PORTRAIT DE CHEF
Denny IMBROISI

Par Fabien Nègre
  • Dennny Imbroisi
  • Restaurant Ida
  • Restaurant Ida carbonara
  • Restaurant Ida
  • Restaurant Ida

Diligent belvederesi, empathique à l’amitié spontanée, finaliste de Top Chef, épris des pâtes fraîches auxquelles il a consacré deux livres, Denny IMBROISI affirme son italianité sans limites dans l’absolue bonté enthousiaste de la franche solarité mantouane.     

En 1987, dans la braise calabraise du 22 juin, à Belvédère Marittimo, petite ville entre mer et montagne, dans le seul hôpital sur deux cents kilomètres de côte, affermit un bambin bien charnu. Le padre ne détient pas de taverne mais les grands-parents paternels en gouvernent plusieurs : un estaminet, une épicerie fine, un comptoir de produits frais et de légumes, un établissement de trois cents couverts. L’odeur du zeste de citron embaume toutes les pièces de la maison, chaque année, entre novembre et mars, pour la fabrication du limoncello.

La fragrance inoubliable de ce gros cédrat de Sorrente, marquera le petit qui aspire au gagne-pain d’électricien. Cette vie de provenances suprêmes et d’instants joyeux fonde la cuisine tel un sentiment, un ressenti tactile. Il y a aussi les gestes, une façon affectueuse de pétrir la pâte, de la faire reposer, de la masser. Les règles immuables passent sous la peau : le 1-10-100. Dans un litre d’eau, on plonge cent grammes de lames ensorcelées de dix grammes de sel.       

Les pures maternelles varient lors de tous les déjeuners : penne al pesto, linguine, ragu à la sauce tomate. « Je suis né dans une marmite ». L’inclinaison pour la pasta fraîche provient, elle, de la voie tutélaire. Raviolis et lasagnes présentent un aspect technique enseigné par le paternel mais pas à l’école : « J’ai fait mes études de cuisine dans l’école de mon père mais je ne l’avais pas comme enseignant, c’était tout de même très dur ».       

En 1997, après une enfance heureuse entourée d’un père professeur de cuisine et d’une mère « vraie cuisinière », le garçon boulimique d’aventures abandonne son pays, « sauvage dans tous les sens », la Calabre, à la suite de la séparation de ses parents. Il rejoint son père qui s’installe à Mantoue, dans le Nord de l’Italie. Les paysages hauts en goût abondent sur cette terre de délices : la caponata, une simple mais inouïe ratatouille de légumes; la pollo alla diavola, une volaille juste grillée convoyée de son jus réduit pimenté; les spaghettoni cacio e peppe, de petits spaghettis au fromage de brebis et au poivre noir.

La cuisine de la solartité se caractérise par sa puissance salée, son jalonnement corsé : olives schiacciate, aubergines grillées. Les préparations maison à savoir de chaque ménage diffèrent. La carbonara s’arrange au pecorino ou au guanciale. Ce morceau de viande non fumée issue des joues ou des bajoues du cochon résulte du frottement de ces parties avec du sel, du sucre, des épices, du poivre noir ou rouge, du thym ou du fenouil, parfois de l’ail. Les légumes importent aussi presque plus que tout dans les bases fondatrices de la cuisine transalpine : artichauts, poivrons, tomates.

A 13 ans, l’excellent élève que ses professeurs encouragent à poursuivre, choisit la voie du Nord, l’Ecole Hôtelière. L’ambitieux au tempérament de charmant tellurien s’imaginait « pape à 8 ans, clown à 10 et politicien à 15 ou bien encore barman ». Son âme de compétiteur lui fait gagner plusieurs prestigieux concours italiens. « Mon père m’a donné les moyens de transformer une tomate cerise en tomate confite, un penchant extraordinaire pour le produit ». Entre 14 et 18 ans, tous les soirs et toutes les fins de semaine, Monsieur IMBROISI sénior envoie son fiston chez PERBELLINI**, à Vérone.

Dans cette grande brigade de vingt gamins qui s’instruisent du minestrone, triment quinze heures par jour, le bonheur du travail l’emporte. « Un univers de jeunes, les boîtes, la liberté d’un verre au bar, l’envie de partager avec d’autres pour se sentir grand tout de suite, considérer, avec des paris déments, des défis fous ». A Imola, entre 2001 et 2006, au « SAN DOMENICO »**, il apprend l’art de la pâte fraîche mais aussi le métier, en grand sportif. Les deux années suivantes, le jeune homme passionné par toutes les facettes de la gastronomie les passe chez CORRADO FASOLATO**, à Venise, où il inverse, structure et déstructure des soupes de rubans élaborés (Pasta e fagioli).  

