Du pur émerveillement des ballades en forêts meusiennes avec son grand-père, de la recherche de la sensation des grands espaces, des joies estivales des prairies barroises avec ses parents, le cuisinier-jardinier proche de ses collaborateurs, soucieux du détail, se souvient presque, in utero, avant son apparition le 9 novembre 1980. Dans la famille, point d’appétence pour l’appétit. «La grande gastronomie n’appartenait pas à mon quotidien». A 14 ans, le métier verse dans la production. «Je rigolai en fabriquant des gâteaux avec quelques copains mais le feu sacré vient en travaillant».
L’ennui grignote Bar-le-Duc. «Jamais de couteau de cuisine à la maison, les repas dominicaux se prenaient au restaurant». L’adolescent au lycée Alain Fournier, poursuit son cursus par les CAP et BEP Cuisine de l’Ecole hôtelière de Verdun puis un BEP Salle et un baccalauréat professionnel au Lycée Hôtelier de Villers-lès-Nancy avant de connaître les paysages azuréens de la french riviera. En 1998, au premier jour, l’apprenti à la Palme d’Or, démarre, sous les ordres du terrible Christian WILLER : «Au passe, il regardait ma première assiette en la repoussant de l’index en chuchotant "non, non, non" jusqu’à ce qu’elle tombe».
Quant à Emilie DELOUYE, future compagne béglaise du Chef, native de Talence, en Gironde, le 11 mars 1982, à 8 ans, elle pétrit la pâte à gâteaux avec sa mère, «grande cuisinière» et ses deux grands-mères du même acabit. «J’ai toujours voulu faire pâtissière, je voulais créer un restaurant de desserts». La petite bordelaise déterminée enchaine, au lycée hôtelier de Gascogne, baccalauréat technologique mention bien, BTS Hôtellerie-Restauration et mention complémentaire «cuisinier en desserts de restaurant».
Leur idylle se noue entre 2003 et 2006, à "La Chèvre d’Or", à Eze, mythique et luxueux établissement dirigé, à l’époque, par le monacal Philippe LABBE. Avec l'ancien chef du restaurant « L’ABEILLE » au SHANGRI-LA Paris, l’étoilé 2013 apprend les principes de la sélection d’un produit, sa complexité, la technicité différentielle. En 2007, la rencontre avec Michel BRAS et sa brigade bouleversera la vie des deux chefs en herbe avant de les porter au plus haut respectivement "second de cuisine" et "chef de partie boulangerie-pâtisserie".
«Il nous a inspiré, nous a appris une vision poétique du monde et de la cuisine, un recul par rapport à ce métier, à la vie. Il nous répète souvent cette magnifique phrase de Pierre SOULAGES : "Celui qui n’a pas le goût de l’absolu se contente d’une médiocrité tranquille".». En 2008, le maître druidique de l’Aubrac qui leur montra l’émotion labyrinthique des âmes, leurs propose une mission insensée : intégrer le restaurant «TOYA» à Hokkaido.
En moins de trois ans, la lauréate au Concours Général 2000 en «technologies et gestion hôtelière» et le snowboarder aspirant à l’Union des Compagnons du Tour de France le feront bondir de zéro à trois étoiles. Un triomphe salué par le plus grand journal télévisé japonais. En 2012, ils décident de se lancer dans leur propre aventure sans perdre de vue la phrase de Théodore ZELDIN : «La gastronomie est l’art d’utiliser la nourriture pour créer le bonheur». MEO incarne un concept dans la discrétion composée plutôt que l’ostentation comminatoire.
«MEO signifient, pour nous, trois entités que nous ne décomposons pas : le moment du salon de thé, du café, l’émotion du restaurant, l’osmose du bar et du vin». Auparavant, une boutique de décoration occupait ce lieu qui s’intitulait «Mise En Oeuvre». A l’ouverture, la «peur du gastronomique» régnait, «gérer une entreprise sur trois tableaux s’avère délicat». Aujourd’hui, le moment de communion avec une clientèle d’habitués se précise, l’osmose des adéquations vins et mets s’affirme.
MEO excède le restaurant traditionnel ou classique avec sa terrasse ombrée, sa démarche délibérée de travail précis avec des maraichers de proximité, son jardin potager à Saint-Etienne du Grès. Nous savons que, dans cette cuisine tendre, la terre, l’eau, le feu, vibrent de leurs fleurs, fruits, légumes, champignons ou racines, et surtout, de leurs herbes tarasconnaises.
Dans les jeux clairs d’un ciel de patience, l’instant reprend son droit. L’air du temps respire notre nostalgie estivale, le souffle du vent léger de la connaissance, la fraiche rivière argentine des sensations profondes. La «popote de saison» en ouverture fondait l’espièglerie d’un détournement. L’encornet farci aux légumes d’été, paré de son lait de maïs en confession nipponne, aiguisait le jus fertile de ses grains. La note iodée de la liche de Méditerranée, par un finaliste de «Lo Mejor de la Gastronomia» à San Sebastian, étuvée au poivre long, couteaux et chou-fleur au raifort, touche de Nira, s’évanouissait dans un nuage d’écume de mer au beurre noisette.
L’entrecôte charolaise snackée à la plancha, parfum de sésame noir, embrassait les herbes du potager. Au jardin, au petit matin, tout se joue dans la douce conversation radieuse de ce couple attendrissant sur la texture d’un légume, le chant d’une amertume, la couleur et les formes d’un agrume. Sur un biscuit mirliton, la nageuse skieuse cinéphile déposait une crème de calisson, melon vert à la menthe, melon jaune de Lansac en sorbet pamplemousse.
Les mignardises que l’on emporte en remontant dans le petit train lointain, pour le quatre heures, se prénomment «irrésistibles», enfances enfouies de cannelés et de madeleines.
Photos : J. Nicolas.