Le 18 janvier 1987, un pur parigot transperce le maquis citadin. L’enfance dorée ne fait pas un pli. Le benjamin de la famille piétine d’impatience à l’attente des festivités de Noël où la cuisine et le vin unissent toute la tribu. Le paternel, réalisateur de comédies, n’effleure aucun piano mais cultive l’art des fêtes gustatives. La mère, dans la mythique Agence CLM/BBDO, régente de jolis budgets. A 13 ans, le futur directeur de production de la Compagnie des Indes taquine les joies du marché pour ses parents : « Un bouillon thaï aux écrevisses éclairait les visages ».
Lecteur attentif d’ouvrages de recettes, il s’inspire librement des picturalités de Kei KOBAYASHI*** : « Le versant manuel me plaisait, c’était génial, merveilleux, je voyageai avec un plat. Produire une transformation immédiatement visible dans des horizons ». A 20 ans, à la maison, il ose le bœuf en croûte, foie gras, truffe ou le frais carpaccio de daurade, échalotes, gingembre et citron vert. Lors d’un dîner familial dans l’institution germanopratine LIPP, le rêveur un peu cossard observe le costume des serveurs, « beaux comme des pilotes d’avion ».
La famille ne court pas les étoilés mais « donne la chance du goût ». A Meudon, où l’adolescent grandit, la scolarité du demi d’ouverture ne glisse pas comme une mer d’huile. Le tennisman passe sa seconde en pension afin de retoucher un léger manque d’assiduité. Les sports intenses le rectifient dare-dare. A l’heure de sa majorité, son baccalauréat économique et social validé, il aborde l’ESRA, renommée Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle. En 2010, au sortir de sa première année, le troisième assistant de Jean BECKER, sur le film « La Tête en Friche » s’amuse bien mais désire s’autonomiser.
A rebours de cette route toute adoubée, le garçon timide natif des beaux quartiers enchaîne, en 2011, avec le tournage de « La nouvelle guerre des boutons », de Christophe BARRATTIER mais s’émancipe de ce monde pour féconder son appétence créative. Même si les homologies entre cuisine et cinéma ne manquent pas, -hiérarchie, brigade, organisation-, Jules MONNET admire « ceux qui créent avec leurs mains ». En 2017, aux côtés de Michel VIOTTE, il réalise son dernier docufiction intitulé « Jack LONDON : une aventure américaine » pour ARTE. En dépit de son flatteur petit tour du monde, San Francisco, Tahiti, Alaska, il recherche un autre projet entre deux films.
En 2018, une rencontre dans un bar, avec Julien CHICOISNE, chef exécutif d’Éric FRECHON, au DRUGSTORE Publicis, fonde le point de bascule de sa trajectoire de vie. Le jeune amateur averti se lance dans un stage de quelques semaines à FERRANDI Paris 75006. « Flippé », il insiste pour se pointer « au culot et à l’audace », en haut des Champs-Elysées. Au sein d’une brigade effervescente de quarante-cinq talents, il réalise la « violence du métier » avec les seconds du BRISTOL mais « veut qu’on lui tombe dessus » pour prouver à ses parents qu’il existera ailleurs que dans son monde.
Le rêche apprentissage express couvre tout, des techniques de cuisson à basse température à la culture du produit autant que la propreté et la rentabilité. Le néophyte mature jubile, goûte tout, cuillère en main. Les textures et les odeurs l’enivrent notamment le fumé : « J’étais dans mon monde et je ne voulais plus changer ». L’expression culinaire le fascine : « J’aimerais être saucier dans un trois étoiles, créer une bonne sauce demande un sens artistique ». Chez COLOROVA 75006, écotable connue pour ses desserts, restaurant hybride, il approfondit sa trame asiatique, son inventivité sucrée/salée.
