PORTRAIT DE CHEF
Emmanuel PERRODIN

Par Fabien Nègre

Lédonien phocéen, autodidacte aventureux, savant conservateur des bienfaits turquoises, fou de l’Escoffier béant aux nomadismes imaginaires orientaux, du Liban au Japon, fauve gardian de la neuve Marseille amplitude, Emmanuel PERRODIN noue ses trouvailles dans son paysage terre marin qui nous chronique ses histoires de goût du vent dans sa libre rosée.

En 1973, à Lons-Le-Saunier, dans le potager jurassien des ancêtres maternels, trône un bambin curieux. Les alliés sustentent les boulistes dominicaux dans un « restaurant de village », au Val-d'Épy, sur les verts coteaux pentus du canton de Saint-Amour. «Chaque plat dessinait déjà un paysage contant une histoire». Dans le tourbillon bariolé des souvenances de l’enfance affleurent des appoggiatures : la terrine de lapin en clapier du grand-père avec ses frais aromates du jardin, «l’incroyable tour de main» de la grand-mère qui roule ses ravioles à la polonaise (pierogi), farcies de fromage blanc, cerise aigre ou choucroute avec ses «légumes magiques».



«Le goût importe en tant qu’ouverture de l’esprit, voyage sur place, changement d’habitudes». Les grands-parents paternels produisent de la viande et du lait dans la région du Comté. «Le lait fonde un rapport au monde, il adoucit ou souligne, en versant maternel de nourriture». A 13 ans, dans un restaurant clermontois, la rencontre avec les épices de la cuisine syrienne, libanaise ou égyptienne, l’estomaque. «Une gifle, un choc, aucun goût que je ne connaisse, on recherche le goût de l’enfance toute sa vie». Si tôt ses humanités achevées, baccalauréat littéraire en bandoulière, maîtrise d’histoire et DEA d’économie internationale, Emmanuel PERRODIN rêve de s’installer au Japon avec l’Alliance Française à Hokkaido.



«Fasciné par l’étrangeté radicale, j’ai une appétence intellectuelle pour la poésie et la littérature nipponnes». Autodidacte intégral sur le versant culinaire, à 30 ans, le chef de banquets historiques avec le très réputé «Ensemble Clément Janequin» dirigé par Dominique Visse, découvre une «langue étrangère» mais il sait les contraintes et les joies du métier. En 2003, il embarque au restaurant massaliote «PERON», sublime vue transversale sur la belle bleue et bel équipage. Sur le tas et le tard, sans limite, sans obligation, la routine assure la maitrise des gestes, ces impératifs du cuisinier.



«Je ne reste jamais dans un moule ou une tonalité. Je me force à travailler des produits différents. Jura, Franche-Comté, les textures de l’enfance toujours présentes, le fameux «umami» retrouvé dans le comté, vin jaune, noix, profondément ancré en moi». Depuis longtemps, l’ex-Chef de «La Résidence du Port», étudie les fondements de la gastronomie marseillaise. Acteur engagé dans son environnement socio-économique, défenseur des poissons oubliés de la rade de Marseille, sévero, saupe ou autre «muge», le tendre PERRODIN cultive, en outre, son affection pour le chinchard, adulé des Japonais.



Le cuiseur hors-catégorie aux intitulés sibyllins trace son chemin culinaire loin des faussaires et des plagistes. «Je n’ai pas de maîtres mais des références : Pierre GAGNAIRE en 2004. Serge VIERA, grand cuisinier, qui raconte son plat au «Bocuse d’or»». La structure narrative, dans sa pertinence ou son insolence, convoque la curiosité du gouteur. Le solide gaillard barbu au regard clair sculpte, sur commande uniquement et une semaine à l’avance, une ambitieuse bouillabaisse pour qu’elle redevienne une «fête exceptionnelle». Son poisson provient du Port, le matin ou la veille.



Hors de toute charte, le poète amoureux des présences vivaces et métissées du centre-ville, à l’instar des célèbres frères MINGUELLA, qui, dès 1965, au «MIRAMAR», «mettaient les larmes aux yeux» aux notoriétés, se remémore les paroles de Raymond DUMAY, écrivain de la Bresse mâconnaise, auteur d’un fabuleux traité sur la gastronomie, disparu en 1999 à Ensuès-la-Redonne : «la bouillabaisse doit avoir le goût du vent, seul le poisson décide s’il sera cuisiné, en toute liberté». Le poulpe, en carpaccio, convie le porc ou le foie gras dans une opposition terre et mer nerveuse, inspirée de la tradition romaine.



L’homme de la renaissance de la «Fête de l’ail» concentré sur ses petits pêcheurs locaux, nous cultive avec son catalan pigeon-cabillaud, son amour de l’intouchable beauté d’un port ouvert sur le monde depuis toujours. Chocolat, orange, datte ou café, l’identité phocéenne s’avère d’une force infiniment vibrante.
 
 

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