Loyal colombiérain façonné à l’ombre majestueuse des Grands (Alain Senderens, Yannick Alleno, Jacques et Laurent Pourcel), magnétisé par les orients chérifien et nippon, les 40 printemps mansonniens rivés à pile et face, Thierry VAISSIERE, installe son talent d’élucidation méridionale et d’harmonie jamais clouée, de la terre tourbée de la chasse à l’impesanteur agrumée de la mignardise, dans les plus gracieux jardins estivaux de Paris, à la Maison de l’Amérique Latine
Entre méditerranée et contreforts des Cévennes, sur la voie domitienne, promontoire qui surplombe un étang, avant la montée du Malpas, à deux encolures de Béziers, un garçonnet aux yeux sages déboule à Colombiers, le 10 avril 1973. «La famille ne cuisine pas». Dans ce village d’agriculteurs années 80, la seule chance s’enracine dans le ceps. L’enfance classique, lézardée de soleil, passe par le père, vigneron, qui cajole ses vieux cépages : cinsault, grenache, syrah. Surviennent le maïs et la tomate avec la maman au foyer. Les fruits de la Terre. «Je n’ai jamais coupé les ponts, une créativité visuelle et sensorielle. Aucune fascination pour le goût en premier mais pour la joie de créer». Le garçon à vélo, presque trop effacé, vise la sommellerie des belles maisons.
«Je voulais comprendre le vin, l’histoire des grands crus, sans doute pour mon père et revenir chez moi en vigneron». En 3ème, l’Ecole s’éloigne, le compagnonnage saisit l’été 1991. A l’« Auberge de L’Espinouse », à La Salvetat, la jeune pousse ne bulle pas. «Dans la montagne, sur les hauts cantons, des services à zéro couvert». Cette angoisse de la chaise vide traumatisera l’apprenti sensible pour toute une vie. En 1992, au «Grand Hôtel Mas», à Lamalou les Bains, l’adolescent brûlant de tout connaître, regarde, après le service, la préparation des chefs d’œuvres. Entre 1993, à la «Maison de la Lozère», «un bon petit gastro», à Montpellier, le Chef Eric CELLIER, créatif sur l’amertume et le dressage, un peu à «l’école BRAS».
La scolarité s’éclaircit tout de go : CAP-BEP-Bac Pro avec Mention à l’EMTH (Ecole Hôtelière de la Méditerranée) de Béziers en 1995. Dans la foulée, le futur stagiaire Alain Ducasse Formation «La Trilogie*** », réalise son service national, grâce à un professeur de l’Ecole Hôtelière, au Cercle National des Armées, à Saint-Austin. Paris embrasse, les extras : « Patrick CIROTTE*», «Concorde Lafayette», « Ma Bourgogne » Place des Vosges, le «Grand Véfour**», le «Carré des Feuillants**» mais aussi «La Coupole». Des mises en place invraisemblables, des produits incommensurables, des caves de prestige aux flacons inouïs, de la fraîcheur lumineuse.
«Je me plais à Paris avec cette équipe de bons mecs. Je fais tout : pâtisserie, cuisson, garde-manger». L’émulation ouvre la soif de compétition. «En parlant, on rêve de travailler chez les Grands. Je voulais profiter encore de cette aventure humaine». Le vrai décollage aura lieu, en juin 1996, chez le pape de son temps, Alain SENDERENS, au Lucas Carton***. Le seul chef, triple étoilé, qui réplique, avec Philippe GROULT, dans le 17ème à sa lettre de candidature. Le choc avant-gardiste des techniques sous vide ou basse température, la turbulence créative .Odes accords vins-mets, l’ardente rigueur des saveurs de l’Atelier, l’étonnante solidité de la brigade, tout surprend l’aficionado des acidités pointées. «Je comprendrai plus tard». Bertrand GUENERON, le sous-chef, passe ses bouillonnantes troupes en revue, sous pression.
«En deux mois, j’étais un des plus vieux de la maison». Tous les chefs de l’équipe accompliront une brillante carrière : Eddy LEROUX aujourd’hui chez Daniel*** à New-York, Thierry PALUDETTO, Frédéric ROBERT* à La Grande Cascade, Jérôme BANCTEL, Nicolas SALE**, Gaël ORIEUX*. Interdit de cuisine par son médecin, tireur invétéré de vitoles, Alain SENDERENS ne récapitule pas une personne mais incarne un personnage dans le restaurant mythique le plus couru de l’Europe des années 90. «Des branlées époustouflantes, des poussées telluriques mais des plats mirifiques passaient tous les jours». En novembre 1997, le biterrois tient son cap avec un poste de «1/2 Chef de Partie » chez « DROUANT**».
