Le père douanier, surveille les eaux chaudes, au cœur du pays basque et du Béarn. Il bouge souvent. La mère, bienheureuse cuisinière, s’affaire avec ses cinq enfants. La famille n’appartient pas à une lignée de chefs mais la gourmandise, l’amour du goût emportent tout et tous. « J’aimais manger ». La table locale s’avère roborative, bourgeoise, un tantinet adipeuse. « La vraie bonne chère ». Notre troisième ligne aile, pensionnaire du stade Montois, à Saint-Jean-de-Luz, ne perçoit aucun déclic mais remonte son clic. Un unique ressort : « Je ne voulais surtout pas être chef mais rugbyman ». L’admirateur d'Arambide** coule une douce enfance au pays euscarien, entre le large et la montagne.
Excellent élève, un an d’avance, véloce, jubilatoire, l’ennui le gagne pourtant un jour de fin de troisième, un blocage avec les enseignants. La fête le trouble, la séduction épicurienne des femmes le charme, la jouissance hédoniste de la vie le capte, le plaisir le capture. «Il me fallait tout de suite gagner ma vie pour m’amuser». La maman travaille chez le père de Jean-Luc POUJAURAN, déjà célébrité locale. L’amitié buissonnière le guide au « Richelieu », à Mont-de-Marsan. «Très gourmand, je passais mon argent dans les pâtisseries». Le protecteur, vieux client, dirige l’effréné bouillant et turbulent chez le colosse Jean DARROZE**.
En deux ans, notre impétrant apprendra l’essentiel de la matrice de la vision culinaire : la palombière et ses appeaux au filet où le chasseur guette, avant la nuit claire, l’animal tué avec les dents ; l’ambiance éternelle de l’énigme fraternelle. Le temple gastronomique landais de Villeneuve-de-Marsan épate une clientèle de réputation mondiale. Les ministres parisiens s’envolent dîner dans la demeure. L’apprentissage dans les chais ou embrigadé, à bloc. «Le choc d’un grand Monsieur à l’immense charisme». Tous les postes défilent y compris la plonge dans un heureux climat.
«Des odeurs inoubliables de caramel, de noisettes, de pralin, la richesse et la structure des plats : un turbot livonienne. Entier pour deux personnes, sur une plaque beurrée, moules, crevettes fraiches, échalotes, vin blanc. C’est beau la cuisine, un bonheur». Les parfaits minute maison le disputent au coulis de tomates du jardin à l’ancienne avec ficelle et bouchon. La chasse envoûte les étoiles : « bécasses flanquées d’ortolans, poules faisanes et tourterelles ». Ultimes saveurs sauvages. Dans cette flamboyante humanité paysanne, la campagne respire, « Madame Darroze la Sainte » engraisse ses oiseaux de ses mains. « Les gens portaient plainte car ils mangeaient trop ».
Des pièces entières braisées lentement à l’ancienne : des lièvres rabelaisiens, des agneaux pantagruéliques. Pis, des artichauts barigoule farcis, surmontés de foie gras frais en guise de garniture. « Tout est fade par rapport aux pinçons des Ardennes, aux tourterelles plumées ». Cette propédeutique suave dans le respect absolu d’une famille unie dans le bien-être marquera à jamais notre scintillant gaillard. « Je ne regarde jamais derrière moi mais je sais les fondations d’une vie ». L'apprentissage prend fin, notre insulaire d’adoption refuse les lustres diamantés de la capitale (RITZ, PLAZA) pour épouser le rivage, la montagne, un désir entier de rêverie radicale. A 18 ans, à la frontière espagnole, il déboule dans une belle maison, chez FRANCOIS** avec sa caisse à couteaux d’ouvrier pour seule besace.
La fonction de commis brutalise mais le salaire enivre. Claude FRANCOIS, « un très grand », MOF, maître cuisinier de France, maître traiteur, en impose. « Des drapeaux partout dans les yeux ». Notre ardent impatient, dur à cuire au passé d’ovalie, véritable boutefeu transforme mille feux en mille occurrences. Le lait de ferme coule façon maîtres et servants. La grillade à gaz, d’emblée, durant deux ans, ne prête pas à rire, encore moins à sourire. Tout crépite comme la truite. « Je fus cassé, brisé ». Pourtant, ce « métier de fou » encourage au dépassement. A l’épreuve du travail correspond une justesse de vie même pour ceux qui ne voit jamais leur père ni la mer.
