PORTRAIT DE CHEF
Emmanuel LEBLAY

Par Fabien Nègre
  • Le chef Emmanuel Leblay
  • Restaurant La Pie qui Couette
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Festif manceau, généreuse âme joviale de « La Pie qui Couette » hommage à son grand-père sarthois, au ventre flâneur des Halles nîmoises érigées en 1884, Emmanuel LEBLAY nous transporte à la joie du comptoir, entre couleurs barcelonaises et douceurs nîmoises.      

Dans la Sarthe, le 25 avril 1972, sourit un joyeux manceau dans un berceau de bouche. Le breuil dévoile le ceps, le manteau des sous-bois, l’humus à la rosée. A vélo, le gamin caracole vers son lait frais de ferme, encore tiède, sa crème fraîche, son beurre demi-sel aux cristaux. La mère, couturière pour des grandes marques parisiennes, l’accompagne dans l’amour de la belle ouvrage. Elle pare sa poule au pot presque tous les dimanches dans « les odeurs sacrées et magiques de l’enfance ». La vraie cochonnaille sarthoise, jubilatoire rituel, devance le repas. « Les parfums de boudin aux pommes et de tarte tatin emplissaient la maisonnée ».
 
Le père égaye, dans une petite charcuterie de Bonnétable, non loin du Mans, avec ses rillettes au feu de bois au chaudron. A la dizaine, l’intrépide contemple son paternel, lors du tue-cochon, scinder la bête brute, embosser son boudin noir, blanc, ses saucisses et pâtés. Le chasseur adroit prélève sanglier, lapin de garenne et moult lièvres. Le grand-père paternel, personnage truculent, menuisier et éleveur de brebis, impressionne l’enfant. Aux étangs de Torcé-en-Vallée, il professe la pêche aux carpes, goujons et autres gardons. Sa femme, « bonne cuisinière », met sur nappe des bombances qui éberlueront sa souvenance.
 
Entre la langue de bœuf sauce piquante et le poulet rôti aux pommes de terre, les parties de belotte s’étirent jusqu’à la nuit : « J’ai toujours baigné dans un endroit gustatif. Mon père cultivait son jardin avec ses poireaux, carottes, endives, cébettes, artichauts mais aussi ses framboises que je vendais au pâtissier de notre village. Nous ramassions des petites fraises des bois sauvages dans la forêt à la lisière de la maison ».            
 
L’adolescent bon élève, attisé par les fêtes de traiteur, mariages et baptêmes où son créateur sert sur torpilleurs, annonce aux siens qu’il embrasse les paysages culinaires au grand dam de sa maman, « dépitée ». Le commencement ne se place pas sous les meilleurs auspices. Au Mans, par le truchement paternel, le petit volontaire de 14 ans essaie le restaurant Le Cerf. Le Chef de cuisine, Serge CHAMPION, officiait à l’Hermitage à La Baule et au Byblos de Courchevel. En 1987, Emmanuel LEBLAY, passionné vital, rentre directement en apprentissage à Quimperlé, au Relais du Roch.
 
Michel LE NORMAND, ex bras droit du Champion sus-évoqué, bourru et taiseux, autoritaire et dur, le fascine quand même : « On faisait tout, du matin au soir, le pain, le poisson, on gavait les canards au jardin ». Presque trois ans loin des parents forgent le caractère. L’assidu alternant du CFA de Quimper accroche vaillamment ses diplômes, CAP et BEP avec mention : « J’étais attiré par l’ambiance, la fraternité des cuisines, l’amitié dans un monde à part, un milieu particulier.  Quand on travaille, les gens sont en vacances, c’est un décalage, une bulle pour se sentir bien ».
 
En 1989, au Byblos de Courchevel, le commis, à la saison hivernale, se rue au poisson, son dada : « J’aime lever les grosses pièces, la cuisson millimétrée du crustacé ». Entre turbots à la Kiev, langoustes Thermidor et soles entières grillées, la cuisine du Palace des Neiges désigne son albedo.  Dans son allure, l’agile descend à Cannes, à La Palme d’Or**, à l’Hôtel Martinez, sous la gouvernance d’un intraitable, l’alsacien de la Croisette, Christian WILLER. A l’Orangeraie, la brasserie de l’Hôtel, les journées se dilatent et les nuits s’abolissent : « Je perds 14 kilos, 17 heures par jour, tellement dur que les gars tombaient dans les paumes. Je voulais arrêter le métier ».   
 