Là, morigène le vieux Louis GRONDARD, MOF 1979, et surtout, un jeune playboy qui veut en découdre ipso facto et manu militari, Yannick ALLENO, qui gouverne l’Affaire avec «ses fameux coups de bourre dans l’échine». Avec Philippe MILLE, aujourd’hui deux étoiles aux Crayères, à Reims, l’implacable jeune homme absorbe un savoir infini, l’art des jus et des fonds, le gibier, les pièces entières de gigot d’agneau. Des fêtes et des folies. En janvier 1998, «La Tour D’Argent**» de Bernard GUILLAUDIN l’accueille en «chef de partie». Travaille aux cotés de Jean François Sicallac, Stéphane Haissant, et voit les premiers pas de Dimitri Droisneau**, Dorian Wicart, comme commis «Je n’ai connu que des restaurants complets. Dans le Béziers sinistré, j’avais trop peur des salles vides de l’apprenti». «Mettre des canards sous les torpilleurs» lasse vite. En 1999, Las Vegas lui ouvre les bras.
«Chef Assistant» du «Paris Las Vegas Casino Resort (2300 chambres)» à l’ouverture à «La Rôtisserie des Artistes» et au restaurant «Le Provençal», à 26 ans, dans le feu du jeu et l’enfer du labeur, le calme méridional converti à l’hystérie dirige une cuisine-usine de 600 personnes et un buffet de 4000 couverts/jour. Il sait, alors, ce que volume signifie. «Je donnais des poings dans les murs». En décembre 2000, les jumeaux montpelliérains prennent «Maison Blanche» d’assaut. «Je voulais les POURCEL. Ils m’ont répondu dans la nuit pour être sous-chef». Entre la bistronomie au tablier bleu et les multi étoilés, le Chef de La Maison de l’Amérique Latine estampille son artère. Loin des valorisations de starisés, il œuvre avec gentillesse, trop modeste, sans doute très réservé, dans la passion artisanale.
A la reprise de Maison Blanche Jacques et Laurent POURCEL conquièrent la Capitale, en terre étrangère. «J’aimais leur cuisine, apprenti, j’y avais déjà diné». Sous l’impulsion de Thierry ALIX et Pascal FERAUD, cette cuisine contemporaine hyper-créative rompait avec les schémas classiques, créait des variations de substances dans un jardin des sens. «J’étais leur homme de confiance mais il y avait des montées de testostérone». Après le 11 septembre, toute la brigade détale. Meilleure table d’affaire du monde en 2007 et 2008, 200 couverts/ jour, le Chef de cuisine, titulaire depuis 2003, illumine la Blanche Maison.
Débordant d’originalité, «foie gras au chocolat, sphérification de passion-mangue», travaille au coté de Benjamin LE CHEVALIER* aujourd’hui, à Rouen, Cyril Lignac* comme chef de partie. Ebahi par l’Asie, «la cuisine japonaise me passionne, j’ai gardé sept ans un japonais second», il retiendra les sculptures de l’acide, amères ou sucrées. Le pourtour du bassin méditerranéen l’emporte avec ses huiles d’olive dans une approche œnologique. Entre 2008 et 2013, l’ouvreur des Collections Maison Blanche (Fès, Casablanca), moderne et modeste, pratique le lâcher-prise du rapport qualité/prix/atmosphère responsable pour laisser parler ses émotions, s’éloigner des produits nobles. Ce travail raisonné d’épuration conduit à des plats qui structurent un cheminement : sole roulée, tartare d’huîtres, couteaux. Histoire de déclinaisons de foie gras.
Bien dans son paysage générationnel, Thierry VAISSIERE cherche à orner sans heurter, de la technique à l’émoi, sur les assises classiques de la maîtrise. Ce «guerrier de l’excellence», rêve tous les matins, en ces jardins du 7ème, à cette profondeur labyrinthique du goût, cette rime jamais pétrifiée de la joie d’être ensemble. «Un plat doit être saucé avec du pain» selon l’adage de Claude TERRAIL. Une matière cristallisée par notre appétit. «Je fus l’allumeur qui tapait là où cela faisait mal». Pigeon, truffe et passion, pomme, tabac-pomme. Velouté de topinambour, lard parfumé. Agneau de la tête au pied, façon "à la royale", cuit 7 heures, purée au beurre. Tarte au citron de pays version 2014. Finger chocolat grand cru Guanaja, crème légère de nougat.