Né à Alès le 13 mai 1970 d'un père ébéniste et d'une mère aux petits oignons, l'enfant du pays se révèle d'une précocité ébouriffante. "A quatre ans, je désire devenir cuisinier". A cinq, le garçon timide aime manger, son oncle paternel, "de la partie", mijote ses secrètes bombances, il observe ses grands-mères, divines cuisinières. "Au berceau, le lieu culte était le restaurant". Le père de famille enseigne la perfection et la minutie qui tournent parfois à la manie. Dans la vieille ville alésienne, un peu plus tard, le vaillant enfant court prêter main forte à son paternel, dans son atelier.
"Je l'aidais mais cela ne me plaisait pas, je ne supportais pas la poussière même si je me souviens des bonnes odeurs du bois". En 1987, lors de son premier SIRHA, il frissonne à la vue de l'autorité charismatique des toques : "J'ai vu tous ces cols bleu-blanc-rouge, mon père me parlait sans cesse des MOF en ébénisterie". En 1989, juste après la troisième, en BEP à l'Ecole Hôtelière l'Etincelle, à Nîmes, elle surgit avec un bac pro. "Je démarre mon compagnonnage afin de devenir l'un des meilleurs ouvriers de France".
En 1990, le premier établissement s'inscrit d'emblée sous le signe du prestige. Le futur Chef des cuisines de "l'Hostellerie Le Castellas", à Collias, en commis dans un "Relais & Châteaux", à l'Abbaye de Sainte-Croix*, à Salon-de-Provence, fait merveille. "Le Chef Pascal MOREL m'a tout appris, la vie et mon travail, il m'a mis sur orbite pour accéder aux belles maisons". En 1999, Jérôme NUTILE, ouvre le restaurant "La Bourgogne", à Punta del este, en Uruguay.
Durant les six premiers mois, il découvre la gouvernance des hommes, la belle clientèle brésilienne, le sublime bœuf argentin, les produits spéciaux tels que les fruits ou les fromages fabriqués sur place, les poissons locaux aux textures différentes. Entre 2000 et 2004, il rencontre le maître de la Bresse : Georges BLANC. "Un sentiment d'estime, d'écoute, j'étais son chef, beaucoup de relations personnelles, j'ai fait deux livres avec lui, il avait toujours deux idées à la minute, un train d'avance". Au "Chabichou"**, à Courchevel, dans la légende dorée des sports d'hiver, il apprendra le rude travail 7/7. "Partout, j'ai puisé de bonnes choses, la rigueur permanente de Monsieur ROCHEDY".
Celui qui met toujours la gent féminine sur le devant de la scène ainsi que tous les jeunes acteurs de sa fidèle équipe unie, estime qu'il faut maîtriser les techniques sans jamais le faire ressentir dans l'assiette. "Un plat contient beaucoup d'émotions. Derrière, il existe un projet, un univers, de l'amour, du plaisir, de la générosité. A partir de la valeur du produit non dissimulé, les goûts se structurent sans mélange".
A 35 ans, le copain de Gilles GOUJON chez lequel il a invité récemment son épouse, Martine et ses deux fils, Alexandre et Hugo, inaugure "L'Hostellerie du Castellas", à Collias, non loin du Pont-du-Gard où il gagnera rapidement une étoile en 2006 et la deuxième en 2009. Il avance dans la sérénité d'un homme d'actions tranquilles avec ses 33 salariés. Ses deux émissions de téléréalité ne le changeront pas mais il apprécie que des convives de passage lui parlent encore de sa prestation à MASTER CHEF. L'homme réservé ne se confie qu'à son cercle intime.
Son effigie suffit : "canard à l'orange revisité", "langoustines cuites à la nage d'une soupe au pistou en habit de lard di Colonnata, ses légumes en gelée tremblotante". D'une esthétique de la concentration, d'une ardeur au travail surgissent des textures de joie, des justes températures. "J'aime la cuisine concentrée, marquée, ma cuisine c'est le produit avec beaucoup de goût". Celui qui prise l'échange empathique avec ses hôtes lors de son long tour de table, exige que ce soit presque tous des amis qui se sentent bien. "Ma clientèle me surprend tout le temps".
Jérôme NUTILE encanaille sans étaler. "Le savoir travaille et nous travaille mais je veux du peps". Au Bistrot, il suit la fonction du produit dans son historicité avec des tripes, de la tête de veau, des pots au feu, des andouillettes de la charcuterie lyonnaise "Bobosse", du choux farci. Au gastronomique, l'aspect festif surpasse, le viveur se déplace de loin pour "parler, rire, passer un moment à lui, se sentir chez lui".
Jérôme NUTILE explore toutes les facettes aromatiques de ses proximités avec la complicité de Grégory PHILIP, ancien jardinier de Michel BRAS installé à Saint-Jean-du-Gard, qui cueille l'oxalis "juste avant le point de rosée, vers 5h". Thym, romarin ou lauriers y cohabitent avec la verveine de Buenos Aires ou l'oranger du Mexique. Radis japonais, légumes précieux et produits nobles tels que la truffe d'été ou la "tuber melanosporum" australienne tiennent une place de choix. La queue de boeuf, désossée à cru, farcie, cuit deux jours d'affilée. Ses boudins de chair extérieure, en marmite, conversent avec du foie gras, des pignons de pin et des tomates confites.
Transfigurée en lièvre à la royale par une sauce truffe, jus de bœuf, truffes montées au beurre, elle synthétise l'art du BOUDAN si peu bouddhique. Les promenades orientales de Jérôme NUTILE embaumeront longtemps le jasmin étoilé.