Dans le douzième arrondissement de la Cité de l’amour, le 28 août 1990, sourd un boulimique. Le père, kinésithérapeute, et son épouse, exquise saucière du poulet au curry, chercheuse au laboratoire Roche, s’éloignent sans délais à Grenoble pour rejoindre le siège du géant bâlois. L’enfant agile de CE2, laisse Paris et ses camarades. A 10 ans, la petite gueule d’amour éberluée visite souvent un chocolatier meylanais, lointaine amitié paternelle : « j’apprécie tout de suite l’ambiance labo, le gros matos, la texture du cacao ». Séduit, l’élève médian ne doute de rien, subodore instamment son devenir rôtisseur.
Il se met à table fréquemment, lors d’escapades estivales, avec ses grands-parents maternels, dans des établissements morbihannais variés, modestes et étoilés, crêperies ou pizzerias, bistrots en bordure de mer : « le moment à table, c’était la seule chose ». Toute la famille habite Moëlan-sur-Mer et Riec-sur-Bélon dans le Finistère Sud. Il goute la simple cuisine dominicale irréfragable de sa bisaïeule maternelle : « elle faisait un rôti de veau aux pommes de terre, jus court, à se rouler par terre ». L’adolescent grenoblois, en 2005, intègre un lycée hôtelier réputé, celui de Lesdiguières.
Au Clos d’Or, il effectue l’essentiel de sa formation, du CAP au Baccalauréat professionnel obtenu en 2009. Encadré par des professeurs « bienveillants » meilleurs ouvriers de France, il se plaît à la viande mais s’embrase, d’entrée de jeu, pour le poisson qui l’attire : « la bête, le travail autour, la cuisson, le goût. Le saint-pierre à la belle texture, à la peau dorée et à la tronche étrange ». En 2010, sa mention complémentaire porte sur la pâtisserie. Au “Bateau Ivre”, à l’Hôtel Ombremont, niché sur les cimaises du lac du Bourget, dans les pinceaux du vent et les parfums du lavaret fumé, auprès du passeur bohême simple et discret Jean-Pierre JACOB, il s’ébaubit de l’issue dans son nid : « précision, finesse et rigueur ».
Auprès des adjoints pâtissiers du gentil « paternaliste » au quatre étoiles en deux maisons, le chambérien Thierry GAME et le lyonnais Romain GARCIA, dans une douce ambiance, il ressent les jolis produits, les merveilleux dressages et l’équité de la recette. Durant quatre ans de ravissement, le chef de partie tournant, béat dans l’ancienne capitale du Dauphiné, officie au Provence, auprès de Danièle et Éric GAGGIO, un couple attendrissant de restaurateurs sis à Corenc, une autre famille pour parfaire sa technique. La culture du produit de la mer culmine avec ces Saint-Jacques, crustacés et autres poissons.
Ce procédé d’apprentissage se mue derechef en processus de transformation dans une force mentale : « équilibre et savoir ». Loin de son père établi à Kerfany-les-Pins, à l’embouchure du Belon et de l’Aven, son pair le protège dans une enveloppante complicité : « Je le transmets aujourd’hui à mes gars, un rapport de confiance, de filiation. Il faut une deuxième famille. La brigade forme souvent la première ». De 2013 à 2017, l’amateur de garde-temps croise le chemin d’un autre menhir, Jean-Pierre VIGATO**, personnage charismatique dans un somptueux Hôtel particulier du 18ème siècle, montagne humaine : « Ce côté gourmand, rassurant, bon vivant, j’y pense au quotidien ».
Le fulgurant calcine les étapes, monte de demi chef de partie à second en rien de temps. Le prince chasseur de la rue d’Artois lui passe l’art des fumets de carcasse de homards, l’eudémonique jus de volailles, les cuissons transcendantes dans « une simplicité irréprochable tel un peintre éperdu d’exactitude, de l’iconique bœuf au caviar à la chartreuse de faisans ». Le chef d’équipes prend soin de sa maison en toutes occurrences : « J’ai admiré la gestion du restaurant, l’enseignement technique, le regard acéré dès le matin, les moments incroyables de retour de chasse et les gibiers à plumer ».