Un oncle maternel lui présente Guy SAVOY** en 1990. Le radieux s’engouffre en pâtisserie rue Troyon. Philippe CHAPON lui inculque toutes les valeurs de la haute gastronomie : rigueur absolue des dressages, précision des ingrédients, philosophie des cuissons : « Le millefeuille minute à la vanille, les glaces et sorbets en deux services, la terrine aux deux pamplemousses ». Dans cette crèche éveillée, le percutant monte au poisson. En deux œillades, auprès de Laurent SOLIVERES et Emmanuel MONSALLIER, il passe responsable de la marée.        
 
Sous l’aile du grand chef de la Monnaie de Paris, il sert sous les drapeaux au Ministère de l’Artisanat d’Alain MADELIN. En 1995, il accède, toujours grâce à son père culinaire, au LUCAS CARTON***. 18 mois chez Alain SENDERENS valent bien 18 ans d’expérience. De cette brigade d’élite surgissent des langoustines roulées dans des feuilles d’ange aux asperges minute, des œufs cocotte aux truffes, des fameux homards à la vanille, des ris de veaux et écrevisses sauce thaïe, un lièvre à la royale d’anthologie.
 
Le poète cérébral farceur veille au quotidien pour penser son Canard Apicius et son foie gras au chou, assisté de Bertrand GUENERON. Après un passage à Londres dans un Casino aux cinq cuisines différentes, Emmanuel LEBLAY vit une grande année 1998 avec un compositeur de génie : Alain PASSARD. A l’Arpège, tout transcende le premier second frais émoulu : « des cuissons douces, musicales, des viandes, sublime saucier, trois jours pour des fonds au pommard, un jarret de veau cuit sur l’os, jus de carottes acidulé, un pigeon aux dragées de baptême. Du silence en cuisine par l’autorité naturelle du maître ».           
 
En 1999, Olivier CHATEAU l’accueille à la Bastide de Gordes.  En 2000, le trépidant s’envole à Montréal, New-York, Los Angeles, San Francisco. En 2001, il ouvre l’Auberge de la Treille, en Avignon. Dans ce restaurant gastronomique dirigé par un disciple d’Escoffier, l’omniprésent saisit tous les postes : boulanger, charcutier, pâtissier. En 2005, Emmanuel LEBLAY inaugure son premier restaurant, le Basilic-citron, sur la place principale. Durant sept ans, dans une bistronomie semi-gastronomique, il réjouit les festivaliers avec son filet de taureau Rossini, rizotto d’épeautre, jus corsé ou ses nems au chocolat, éclats d’amandes torréfiées.
 
En 2014, séduit par la profondeur authentique des nîmois, la beauté du terroir alentour et les maraîchers des Halles, il inaugure « La Pie Qui Couette » à la mémoire de son grand-père, expression typiquement sarthoise qui signifie « ripailler, chanter, boire, bambocher, faire la tournée des grands ducs ».
 
Dans son comptoir bistronomique grand ouvert à l’heureuse improvisation de l’amitié, les tapas à la barcelonaise fusent : poulpe à la gallego et pimentos, cèpes bouchons à l’huile d’olive, petites saucisses et perdreaux grillés. Les convives s’accoudent dans un espace libre.
 
La brandade de morue onctueuse réjouit autant que les rognons de veau sauce chorizo, polenta crémeuse. Dans la texture du bar du Grau-du-Roi présenté en ceviche et carpaccio, comme en miroir, se ressent cette vibration de la découpe acquise chez Jean MINCHELLI, le majestueux du 243 boulevard Raspail. « Je travaille les produits bruts à sublimer ». Ce grand amateur de viandes qui vieillit ses côtes de bœuf de Salers, d’Aubrac ou limousine poursuit par un léger confit de poitrine de cochon de Lozère aux épices Cajun, serpentin de patate douce et pommes de terre, jus de carotte acidulé à la graine de moutarde; un soyeux tataki de boeuf de salers, spaghetti de légumes croquants, algues wakamé, une croquante maraîchère de légumes printaniers à l’ail des ours, croustillant de lard paysan et un aérien cannelloni de homard, ricotta, tomates confites et estragon, émulsion de bisque.
 
Le tapas cèle la convivialité et l’humanité. « Attiré par les étages de la flamme », l’ancien snowboardeur aime jouer avec le feu, monter haut, glisser sur une neige vierge, « dans le plus grand silence ».
 

LA PIE QUI COUETTE

Dans les Halles centrales de Nimes, le restaurant La Pie qui Couette est entre les mains du chef Emmanuel Leblay. Le restaurant La Pie qui Couette...

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