PORTRAIT DE CHEF
Roméo AGBODJAN

Par Fabien Nègre
  • Le chef Roméo Agbodjan
  • Restaurant Le Petit Boutary
  • Le Petit Boutary
  • Le Petit Boutary
  • Le Petit Boutary

Béninois raffiné, togolais attentif à la philosophie culinaire éthiopienne, façonné par des étoilés parisiens, Roméo AGBODJAN, au Petit Boutary, Paris 17ème, colore avec brio et distinction, son geste français uni à ses dilections harmoniques iodées.   

A Comè, à l’extrême sud du Bénin, dans le département du Mono, accoste, le 19 avril 1991, un fils unique rondement sensible aux émanations du festin. La ville dans les roseaux orbite autour de la pêche et de l’agriculture. La grand-mère maternelle, cultivatrice renommée de manioc et de canne à sucre, l’embarque dans les paysages ensemencés de la nature. Un grand-père maternel, courageux et fin, l’imprègne d’un puissant art de vivre. Le grand-père paternel, militaire proche des hautes sphères, l’entraîne à la rectitude. La mère, commerçante béninoise, polit ses marmites.
 
Les tantes maternelles, négociantes, ne plaisantent ni avec le goût du poisson ni avec les sauces de la rôtisserie. Le père, togolais, officie en technicien supérieur. Dès l’âge de cinq ans, le garçon minutieux examine le fumage et le séchage de l’Akpêssè, cet agouti mijoté dans une sauce de tomates ou bien la cuisson vapeur des Ablos, ces délicieuses petites galettes blanches légèrement sucrées : « J’adorai l’odeur de la viande ». A huit ans, à Lomé, le gamin joueur se rapproche de son paternel. Là, la petite sœur de son protecteur l’influence grandement dans son appétence pour le monde toqué.
 
La cuisinière hors-pair braise ses tilapias avec amour, rôtit son cochon de lait entier broché dans ses sucs. A l’adolescence, le bon élève s’échappe du circuit scolaire pour la promesse d’une ivresse : « J’aimais la cuisine ». Il passe son CAP dans la meilleure école hôtelière de Lomé, l’Hôtel Ecole AVENIDA. A sa majorité, il débute dans un restaurant éthiopien, à Lomé, puis part deux ans dans le pays du Teff pour comprendre la simplicité et l’originalité végétarienne de cette cuisine. A son retour, en 2011, il travaille dans un établissement prisé, à Cotonou, le Berlin.
 
Le chef de partie découpe ses tagliatelles de cœur de palmier peaufine ses poissons au four, de la sole au bar sans oublier le maquereau ou le brochet. En 2014, le chef du Royal Hôtel de Cotonou commence à stabiliser son style aux côtés du chef français Robin Marais. Il décline sa cuisine autour du fumé et du séché, soucieux des variations presque infinies de goût conquises avec cette composition bifide. Sa notoriété grandit. Marqué par l’œuvre de son ami peintre et sculpteur béninois Charly D’ALMEIDA, il se distingue par des formes organiques, des lignes épurées et l'utilisation de contrastes de couleurs et de textures.
 
En 2015, l’artiste l’oriente vers l’étoilé Stéphane Gaborieau, au Pergolèse, dans le 16ème arrondissement parisien. Le MOF 2004 le prend sous son aile, l’adoube, jusqu’au poste de second un an plus tard : « J’ai appris la précision, la rigueur du travail bien fait, les radis du matin dans le jardin, le lièvre à la royale ». L’enfiévré des fruits de la mer, ensuite sous-chef au DIVELLEC, dans le 7ème, n’omet pas sa famille à Addis-Abeba : « Je ne suis l’élève de personne. La passion est mon aimant, la pêche est mon refuge. Je trouve mon inspiration dans les eaux calmes et les murmures des rivières. Chaque capture est une histoire gustative qui se dévoile, et chaque instant passé au bord de l’eau est une évasion culinaire ».
 
Dans sa maison, à Langrune-sur-Mer, dès potron-jacquet, il se concentre sur le déplacement invisible des araignées marines. Ses recettes pointent du silence et de la méditation dans le vide qui prolonge la mer. Cette ressource se mue en source d’inspiration : langouste ou langoustine, homard sauce homardine. Le coureur de fond du jardin des tuileries vise la splendeur des architectures du 8ème. La tranquillité délicieuse des encornets, de l’émotion gustative à la sensation africaine, n’éloigne pas la géométrie délicate de l’assiette. 
 
Depuis janvier 2024, au Petit Boutary, l’ex-second de Jérôme Ferrer au fameux montréalais Europea élu meilleur restaurant d’Amérique du Nord 2023, dévoile une gastronomie contemporaine française déclinée dans un esprit d’Afrique de l’Ouest. De la bonté des jus, de la gouverne des sauces, éclot une empreinte identitaire plurielle de ses savoir-faire, un carnet secret de recettes à livre ouvert : des terrines astrales, une triangulation fumé-pimenté-boucané, mémoire ancestrale revivifiée. Le grand voyageur du Rotary Club International mature ses black Angus dans la discrétion du caviar avec une sapide réduction nommée « sel de mer », fumet de poisson monté à la crème et ciboulette fraîche.   
 
De la mousse de café éthiopien en mise en bouche au maniement des piments, de la volaille poivrée au fruit acidulé du Baobab, la manière de sublimer la matière désigne une cohérence. La salade de fonio et papaye tient par l’œuf de truite à la hollandaise. Le mille-feuille d’aile de raie aux épinards, petits pois, pousses de printemps, sauce matelote enroule déjà dans la fraîcheur estivale. La sole farcie aux herbes, purée de banane plantin, chips de banane, coques, fumet de poisson au lait de coco miroite le gombo terre et mer. Le tarama du chef se conjugue au cognac et aux baies roses.
 
La tarte chocolat-caviar, sorbet goyave et crumble, poivre de Penja fumé du Cameroun, lave tout repentir. Roméo AGBODJAN, exact héritier postmoderne du Tchigan, cet art prestigieux et savant qui mêle raffinement, commensalité et altérité, touche au souffle de l’esprit.  
 
 

PETIT BOUTARY

Le restaurant Petit Boutary est installé par Charles de Saint Vincent, en lieu et place du restaurant La Tête de Goinfre depuis juin 2018....

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