Joël VEYSSIERE, depuis 2015 à L’Hôtel du Collectionneur***** 75008, colosse amiénois à l’âme jolie, humain amiral au « Pied de Cochon », vainqueur dans tous les compartiments du jeu, éminent membre de l’Académie Culinaire de France, poursuit la fête dans son Chalet de Noël.
A Amiens, le 29 juin 1967, un poupon monumental passe les persiennes. Dans la capitale picarde, honorée pour son macaron Jean TROGNEUX, même si la culture gastronomique ne brille pas, les spécialités abondent, de la ficelle à la terrine de canard, des provenances de la baie de Somme aux oreilles de cochon ou bien encore à l’agneau des présalés. La famille VEYSSIERE n’incline en rien à la restauration mais les odeurs et les ambiances des fourneaux des grands-mères éveillent.
La paternelle touquettoise fouette son omelette magique minute avec trois fois rien, une pomme de terre cuite la veille, un morceau de saucisson à l’ail, un brin de persil et des œufs frais fermiers. Le petit garçon de six ans fond de plaisir. La maternelle douaisienne fait pousser sa levure dans le lait pour accoucher d’une brioche à se croquer les doigts. Le père, chirurgien et la mère, cadre hospitalière, aiment la table. Au centre aéré, dans les entours amiénois, le pilier de rugby de sept ans ne joue en rien la pusillanimité. Au lieu de manger, il passe sa journée en cuisine, « pour donner un coup de main, faire plaisir ».
Le footballeur tenace que seul le goût interpelle, décide, à 8 ans, d’épouser sa voie lors d’un dîner familial dressé par un cousin, apprenti dans l’institution rouennaise du canard au sang, « La Couronne ». Le pain de poisson passe devant les yeux éblouis des mangeurs, la reconnaissance appelle. Le handballeur opiniâtre ne passera pas en seconde mais valide son BEPC. En 1983, le voilà immergé chez un « vrai maître d’apprentissage », Pierre LAROSE aux « Cultivateurs ». Un patron chasseur aux cocottes, une matrone en salle. La grillade crépite au charbon de bois.
Le lièvre et la bécasse se dépouillent au crochet. Au paradis, les pleurotes embaument la violette dans tout le garde-manger. A 18 ans, le finaliste du concours de meilleur apprenti de France « monte à la capitale ». Au Méridien Etoile, porte maillot, le Chef Maurice BRAZIER le marque. « Je le voyais, tous les matins, prendre son petit-déjeuner dans son bureau vitré, lire le Figaro, son jus d’orange frais et son petit doigt levé, il regardait les commis tourner les pommes de terre et les épinards ».
En 1985, le troisième commis au Clos Longchamps* déboule dans une écurie de chefs chevronnés : Jean-Marie HUARD puis Jean-Marie MEULIEN. Ce dernier, ancien second de Louis OUTHIER, l’épate par son charisme et sa technique. « Le premier jour, il nous a mis plus bas que terre, il venait chercher la deuxième étoile, obtenue d’ailleurs en 1988 ». Pointe aussi, dans cette équipe de feu, un meneur d’hommes aujourd’hui très médiatique : Philippe ETCHEBEST. « Un sacré bonhomme, puissant travailleur, futur MOF ». Le titulaire du CFA Saint-Hilaire du Chardonnay taquine les desserts de cuisinier : crème brulée, pruneaux farcis, soufflé au café d’Ethiopie, riz au lait.
« Ma force, l’adaptation ». En 1987, appelé sous les drapeaux, après ses trois jours à Cambrai et ses classes à Fontainebleau, l’aspirant conducteur se voit, bouche bée, propulsé à Matignon. « Je venais d’une petite bourgade, je me retrouve sous les ors de la république au service du premier ministre. Une cuisine hautement symbolique, côtoyer Jacques CHIRAC laisse un souvenir à vie ». Sa saison d’hiver à l’Albert 1er*, à Chamonix, aux côtés de Pierre CARRIER le charme. Dans cet établissement à l’identité culinaire originale, mélange des traditions savoyarde et italienne, l’esprit familial apaise : « Nous prenions notre petit-déjeuner tous les matins avec l’ensemble de la brigade, le Chef et parfois son père. Ce moment à la confiture de montage, aux croissants croustillants au beurre frais, permettait d’appréhender avec joie et à l’unisson les longues journées au rythme soutenu ».
A 21 ans, le courageux bisontin par ses beaux-parents, s’établit, en chef-propriétaire, dans son restaurant « Chez SOSTHENE ». Les parents de son épouse, maquignons et boulangers, leurs mettent le pied à l’étrier. « En cinq ans, j’acquiers dix ans de maturité. Ce fut difficile mais d’une richesse humaine exceptionnelle. C’est en partie grâce à cela, qu’aujourd’hui, je gère ma cuisine, comme si j’étais patron de l’Hôtel ».
Le membre de la chaîne des rôtisseurs présent dans tous les guides s’amuse avec la saucisse de Morteau et le Mont-d’or, honore les chasseurs sans effacer les beaux produits locaux : « gratin d’écrevisses aux morilles et savagnin », « filet de brochet au macvin », « escalope comtoise à la crème ». En 1994, le chef de partie aguerri rejoint le restaurant de l’Hôtel Negresco**, sous la houlette du chantre de la cuisine de la solarité niçoise moderne, le breton Dominique LE STANC.
