Ancien de Senderens, mordu des audaces sucrées ou du sud envoutant, il offre une cuisine perspicace à l’esprit de sincérité, sans prétentions ni tensions.
« Faire quelque chose de mes mains » martèle-t-il en tapotant sur le coin de la table. A Delle, à une enjambée de Belfort, en 1962, point de félidés. Or, le bambin songe à épouser la carrière de « vétérinaire pour vivre en Afrique », un flash d’enfant à la sortie du film « Hatari » avec John Wayne. Notre junior franc-comtois pâtisse ses rêves : « A 10 ans, je passais mes après-midi à confectionner des tartes, des chaussons, des glaces, pour les copains et les copines. La sorbetière SEB, un côté ludique ». Elève moyen, psychorigide, il n’en consigne pas moins « un puissant souvenir gustatif : la nougatine de ma grand-mère paternelle ». Chaque Noël, la petite famille delloise fréquente un trois macarons. L’Alsace avoisine, « elle prend par le haut avec l’influence de ses beaux produits ». Plus bas, Besançon et Arbois avec ses petits primeurs.
A la maison, la fête bat son plein : « tous les week-ends, une convivialité d’auberge espagnole, une sociabilité d’équipe ». La tribu pratique moult sports : basket en nationale 4, judo, volley. Dans cette atmosphère de solides amitiés fidèles, non loin de la frontière helvétique, le mouvement de vie des unions et des communions enjolivent le quotidien. Notre novice attaque l’Ecole Hôtelière de Strasbourg, à 15 ans, sans passer par la case apprentissage : « Je décide la meilleure école, ni le CFA de Montbéliard ni Luxeuil-les-Bains. Ma mère me dirige vers la première française. Un proviseur à l’allemande, en costume cravate du matin au soir, pire que l’armée, entre 1977 et 1981 ». En sort un esprit curieux de tout, ouvert à tous, un intarissable taiseux captivé par la trame opulente du cuire : « Culinairement parlant, je sais un peu tout faire à la « Maximin » : pizza, crêperie, hôtel, haut de gamme ». Attaché à « la transmission, vieille comme le monde », le propriétaire pointilleux des « Diables au thym » partage son expérience en humaniste.
Cette probité de la droiture, ce sentiment de révolte contre ceux qui n’accordent aucune chance, cette impression de blessure devant les « pistons injustifiés » enjoignent au « respect et à la sincérité ». Cette cuisine de bases classiques du Nord n’obstrue jamais le Sud, affable pareille à un méditerranéen du grand Est. L’influence de l’esprit de la gastronomie réussie d’ Eventhia et Alain SENDERENS alors à L’ARCHESTRATE, en 1983, se perçoit dans l’ouverture sur les épices ou les reliefs cisalpins, l’authenticité bien française toute imprégnée des Afriques. « J’ai énormément appris aux côtés de cet être conceptuel, érudit. Les trois mondes : l’eau (Japon, Océanie), l’huile (Chine), la crème (France, Europe) » La biche livre une note alsacienne à l’ancienne, flanquée de lardons, oignons, choux rouge et marrons. Lecteur attentif de vieux livres, Eric LASSAUCE transpose des recettes de terroirs. Le sauté de veau marengo ressuscite. La vinaigrette porto orange ceint la salade de homard.
La sobre cuisson maison caresse les petits légumes. Notre skieur émérite n’apprécie pas « de partir en live », il désire « une accessibilité pour ne plus se moquer du client, contre une élite, un prix abordable, un bistrot contemporain ni azoté ni déstructuré, des produits concrets, bien cuits, bien assaisonnés contre la mondialisation standardisée ». Dans cette douceur des classiques interprétés, la fraîcheur du regard réveille une queue de bœuf adossée à un os à moelle. Le chef de la rue Bergère « assoiffé de culture » s’amuse à réaliser des jus sans sauces, des cuissons mitonnées. Discret, invisible, sans vaniteuse pédanterie, en voyage au Japon, auprès du maestro du LUCAS CARTON, il écoutait les légumes « compotés » qui se suffisaient à eux-mêmes. Autre culture, autre couture. Eric LASSAUCE accentue la ritournelle sucrée de l’enfance. « L’instinct animal du sucre, un souvenir de la tradition des nobles pâtissiers de ma région ».
La glace à l’huile d’olive surmonte une tomate, l’aubergine confite moyen-orientale se blottit contre un sorbet à l’anis et fenouil confit. Des tranches napolitaines figurent des tranchées de souvenirs sur la route des vacances. « Un très bon beurre qui sent le cul de la vache ». La rillette de sardines hume la noisette. Bon, simple, adroit. Honnête, vertical, digne. Une ardoise canaille et canard, saucisses et saucissons. Une truffe au chocolat tendre, pour ainsi dire minute. L’ancien chef des « Bouchons » de François CLERC trace ses carnets de route. Passionné par l’histoire et les géographies, féru de cinéma avec pour film culte « Le Festin de Babette » notre cuisinier de métier n’a d’autre ambition que de réchauffer le mangeur dans le calme de la halte : « J’adore m’éclater les papilles ». Un café gourmand, la framboise sur l’ardoise. Justesse de l’équité. Des pommes fondantes, en quartier. Frais, léger, convivial, sans fioritures, sans concession, à l’image de « l’individu en lui-même ». « Ris de veau en cocotte » : une bonté sans confusion.
« Avec une simple carotte, je parviens à l’étincelle ». Dans son jardin mental : crosnes, navets, topinambours, panais scintillent depuis belle lurette. Un lieu chaleureux de quartier, « superbement bon ».