Le séjour vénitien du chef de partie ne s’apparente en rien à une flânerie touristique : « Très dur psychologiquement, nous travaillions six jours sur sept, de 6h à 2h ». En 2008, le courageux curieux, à 20 ans, franchit la frontière, pour comprendre la cuisine française. « Il fallait que je vienne pour la rigueur, la technique, la France forme une étape obligatoire ». A Menton, auprès de Mauro COLAGRECO, le stage de deux mois durera deux ans. Le perfectionniste s’initie à la langue, les fleurs et les herbes. « J’aime le légume dans mes mains, pour sa forme, sa texture ».

Le bagage culturel, dès l’aube, se situe sur la montagne où se cueillent la ciboule, la roquette, l’ail des ours, la bourrache ou bien encore la capucine, la sauge, le romarin ou l’oxalis. Les plats se dégraissent à la pimprenelle. Après une courte formation chez Quique DA COSTA***, en 2008, le chef du Mirazur** emmène Denny IMBROISI dans ses voyages puis le nomme second à 21 ans. « Je n’avais peur de rien, j’aime diriger des équipes ». A Paris, avec William LEDEUIL, au « ZE KITCHEN Galerie”*, il découvre un père spirituel : « Son élégance, sa rationalité, ses gestes me montrent une autre manière, je passe de l’impulsif sanguin au réfléchi carré, aux bases profondes, une façon de penser l’assiette dans sa tête où le produit n’est plus une star ».      

A 24 ans, le second du « Jules VERNE »*, dans le Groupe DUCASSE, subit « une pression de folie » mais gagne une expérience inaliénable en gestion des approvisionnements et gouvernement des hommes. Ce parcours exceptionnel dans le monde des étoilés lui ouvre la possibilité de s’installer dans son propre établissement, IDA, prénom de sa sœur, en octobre 2015. « Le parisien aime manger toutes les cuisines, il est ouvert, Paris est le lieu de ma cuisine. La technicité est ici. La France et l’Italie sont les deux seuls pays au monde où on prend le temps de manger, de vivre ».

Loin de la violence de la visibilité de l’émission « Top Chef » qui impose une notoriété mais n’implique pas toujours une reconnaissance, le chef de la rue de Vaugirard sait bien que la télévision rend fou mais il soigne son innocence sans ambivalence. Trentenaire radieux, inassouvi fragile, débordé intraitable d’abord avec lui-même, il affirme sa vie de rires et de souffrances avec le ciel de son envergure. La passion du métier nouée au cœur, transmise par huit chefs au puissant charisme, l’associé trépidant d’EPOCA avance d’un leste pas.

« Le chef parfait n’existe pas, j’ai pris le meilleur, l’important tient dans le plaisir de donner du plaisir. L’italianité tient dans l’amour que je transmets, la générosité dans l’acte de cuisine, ce métissage entre l’Italie, la France et le produit. J’adore Paris, je suis un parisien mais ma base de données gustative est italienne ». Soucieux de former son personnel à des goûts et des parfums différents, il les envoie, régulièrement, en Europe, pendant un an, dans un lieu précis pour une immersion exclusive. Enfant de sa génération décomplexée qui n’a plus rien à prouver et pourtant tout à confirmer, le créateur de la CAPUCC’IDA, entre bistrot contemporain et authentique trattoria, repense le croque Madame. « J’ai l’amour et la passion de me prêter à tous les types de jeux proches de la cuisine ».

Dans la modernité nomade hyper médiatisée par les réseaux sociaux, aucun chef ne demeure dans sa cuisine tout le jour. Il s’implique dans des projets pour en sortir. Les directions se donnent, les lignes de conduite suivent et se respectent. La carte blanche se fiance avec le paysage. « Je n’impose jamais une recette, je ne veux pas devenir un esclave de mon métier ». Aventureux sans bornes, celui qui a cuisiné dans un train, rêve de le faire dans un avion ou sur la lune.
 
Eternel insatiable, il n’envisage jamais une seule pause. « A 10 ans, je voulais cuisiner sur la Tour Eiffel, tout le monde se moquait de moi et je l’ai fait ». Entre satisfaction et frustration, un goût lumineux de l’aventure et de l’avenir.  
 
 

IDA DENNY IMBROISI

Le restaurant IDA du chef Denny Imbroisi s'installe en mai 2015 à une adresse qui a déjà vu passer de nombreuses tables plus ou moins...

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