L’armée au 1er RCP palois, dans un camp disciplinaire, l’écarte des rêves ultramarins : « Je fus cadré, j’en ai chié ». L’amateur de dames aime aux larmes. Direct, joyeux. Chez Christian MORISSET**, à Juan-les-Pins, personne ne triche. Produits purs, chef intraitable. La méditerranée à fond les ballons. « A la Jacques Maximin, le Mozart de la cuisine ». La chère rêvée. Chez ce monstre solaire, sous-chef entre 1995 et 1996, l’odeur de l’huile toscane, herbacée, fruitée, le gras floral des confins andalous le fascinent. La soif de manger, de mordre la vie. Le goût de l’ailleurs, des voyages dans le bleu mur de l’azur à la Nicolas DE STAEL. A 20 ans, cette matière de riviera, la pureté du rouget, l’agitation noctambule des stars du showbiz, l’émulation acharnée des palaces, le niveau de la recherche culinaire, marquent une existence.
Une course virevoltante de Formule 1, le shoot du rizotto : « un ouvrier affolé dans la puanteur de l’argent. La movida me prend le cœur ». Sur le toit de l’olive, les pianos sourient, les couleurs éclatent mais la légende ébranle comme dans les bras d’une femme ». « Je « maîtrisais » la cuisine du soleil et celle du sud-ouest ». Révolté, insoumis, aimant la relation humaine, notre drôle de hâbleur, désire voir une île, une culture différente. Une seule saison en Corse, sous-chef au grand hôtel Cala Rossa, chez Toussaint Canarelli, le bouleverse : douceur de l’île, eaux turquoise, la vie dans une carte postale miniature. « Une ambiance ambiancée et protégée ». La noblesse de l’émotion du poisson évoque toute la féminité de la méditerranée. La transposition de l’Amour.
La délicatesse de l’art de la transformation crée une élégance des saveurs celées : la cigale, les violets, la « meilleure langouste du monde », les oursins de roche à la fraîcheur imparable. L’altérité des senteurs, l’allégresse zébrée de l’huile. Foin de graisse de canard, la profondeur des rencontres, « les calibres sur les tables », dessinent un « excitant Western », une affirmation du festin, une trouée à toute berzingue. A Ghisonaccia, en 1997, la nuit bleue menace. Notre intrépide explose « Les Deux Magots ». Cloches en argent sur la plage, objectif macaron. « Loup à la polenta de châtaigne », « agneau rôti en longue cuisson à l’ail et à la myrte ». Aucune consécration, injustice intégrale.
En 2000, notre adepte du partir-revenir, intelligence vivace, envie intacte, turbine de la glace, à Poitiers, dans son « Côté Sud » aux 54 parfums, une créativité débridée. « La cuisine est une intelligence de travail. Une technicité hors-norme et une vision ». A 40 ans, la secrète blessure de l’absence d’étoile taraude notre grand sensible. En 2001, il reprend « EMILE’S », à Calvi. En 2009, le macaron déleste. L’amour de l’excellence des Sud, un métissage des deux regards dans une osmose mobile de la vibration, tel apparait peut-être l’ethos de notre boulimique de générosité, tellurique d’offrande intime. « Tout donner pour recommencer ».
Notre tireur de gibiers à plumes qui volent vite fréquente les chasses privées solognotes comme jadis, « la palombe sur les crêtes d’Iraty, un cirque sur le toit du monde, une attente ». La cuisine à la chair de poule d’une corrida madrilène, une défloraison où la traque commence toujours au bord de la nuit. Après la jouissance, tout s’estompe. Notre emballant garçon touche, par sa douce cuisine structurée, car ses accents de vérité viennent d’une solide formation d’insubordonné. Entre tauromachie et séduction, la preuve perpétuelle du couronnement. Depuis juillet 2011, à la « Villa Corse », ce poupon grand-père à peine cinquantenaire, recherche la liberté du décloisonnement du plaisir et des plaisirs. Dans ce bistrot chic, sa cuisine d’énergie distinguée sur des bases corses repensées honore la splendeur des vignerons de l’île.
Cette cuisson de longueurs aimantes offre une « naturelle infinie de corrida » face au danger. Vincent DEYRES conçoit sa cuisine dans le péril de l’éternité, une geste picturale de lumière et de gouaches gaies. Avec les produits puissants de l’île de beauté, des sorbets arbouse, des glaces myrte, des miels tourbés de Lozari, cédrats et clémentines. Des explosions de bouche, des visions d’imagination, des parfums de cœur. Cette olfaction instinctuelle enthousiasme avec sa soupe hivernale, lard entier et jambon, aux cendres de la cheminée. « Il n’y a qu’une cuisine, la bonne ». Dans cette villa corse presque anglaise par ses attraits cosy, il veut « régaler », créer une gastronomie ouverte de tranquillité. Loin de la voûte étoilée, place à la convivialité des copains rieurs.
Plancha, salamandre, poêle : la vie sans filet. Promettre et tenir. « Bander au stade de France. Rentrer en scène, s’oublier, devenir quelqu’un d’autre ». Le matador dans l’arène. L’impensé d’un plat, l’inconscient du goût. « Ravioles minutes d’araignée au brocciu ». Une improvisation réglée. « Turbot, melon, piments fumés ». Rien que du vrai.