A Digne-les-Bains, en 1972, arrive un « piqué tout de suite ». La grand-mère maternelle italienne concocte de prodigieux spaghettis au laurier. L’enfant goûteur étage la « bombine », feuilletage de pommes de terre boulangères mouillé à l’huile d’olive où le lard de colonnata se substitue aux oignons. L’Auberge des Deux Tours, maison familiale prisée, resplendit à Volone. Le minot regarde son créateur apprêter saumons Bellevue, pintades rôties et têtes de veau farcies. Avec ses frères, dès sa néoténie, il dresse la table, improvise des vinaigrettes.
Son père lui réitère à l’envi : « Le métier ne se transmet pas, il se vole ». Le minot admiratif observe les plis du quotidien, la main des cuisiniers. Baccalauréat littéraire acquis, il acte sa propédeutique en droit à l’Université d’Aix-Marseille mais bifurque en licence de psychologie. A 25 ans, la cuisine l’envoûte : « Le Michelin était puissant, c’était l’élite ». Les parents exigent un parcours prestigieux classique mais Stéphan PAROCHE invente des dîners de haut vol pour camarades d’amphithéâtre qui l’implorent d’ouvrir une table.
La passion de recevoir emporte tout sur son passage, transmettre la joie condense l’essentiel. Dans la reproduction des gestes paternels, toutes les fins de semaine, le clinicien en devenir cajole son Molteni. Le paterfamilias, titulaire d’un CAP de Boucher, ami de « Bocuse et sa clique », maintient son bib gourmand. L’étudiant qui rêve de criminologie, rejoint, en 1998, son tendre complice entre Sisteron et Château-Arnoux. Terrine de foie gras, poissons entiers, omelettes aux cèpes et truffes, écrevisses à la nage à la sauce armoricaine, l’Auberge de village jarlandine turbine.
A la Magnanerie, ancien relais de poste, à Aubignosc, en 1999, toute la famille restaure la bâtisse. En 2004, le père se lasse et trépasse. Sa brutale disparition laisse un « fantôme dans le restaurant, toujours présent ». En 2013, le travail de deuil se mue en deuil au travail. Stéphan PAROCHE, en 2017, inconsolé, parvient à vendre son fonds et vient au Hameau des Baux, dans un Hôtel 5*. Avec sa compagne, Justine VIANO, radieuse rencontre au Couvent des Minimes, à Mane, où se distingue le Chef Jérôme ROY*, ils scellent un rare duo substantiel de cuisiniers. En 2019, l’étoile scintille grâce à deux « Asie-mutés » par le feu d’une cuisine racée, occitane, végétale imprégnée des parfums d’un long voyage au Vietnam.
En 2020, l’ambitieux couple qui vise le W50, maintient l’excellence de La Table de Castigno*, à Assignan, par une compréhension profonde et équilibrée des terroirs alentours, des acidités discrètes, pimentées et fumées où prévalent les Asies. La complexité aromatique des vinaigres de fleurs, sapin, sureau ou kumquat montre le brio de la trame française assortie des techniques asiatiques : « Mon père ajoutait toujours un trait de vinaigre pour introduire une salaison ou résorber le gras ».
Dans cette Provence des montagnes, cette empreinte culinaire stabilisée dans une expérience secrète des circonvolutions imaginaires d’un jardin exprime une philosophie confidentielle du produit et du producteur. Cet engagement instaure une architecture de promenade séquencée en Occitanie où la déclinaison d’instantanés -le végétal, la montagne, la mer, le pré- appelle une topographie contemporaine. Le couple PAROCHE-VIANO, charmé par les cuisines de rue du monde entier, Mexique et Japon en particulier, accueillent leurs convives en liaisons amicales.
Un créateur de cocktails manie des paradis aromatiques en extractions pendant qu’une branche de thym à peine cueillie joue sur une viande arrosée. Le kebab de céleri rave « al pastor », sabayon fumé, zaatar et paprika, s’accommode à la pâte de piment et oignons rouges en pickles. La galette de maïs dans l’idée d’un « tacos » végétarien, « mole Occitan » fait écho au croustillant de riz, syphon au riz de Camargue. Le bouquet de salade de saison à saucer, crème glacée moutarde à l’ancienne pour l’accompagner attiédit le jeune poireau brûlé, ravigote au vert, salsa d’échalote au vinaigre de fleur, poutargue d’œuf de poule.
Le Nord et le Sud confluent dans le pain brioché à saucer dans le sabayon de beurre noisette de Justine, l’huile d’olive fruité mûr de Stephan. En s’approchant du Canal du Midi, l’asperge du Domaine de la Fourcade se drape, juste rôtie, d’une huile citron, jaune d’œuf confit, kumquat et poudre de fenouil, blinis aux herbes, tarama, salade d’asperge, pesto d’aneth. En Méditerranée, l’anchois s’enroule dans les pois chiches de l’Aude, bouillon dashi crémé, caviar éco responsable de Saint-Guilhem-le-Désert/Château Castillonne. La baudroie cuite meunière, fumée au cade, frémit dans un jus de poisson corsé comme un jus de viande, gnocchis au beurre de laurier, jus à saucer d’un pain feuilleté.
Au pré, le chevreau de Combemelle, se confit en raviole ouverte de chou vert, jus corsé, chipolata des abats, le reste farci aux herbes. Les agrumes du Château, lactés, étanchent le kumquat givré/en vinaigre, algues. Le compressé de concombre au vinaigre de sapin, gel de sapin émeut autant que la pâte de carotte fraîche et fermentée, troublante au parfum d’orange et curry rose, carotte primeur confite, pesto des fanes, pollen.
Photos Cyril Zecker - Alexia Roux