En 2018, Maxime LE MEUR se frotte à une autre sorte de Châtelet fortifié aux équipes emplies de cadors : le George V. A l’Orangerie où David BIZET brode déjà une étoile sur sa veste, il retiendra le « peps » des petits condiments, des pickles en portée musicale, les équilibres en pointillé : « Il n’y avait que des monstres, Baptiste Leroux, Antoine Guichard dans une fourmilière ». En mars 2018, l’indéfectible indépendant étrenne son premier poste de chef à l’Affable, dans le 7éme arrondissement. Sa carte blanche déplie un horizon gastronomique dans un cadre de bistronomique.
Alors qu’il désire voler de ses propres ailes, en 2019, « Monsieur VIGATO » lui demande de rafraichir LAPEROUSE, maison de plaisirs curieuse et grandiose érigée en 1766 en plein cœur du 6ème, lieu de mémoire pyramidal entre tension et vivacité. En novembre 2021, enfin chez lui dans son Gemellus du 7ème, avec son jumeau attablé en 2023 dans le 16ème, celui qui s’estime restaurateur dans une histoire de famille passionnée par l’entreprenariat, poli et dégrossi, accueille et salue, sert ses sauces et dresse ses tables : « l’assiette est au centre mais la relation est humaine ».
Le singulier rieur de l’avenue Duquesne pique notre découverte avec des mariages hyperesthésiques terre/mer : veau/langoustine, pigeon/homard, couteau/cochon, maigre/bœuf. Dans cette vision de la franche lisibilité, les fonds prévalent dans une veine française à la perspective renversée : « Le matin, je consulte mon second, on fait une sauce réglisse, chocolat, avocat, moutarde et badiane. La texture de la viande résonne. La sauce est un plat, au centre du volcan ». Le sabayon à la vanille confine au grimoire pour la langoustine.
A l’heure cartrusienne, l’ancien footballeur N°9 au Rachais Club veille à son glaçon à la chartreuse verte, gaspacho de tomate verte, à son foie gras poêlé à la gastrique à la jaune. Avec son nuancier thématique d’aquarelliste, le passionné de voitures préserve son kaléidoscope : « J’aime un ensemble de produits par saison : petits pois/asperges/morilles ». Différer tient à un matefaim ténu, l’adéquation d’un pain/beurre parisien dans son atticisme breton, la drôlerie d’un salpicon coloré, l’esprit astral de la haute noce, prélude à l’impeccable gouverne d’une brigade actuelle d’impétueux.
La manière LE MEUR s’agrémente d’une palette claire, ductile et émotionnelle. Les nuances végétales gravitent autour de compositions spectrales : Raisin / Olive / Concombre, Navet / Fenouil / Pomme, Cèpe / Poire / Mûre/ Céleri. Les pigmentations florales se partitionnent en éphémérides : Lavande / Menthe / Laurier / Badiane, Mouron des oiseaux / Persil/ Tagete, Criste marine / Ghoa cress / Cerfeuil. Les teintes marines picturales éclatent : Couteau de mer / Dorade / Maigre, Haddock / Gambas / Rouget / Œuf de poisson.
L’art culinaire de Maxime LE MEUR réfère finalement à ses trois loisirs de dilection : la chasse sous-marine, le ski alpin et l’automobile. « En Bretagne, sous l’eau, en apnée, le temps s’abolit, nous apaise, on observe les araignées de mer, les tourteaux avec palmes et tuba. Le silence s’installe. Dans la poudreuse des monts grenoblois, la pensée s’évapore. Sur un circuit, avec un casque et des gants, dans une bulle, concentré, le vide nous calme ».
Les coloris champêtres se moirent en duos : Veau / Magret fumé, Pigeon / Lardo di Colonata, Jus de Volaille / Foie Gras. A deux enjambées de l’ancien immeuble du guide rouge, les carnations ultimes des parfums doux nous happent vers le nuage rêvé de notre efflorescence : Figue / Fromage blanc / Feuille de figuier, Vanille / Tonka / Chocolat, Sarrasin / Crème brulée / Citron.
Photos Marie Desprez
Novembre 2024