D’un foyer sans fumet, à Issy-les-Moulineaux, en 1989, bruit un remuant. La mère, employée de supermarché, le père, gardien d’immeuble, jugulent à grand peine le bon élève qui, très vite, ambitionne la robe mais point le palais. La famille, nombreuse, se déplace à Gonesse. A l’heure de l’orientation fatidique de fin de collège, l’agité cherche « à faire quelque chose de physique ». Les sports le dessinent : compétitions de natation, judo, tennis, football, basket, handball. Les blessures freinent pourtant tous ses élans. La « montée vers la gourmandise » s’origine dans l’effort : « Hyperactif, je mangeais vraiment beaucoup, j’aimais cela ». Un peu égaré, l’adolescent accomplit un stage dans les cuisines d’un restaurant voisin pour « voir le monde du travail ». Au « Casting », en 2003, dans le vieux Gonesse, le marmiton s’émerveille de toute la boule à facettes du métier : création intellectuelle, pression physique, excitation du coup de feu. « Un match où personne ne triche, un jugement sur l’instant ».
En 2004, grâce à un dossier scolaire impeccable, sa maman l’encourage à pousser les portes de la meilleure école de France : FERRANDI. Les enseignements diversifiés, aujourd’hui disparus, l’emballent : menuiserie, maroquinerie, sculpture sur glace. En quatre ans de cursus, les professeurs le tirent vers le haut. Baccalauréat professionnel validé, en 2007, l’aventure extraordinaire démarre fort par le Pérou, à Lima. A 17 ans, les produits originaux dilatent l’horizon : maïs, pommes de terre, fruits de mer.
Au restaurant Yuaca Pucllana, dans un quartier touristique et résidentiel, le néophyte s’étourdit de la fabuleuse gustation des splendeurs estivales et solaires : « la chicha de jora, boisson alcoolisée réalisée à partir de la fermentation des graines de jora, variété particulière de maïs séchée, cuite au four ». Il réalise son apprentissage, sur toutes les marches de l’escalier, à la Maison de l’Amérique latine avec Pascal JOUAN. Au Grand Louvre, ensuite, il visualise la partie traiteur très développée. A Maison Blanche, sous la responsabilité des frères POURCEL, aux côtés de Sylvain ROUFFENAC, l’aspirant vit le volume qualitatif. En 2008, il passe une année, au titre de chef, dans une brasserie de la place Denfert-Rochereau bien nommée « Le Rendez-Vous » afin de comprendre la logique de production de 200 couverts par jour. En 2009, il repart en Amérique latine, à Mexico, au « Cardenal », un établissement traditionnel : « Dans cette vie engagée pleinement, je voulais faire du gastro, je ne voulais rien autour qui me dérange ».
Entre 2011 et 2014 au « Sur mesure », aux côtés de Thierry MARX, un personnage hors-normes, il rentre en gastronomie avec des techniques, des états d’esprit, un style de management, le silence en cuisine, la méditation. Ces formes et textures différentes, conceptuelles et complexes, enrichissent Romain MAHI : « Chacun présentait ses plats au chef, une grande liberté, un révélateur de talents tel Mory SACKO. Le ballon d’eau de tomates, basilic, azote; le risotto de soja à la truffe; la caille conique; le bœuf charbon; l’onglet caviar palourdes, la mousse de volaille ».
Un début d’écriture culinaire s’esquisse, moins technique, plus savoureux. Entre 2014 et 2016, chef de partie puis second à LA TRUFFIÈRE, il s’épanouit dans un petit établissement familial, s’initie à l’organisation. Avec sa future femme, cheffe pâtissière, Ayumi SUGIYAMA, il sculpte le « parmentier de queue de bœuf et truffe, la Saint-Jacques aux navets, le soufflé à la truffe ». En 2016, avec sa compagne, propriétaire du restaurant, il ouvre ACCENTS au 24, rue Feydeau, dans le 2ème arrondissement. Le travail des produits moins nobles se précise avec de la cervelle d’agneau ou du foie de lotte. En 2018, le prix Jeune Talent Gault&Millau insuffle du terre-mer car il prise les contrastes acide/salé, sucré/amer. Le dialogue avec les artistes et artisans bat son plein : Terroirs d'Avenir, la poissonnerie d'EBISU ou encore Anna SHOJI, maraîchère japonaise installée en Touraine qui livre un panier de légumes chaque semaine pour cette cuisine originale, surprenante et libre. Cette histoire de confiance se poursuit avec le choc prodigieux de la première étoile en 2019. Romain MAHI s’affranchit des codes, cuit son pain quotidien, parfume son beurre, accorde une place singulière à ses céramiques quelles proviennent de la récupération ou qu’il les fabrique lui-même avec son épouse.
Surprendre et séduire, intriguer sans impératif locavore, cultiver la différence, se démarquer de l’uniformisation étoilée, soutenir le terroir français, autant de points d’ancrage gravés dans le style ACCENTS. Le Japon n’intervient pas directement dans l’assiette mais la technique, les façons de travailler, taillage ou dressage, la rigueur structurée prédominent : « Tout s’accorde avec tout, il faut juste une passerelle entre les aliments. On peut faire des moules au chocolat. Il faut distinguer les acidités, citrique ou vinaigrée. La balance inverse parfois l’euphonie ». Le tepache, boisson fermentée mexicaine d’origine précolombienne originellement fabriquée avec du maïs, accompagne le dernier dessert, pétillante telle un soda, un cidre d’ananas, étonnamment fruitée. « On va au restaurant pas au spectacle, on mange pour le plaisir ». La proposition culinaire diffère en fonction des tables et des convives. Cervelle et caviar ravivent l’étonnement. Romain MAHI évolue vers un autre niveau avec des thermoplongeurs, de l’azote pour cuire l’extérieur en conservant l’intérieur d’un aliment intact. Les extractions circonscrivent des formes d’altérité sans règles mais toujours à l’aide de régulations.
Le piment se transfigure en texture de macaron, moelleuse ou craquante, jamais sucrée. La fécondité de l’erreur, la fertilité de l’errance accouchent d’un mouvement perpétuel. La miche maison au levain de pomme se déguste avec les doigts, aiguillée par son beurre fumé au bois de cerisier tel un gâteau à l’heure apéritive. Les mises en bouche intriguent avec un boudin noir/pomme associé à une meringue blottie dans sa sauce anglaise Worcestershire, une gaufre au brillat-savarin surplombée d’un voile de lard de colonnata, un bouillon de volaille à la truffe noire, un panais/pomme/anchois. Le risotto de cèleri/saucisse de Morteau précède la Black tiger/kiwi séché, le perdreau rouge/Saint-Jacques, Garum de thon/oursin de Galice. Un virtuose tourbé-iodé contrasté et texturé. Le bar sur écailles/butternut/algues, le rouget barbet/cécina de bœuf maturé/moule de bouchot, le dos de cerf/endive/truffe noire, comté millésimé, beignet de lièvre clôturent la danse nocturne. Les douceurs conclusives diffèrent par leur absence presque radicale de sucrosité, laisse la bouche en gaité : millefeuille à la truffe noire; poire/noix de cajou; bulle de sucre/coing/pomme/gingembre/lait réduit, eau pétillante épicée.
Photos Florian Domergue