Auprès de Guillaume GIL, la recherche autour d’un plat pousse loin. Les Saint-Jacques pas du tout snackées cuisent dans un bouillon gingembre, citronnelle, coco. Le terroir français s’harmonise au sésame et yuzu dans un bel équilibre. Les Casarecces (pâtes siciliennes en forme de petits rouleaux) déglacées dans une sauce miso/soja/coco/shiso bousculent les becs tendres. Un univers de possibles s’édifie par les contraintes spatiales d’un établissement spécial, sans extraction. La créativité induite par les limites caractérise le Chef du Comptoir de la Traboule 75007 qui, loin de revisiter des classiques, privilégie les règles de l’art ou les détournent pour mieux les contourner.
Depuis octobre 2020, il cisèle ses petites assiettes gourmandes en moyennes portions. Dans ce « menu dégustation à la carte », le minutieux pointilliste de la rue Augereau improvise des propositions quasi musicales dans un style méditerranéen végétal aux influences nipponnes et aux sources levantines. Ces marqueurs cueillis dans chaque pays du monde que le trentenaire arpente s’inscrivent aussi dans des singularités générationnelles à l’image du modèle Mory SACKO : « piocher dans des univers différents avec une cohérence ».
En quête de nouveau dans une prolificité de l’errance, cette manière sensible et délicate accueille sa féminité lors même que la matière se présente dans son côté parfois brut mais jamais brutal. L’ailleurs se conjugue à l’ici dans un sens harmonieux aigu : « Je n’ai pas encore assez confiance dans mes horizons mais je veux faire éclore des paysages ». Humilité et certitude, échecs et essais, tentatives et tentations, telle se trace la corde raide de l’absence de recette qui s’inspire des magazines, d’un parfum, d’une longue promenade dans Paris. La pastèque grillée au chalumeau forme un défi « excitant ».
Le jeu des limitations rafraîchit par des substitutions heureuses : œuf, caviar de hareng fumé, maquereau, sardines. Cette post bistronomie aux goûts marqués qui joue avec les consistances et les idées liquides récuse la noblesse onéreuse de la provenance : « Homard, Turbot, Caviar. Payer un plat plus de 60€ n’a aucun sens, n’est plus tendance. Le plat-signature ne correspond plus au temps ». La surprise bourgeonne de la fleur de Sichuan, virilité florale d’un piment qui anesthésie. Comme dans un film de Wes ANDERSON, le juste et le droit jaillissent aussi de l’hyper-esthésie.
En toute olfaction, les compositions stylées de Jules MONNET permanent, à l’instar des photos de Diane ARBUS, pour tourner une sapidité du temps. Le jaune d'œuf confit frôle la mousse de haddock fumé, fleur d'ail. Le Fish « in » the chips, Mayo de curry noir, s’étire indétrônable. Le sashimi de maquereau, sauce mole verde, ail noir, désaltère les lèvres. Les ravioles de lieu, sésame, shizo, matcha nous cornaquent vers des strates aromatiques inouïes. Le thon, petit pois, shitake, menthe exhorte à la méditation. Le saumon en gelée d'eau de Coquillages, Mayo' raifort, huile citronnée, nous désigne la profondeur de la consistance.
Les Arancini, Corn flakes, Champignons sautillent à la sicilienne. Les Gnocchi aux asperges, Poutargue, Parmesan; la crème à l'oseille, Mousse de pomme de terre fumée, rhubarbe équilibrent, dans l’onctuosité, des acidités et des amertumes croisées. La Poitrine de cochon basque confite 36h, Crème de maïs, pickles de jalapenos; le Tataki de bœuf maturé, Sauce « Tigre qui pleure », oignons de Roscoff, cidre; le Carpaccio de joue de bœuf, Mayo' à la sauge, œuf coulant ou la Ballotine de volaille, Crème de cresson pimentée, curry tom yam crayonnent de brillants travellings dans des perspectives aériennes.
Quant au final, mirez la rare Mousse au chocolat, tapenade d'olive, amandes, câpres ou le Mug cake chocolat et gianduja, Noix de pécan.