoûtants du beurre de cacahouète dans le maffé ». Deux de ses frères officient dans la restauration, l’un en tant que chef dans la brigade de Jean Imbert, l’autre dans un restaurant parisien de bon niveau.
En 2009, son cousin, sous-chef chez LIPP, le prend sous son aile en stage estival. La passion prend forme d’un seul trait : « Je scrutais la salle, je regardais les serveurs dans leurs beaux habits, j’observais le passe, les dressages ». Son parent le pousse à se former. Encore élève au Collège Théophile Gautier de Neuilly, à 17 ans, il décide d’entrer à l’EPMT (Ecole de Paris des Métiers de la Table) Levallois. En 2010, CAP empoché, il attaque son apprentissage, aux Galopins, à Nation. Il passe de commis à chef adjoint en quelques mois. Son chef, Frédéric Moulin, fier de son bilan de fin d’année, le propulse directement pour s’entretenir avec Laurent Solivérès, bras-droit de Guy Savoy. En 2011, il passe son baptême du feu rue Troyon puis aux Bouquinistes au titre de commis, promu très vite chef de partie. Dans cette excellence, il découvre les produits nobles, ses premiers turbots, le Saint-Pierre et la Saint-Jacques auprès d’un chef solide : Stéphane Perraud.
La perfection des cuissons des poissons, le taillage des légumes, les dressages millimétrés : tout le frappe. En 2012, le chef de partie aguerri demeure une année, dans le 17ème, au Petit Marguery Rive Droite, un bistrot traditionnel parisien réputé : « j’aimais envoyer cette sole meunière lentement arrosée au beurre, avec ses segments de citron, son persil haché minute, ses capres, tout le gibier, les grouses, le lièvre à la royale et les perdreaux ». L’intensité des bouquets, la profondeur des sauces liées au sang le marquent. Durant deux ans, entre 2012 et 2013, il touche à l’esprit semi-gastronomique dans le restaurant de l’Hôtel du Louvre*****. Autre biotope, autre monde. Le chef Denis Bellon lui accorde toute sa confiance : « La soupe de poissons fraîche, de roche m’a fait pleurer, la galinette, la concentration du goût ». A 2O ans, Jean-François Rouquette* l’accueille au Park Hyatt Vendôme. Dans cet hôtel de grand luxe, il recherche l’équilibre absolu d’un chef de partie : « J’ai une affinité particulière avec le poisson, les crustacés, les produits de la mer ».
Au Shangri-La, en 2018, à La Bauhinia, entouré des chefs Christophe Moret et David Rans, il progresse allégrement. Le chef du Pullman Roissy, Alexandre Willaume, l’appelle pour monter le niveau de la cuisine. Dans ce défi de monter en gamme, il comprend les valeurs des produits. Il retrouve son Saint-Pierre adoré, l’esprit du beau travail, les textures des chairs à basse température, de la vapeur. En 2020, un autre challenge singulier l’attend, l’ouverture de l’Ecole Ducasse Meudon avec un immense : Jacques Maximin.
Le chef de partie caracole. Le maestro provençal direct et carré du Pas-de-Calais lui colle la bonne pression : « on va faire les poissons ensemble toute la nuit ». Chez Laurent, en 2022, la gastronomie de haute voltige le ressaisit avec Piotr Glodkowski : « je réalisais toutes les sauces, les jus de volailles, veau, pigeon. Un grand plat s’accompagne toujours d’une sauce. Tous les jours, tous les jus ». Dans cette grande brigade exigeante et stricte, le quasi sous-chef prend les coups d’adrénaline, main dans la main. Il se donne et bosse dans le temps du travail sculpté : « chaque carcasse a son goût, son taux de coloration, j’aimais la puissance du jus de bœuf, sirupeux sans amertume excessive, ce jus miraculeux qui enrobe le palais, à la fois doux et vigoureux ». Il cuit son ris de veau à la rôtissoire, croustillant et moelleux, délicat et parfumé. Au Jardin privé des Halles, le chef adjoint poursuit sa propédeutique des sensations avec un turbot en toute liberté.
Depuis avril 2024, au poste de chef de cuisine pour la première fois, Harouna Konaté déploie une gastronomie accessible dans un établissement à dimension humaine. La tartelette aux champignons haubanée par une vivacité citronnée élargit l’aromatique à l’instar de la fraîche de betterave, raifort, moelle de bœuf. Les ravioles de volaille du « Luteau », émulsion de sauce suprême, huile de sauge, s’égaient par un piment fermenté au gradient méticuleux. Le remarquable crudo de daurade sébaste, radis meat, leche de tigre, démontre l’aisance du passionné de la culture japonaise pour la matière iodée. La belle volaille fermière revient, cette fois, dans une déclinaison de céleri, sparassis et jus corsé : « On a été fasciné par ce volatile charnu, bien élevé en plein air, aux grains. Elle incarne l’esprit de la saisonnalité ». Le médaillon de lotte, poireaux confits, pesto de salicorne & pistache, se pelote dans un fumet crémé au miso. Les gnocchis de butternut chuchotent entre la chlorophylle de cresson de fontaine et la courge rôtie.
La figue caramélise royalement dans un sirop d’hibiscus, syphon yaourt et crumble. « Bien manger, c’est être heureux, ressentir et découvrir. Le goût relève d’une recherche de toutes les facettes des cinq sens, il se situe dans la texture, le jeu des différentes températures en bouche. Le poisson provoque une telle émotion, le lever et le cuire ».