La conduite des responsabilités glisse dans la tranquillité malgré les visites assidues de Madame Jeanne AUGIER, une propriétaire de Palace très présente aussi célèbre pour sa personnalité que pour ses manières d’haranguer les chefs en plein service. Soucieux de se mettre au diapason de la qualité, Joël VEYSSIERE prend la tête, entre 1996 et 1999, d’un projet global en tant que chef-gérant d’SHR Eurest Monaco. Il sert 40 couverts par jour dans le restaurant des pompiers monégasques où le colonel exige du sur-mesure. « J’ai pu intégrer toutes les strates, de la conception à la réalisation, une expérience inoubliable ».
Le professeur de cuisine au CFA de Villepinte, en 2001, réapprend la théorie, se replonge dans les techniques pour parler du beurre pendant des heures. « Passionnant car je crée des supports ». En 2004, l’ancien sous-chef du Hilton Roissy se saisit à bras le corps du « Pied de cochon » à la demande de Bernard LEPRINCE (MOF96). « Un gros morceau, un Annapurna à gravir, 24/24, 7/7. En 2007, on a réalisé 1664 couverts en 24h, jour de la demie finale de la coupe du monde de rugby. Six années magnifiques dans une maison qui a un souffle avec un personnel entièrement dévoué. Dans la chambre froide, j’ai dû m’expliquer avec le chef de la production qui avait 40 ans d’ancienneté mais du jour au lendemain, il a été dans ma poche, une pièce maîtresse d’une force absolue ».
Dans cet antre de la nuit où la nature de la clientèle pivote toutes les heures, les produits arrivent bruts le matin puis se travaillent, se transforment, se vendent dans la journée dans un esprit de brasserie institutionnelle. « La nuit, je me réveillais en sursaut et je n’avais qu’une envie, partir voir mes gars, on arrive et on repart de manière déchirante ». A 44 ans, âge où la sagesse commence à accompagner une vie, le géant tendre passe dans une autre entité du Groupe BLANC, la Maison du Danemark. « On observe, on goute, on échange, on voyage à Copenhague, on lit des livres, on visite des fumeurs de saumons, de harengs. Il ne faut jamais mentir à ses collaborateurs mais travailler avec le cœur ».
Dans cet emblématique lieu des Champs-Elysées, les maîtres cuisiniers s’affairent, derrière, en dessous, les adjoints, les sous-chefs, les directeurs de restaurants ou de salle s’activent, oubliés de la lumière médiatique, dans un lien d’amour. « On ne peut pas faire ce métier, sans aimer son « prochain », sans aimer le produit, sans aimer le producteur, sans aimer le fournisseur, sans aimer sa brigade, sans aimer son client. Ce métier est un métier d’amour et d’équipes. J’attache la même importance au plongeur, aux stagiaires, au légumier qu’à mes encadrants. Je compare toujours, à une roue de vélo. Chaque collaborateur est un rayon de la roue, et si un rayon est cassé, la roue est voilée et cela tourne beaucoup moins bien. Chaque niveau de compétences est indissociable à la bonne marche d’une brigade. Chaque collaborateur reconnait sa place dans l’équipe tout en favorisant une adaptabilité à des fonctions voisines de la sienne, pour pouvoir évoluer. Un collaborateur doit avoir une perception à 360° de ses actions. Chaque action, chaque geste à une incidence sur l’avenir ou le résultat.
Tout au long de ma carrière, j’ai rencontré des chefs exceptionnels, mais aussi des cuisiniers qui m’ont accompagné, qui n’ont jamais été chef, mais qui à mes yeux représentent aussi beaucoup de valeurs et d’abnégation. Bien sûr, un chef est un leader, un homme-orchestre, mais il faut surtout rendre hommage à tous ceux qui travaillent dans l’ombre et qui font de vous un porte-parole. J’ai beaucoup de chefs en exemples, parce qu’il représente individuellement quelque chose qui me fait vibrer, avec des sensibilités différentes, un état d’esprit. Le chef idéal est un chef qui n’éteint pas les étoiles autour de lui pour briller encore plus. Il transmet des valeurs morales comme les anciens, loyauté, rigueur, respect des usages sociaux, honnêteté. Viens avec moi, je t’emmène et tu verras ».
Exemplaire capitaine au calme impérial, le Chef du Restaurant « Le Safran » dans l’Hôtel du Collectionneur depuis 2015, gouverne aux changements de tonalité de la voix, règle les embarras dans son bureau, portes closes. A la tête d’une brigade de 43 personnes en toute liberté, au sommet de son art, Joël VEYSSIERE brique le syncrétisme de ses savoirs : formation, transmission, volume, qualité, direction humaine. « Un condensé de carrière, une vraie charge et une chance ».
« Tous les éclairages des techniques ne partiront pas dans l’autre monde, je ne suis pas un artiste mais nous sommes des grands sensibles ». Le filleul de Christian LECLOU et Guillaume GOMEZ œuvre, au sein de l’Académie Culinaire de France, au perfectionnement des règles de l’art par un engagement sans faille pour l’authenticité des appellations, leur protection et la dénonciation de toute forme de tromperie portant atteinte à leur intégrité.
Belle personne remuée par l’énigme des palimpsestes et la fantaisie des grimoires dans la bibliothèque de son aréopage, qui ravive, chaque année, la flamme sous l’Arc de Triomphe au nom de l’amitié et de la fraternité, le passeur rêve à son prochain dîner de gibiers aux truffes.