Le 25 août 1976, à Okayama, dans la cité des jardins féodaux, vient au monde un ainé ceint de trois sœurs. Le père dirige une société automobile. La maman s’escrime à ses côtés pour la gestion de l’affaire. Dans son potager, « sa grande passion », le gamin récolte tous les beaux légumes à la soie de la rosée. Joueur, il chaparde, avec ses copains, les grains de muscat dans les vignes voisines. L’enfance coule en bordure estivale de la mer intérieure de Seto. Là, dans l’île de la maison maternelle, Okino-shima, préfecture de Shimane, le petit pêche des oursins avec son créateur.
La puissance iodée intensifie le goût d’éternité des jours. L’adolescent s’immerge dès l’abord dans la cuisine par sensibilité et culture familiale. Loin des affutiaux, le souvenir de l’ormeau envoûte une vie. Lors des vacations montagnardes, la cueillette des plantes aromatiques, bourgeons et autres herbes l’enivrent : « J’ai toujours voulu faire de la cuisine. Mes parents absents, à 5 ans, j’avais faim et j’étais seul, je préparais des omelettes (okonomiyakis), du bœuf, du curry, des riz, partagés en famille ».
Les premières sensations gustatives conjuguent salinité et iodé dans une sorte d’hypocauste. L’anguille vivante pêchée la nuit épie l’ikejimé du lendemain. Dans cet art de vivre ancestral, le bon élève arrête sa scolarité à 16 ans pour entrer à l’Ecole Tsuyama-Higaghi d’Okayama, entre 1992 et 1996. La première année traite de la gastronomie française, la deuxième de la nippone et la troisième concerne la chinoise. A 19 ans, son apprentissage achevé, Terumitsu SAITO, maîtrise les bases de presque toutes les cuisines.
Coup de théâtre, il cesse toute passion culinaire pour s’adonner au design et à l'architecture d'intérieur durant deux ans et demi. Il revient pourtant à la cuisine pour se nourrir autrement et par manque quasi physique de création, rapport manuel à la matière : « Je voulais surtout voir le résultat final naître sous mes yeux, le partager et récolter le bonheur de mes convives instantanément, je n’ai jamais retrouvé ailleurs ce caractère instantané ». Cette volonté tactile et sensuelle s’origine sans doute dans ces journées entières passées avec son paternel à réparer voitures et motos.
En 2000, il entame son beau chemin chez un grand chef japonais, MIKONI, qui pratique la gastronomie française à Hiroshima. Vite distingué, le déterminé rallie de prestigieux établissements tokyoïtes en tant que chef de partie cuissons des viandes chez le fameux chef Yoshihiro NARIZAWA**; pour lequel il avoue « un infini respect » et chef de partie saucier chez BENOIT. Il y sait la solidité des techniques de coction, la précision et la rigueur du rythme, la régularité des assaisonnements du pigeon et des gibiers : « J’étais impressionné par la quête de perfection du Chef exécutif d’Alain DUCASSE, Massimo Pasquarelli ».
La connaissance des brigades de dimension importante, plus de quinze personnes, le savoir d’un poste très précis, assurent une progression fulgurante. Les partitions culinaires se construisent sur les fonds de sauce dominés et l’identification des différents styles propres à une technique. En 2007, le chef déjà aguerri parvient à La Rochelle, gros de l’histoire croisée de cette fascination réciproque entre le Japon et la France : « La cuisine est de la culture, j’étais attiré par le sentiment français de la cuisine, la façon de manger et de partager, la cuisine est un don de l’histoire ».
Terumitsu SAITO découvre la manière marine du MOF Johan LECLERRE mais aussi son bœuf fumé aux huîtres. Les langoustines juste snackées, pelé de tomates et légumes l’émeuvent : « J’avais une envie folle de tout voir, tout goûter, les grands me faisaient rêver : Yannick ALLENO, Jean-François PIEGE ». En 2008, il survient chez le triple étoilé Guy MARTIN, au symbolique Grand VEFOUR. Il y comprend la sensibilité, l’audace et l’humilité du goût, analysé et pensé à travers notamment la célèbre texture de la « raviole de foie gras, crème foisonnée truffée » mais également la majesté des produits : « Une liberté de création totale dans des assiettes précises tellement respectueuses de la cuisine française, des associations si originales. Une révélation. Je garde un grand souvenir de son Pigeon Prince Rainier III ».
En 2012, il intègre, au titre de « chef de partie cuisson viandes et poissons », en compagnie d’Arnaud FAYE, l’équipe de l’ouverture du restaurant « SUR MESURE »** by Thierry MARX dans le Palace Mandarin Oriental. Il voit un chef hors du commun, sensible à ses équipes, briser les codes de la saveur et des couleurs, « apporter le Japon dans une assiette de constitution française ». Ce sentiment paisible de calme et de maîtrise totale de celui qui n’a peur de rien dégagé par le sabreur de Ménilmontant le fascine : « Sa vision à imaginer des assiettes faciles à comprendre et simples à déguster émerveille à l’image de son risotto de soja à la truffe, un travail infini pour parvenir à une simple évidence ».
Pendant quatre ans, Chef du Blue Valentine, un bistrot gastronomique dans le 11ème, il signe un étonnant tartare de bœuf et de séduisants amuse-bouche. En 2019, chez PILGRIM*, dans le 15ème, son sens profond de l’esthétique, sa vision créative nippone de la gastronomie française l’envolent vers une première étoile. Il présente une gelée de caviar, bœuf au sel, purée fumée ou une déclinaison autour de la seiche, tempura et purée de truffe qui attisent les becs fins.
Le Chef SAITO aime à apprêter les œufs, qu’ils soient de caille laquée au sirop de betterave ou de poissons avec poutargue ou même de saumon. De son saint-pierre nacré au chou-fleur émane une rare soyeuse délicatesse qui confine à la paréidolie. Fort d’une fine compréhension des provenances, il inaugure ORTENSIA, hommage à l’art floral de son pays et au chic parisien, le 12 janvier 2022 : « Un lieu avec une âme. Désir de liberté, d’expression. Textures essentielles. Régularité, harmonie, température. Ōrtensia c’est avant tout le Japon et mon enfance.
Une fleur, un art floral, la sensibilité mais aussi la force. Cette fleur éclot toute l’année. Enfant, je les faisais sécher à l’envers pour fixer leurs couleurs ».
L’amuse-bouche pensé dans l’esprit très japonais des Izakayas, petits bars à tapas, surprend et éveille, promet un voyage inédit tout en confidence féminine sans exclure les contrastes forts et colorés.
Discret, subtil et poétique, Terumitsu SAITO, minutieux respectueux de la cuisine hexagonale, avec la finesse de son Japon dans un jus de coquillages, canard, poulet ou une sauce à la franche euphonie toute en caudalies, en quête du beau et d’une certaine pureté du goût, rêve de son rivage, de la sensation d’un dashi terre et mer. Dans la profondeur de l’amertume et l’ambition de l’humilité, il redouble l’umami pour célébrer l’arrivée de l’été et la fin de la saison des pluies : « Faire sa vie, grandir, partager ici et maintenant » dans une tranquillité ubiquitaire.
« Quand je suis absent, je suis là quand même ». Une joie secrète : tataki de sériole, radis vert & wasabi; Saint-Jacques & truffe noire en tempura, panais; lotte bretonne & déclinaison de carottes; pigeon de Racan, shiokoji & patate douce. De puissance en puissance, le dîneur abandonne sa table avec une élégance biseautée de douceur, bouche propre. « L’essentiel de mon travail consiste à porter la vérité d’un goût à un autre niveau ».